Intervention de Emmanuelle Cosse

Commission d'enquête Rénovation énergétique — Réunion du 13 février 2023 à 14h00
Audition de Mme Emmanuelle Cosse ancienne ministre du logement et de l'habitat durable

Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du logement et de l'habitat durable :

Merci pour cette invitation, il est toujours intéressant de répondre de son action au Gouvernement devant le Parlement et je le ferai donc ici comme ancienne ministre - d'autant que vous me dites que je serai entendue un autre jour au titre de mes fonctions actuelles à l'USH.

La politique de rénovation est la part la plus difficile des politiques du logement, parce qu'on s'attaque à l'existant, au stock de logements - donc à des logements habités, ce qui nous fait entrer dans la vie de particuliers, qu'il faut le plus souvent accompagner pour rénover l'habitat. On parle souvent de la construction de logements, mais il est tout aussi important, et plus difficile, d'améliorer le stock de logements, qui sont habités.

Quel bilan est-ce que je tire de mon passage au gouvernement ? Je suis arrivée dans la deuxième partie du quinquennat et je savais que je ne resterais pas en fonction au-delà du mandat présidentiel. Aussi, avec mes équipes, nous sommes-nous concentrées sur l'application des textes de loi, en particulier de la loi de transition énergétique pour la croissance verte et de la loi ALUR, ainsi que sur les priorités du moment, la construction de logements, privés comme sociaux, et l'éradication de l'habitat insalubre. Vous savez que j'ai échoué, sur ce dernier sujet, à prendre l'ordonnance que je voulais, elle a été faite dans le quinquennat suivant. Nous avons travaillé sur la précarité énergétique, mais bien au-delà, sur les publics en difficulté, et nous avions aussi la volonté de moderniser les professions du bâtiment, avec les enjeux de fraude à la TVA, ou encore la mise en place du label « reconnu garant de l'environnement » (RGE). Lorsque j'étais ministre, j'ai aussi eu à mettre en place de nouveaux dispositifs, avec l'encadrement des loyers et le permis de louer, et encore sur des sujets que le Premier ministre avait demandé de traiter en priorité : le logement insalubre et indigne à Marseille, et la revitalisation du bassin minier.

Nos objectifs de rénovation étaient donc inscrits dans une politique du logement plus globale et le Gouvernement s'était effectivement fixé des objectifs chiffrés, sur la construction de logements neufs et sur la rénovation de 500 000 logements par an : je crois que c'est très important de se fixer de tels objectifs, même si l'on ne les atteint pas et qu'on donne matière à critique - je pense qu'il vaut quand même mieux se fixer un tel cap, c'est mobilisateur et cela permet, si l'on n'atteint pas l'objectif, d'examiner pourquoi, en particulier, mais pas seulement, sur le plan budgétaire, et nous en sommes encore là aujourd'hui.

Les questions qu'on se posait alors, sont encore d'actualité : quand on veut massifier, faut-il aider tout le monde, ou seulement les ménages les plus pauvres ? Faut-il se concentrer sur les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre ? Je crois, aussi, qu'il faut tordre le cou à cette idée fausse que la rénovation énergétique pourrait se faire à budget constant : en réalité, nous n'avons pas le modèle économique de la rénovation énergétique. Dans bien des cas, des particuliers ne voient pas l'intérêt de rénover parce qu'ils n'auront pas de retour sur investissement et parce que des passoires thermiques ne se vendent pas moins cher que des logements plus efficaces sur le plan énergétique - cela dépend de l'âge des propriétaires, de la valeur de leur bien, et du marché. Les particuliers qui rénovent leur logement n'y sont pas incités, comme le sont par exemple les automobilistes qui achètent un véhicule peu émetteur de gaz à effet de serre, et le fait de ne pas donner un prix au carbone rend les choses plus difficiles. Cela ne veut pas dire qu'on ne puisse rien faire pour diminuer l'impact de la dépense, nous avons des marges de manoeuvre en jouant sur des emprunts long terme et sur les subventions - et nous savons qu'il y a un coût pour l'État à ne pas soutenir la rénovation énergétique des logements.

Parmi les choses qui n'ont guère changé, je citerai aussi le faible intérêt des banques pour le sujet. Le logement social bénéficie du partenariat de la Caisse des dépôts, qui continue d'innover, mais le secteur bancaire privé ne s'engage pas comme il le fait dans d'autres pays européens, c'est dommage. C'est un frein important pour les ménages, j'ai passé bien des réunions avec le secteur bancaire pour le lever, sans grand résultat je dois bien le dire. Autre frein : le régime de la copropriété n'est guère adapté à notre volonté d'accélérer et de massifier la rénovation énergétique ; nous avons pu travailler sur les copropriétés dégradées, suite aux travaux du sénateur Claude Dilain, cela a été très utile parce qu'on partait de très loin et cela nous a permis d'avoir aujourd'hui des outils adaptés aux copropriétés dégradées - mais il reste que les copropriétés en général sont plus difficiles, par leurs règles, à rénover.

Le renchérissement brutal de l'énergie change probablement la perspective, mais nous n'avions pas de modèle économique en 2015-2016. Nous avons cependant avancé, avec la loi de transition énergétique pour la croissance verte, avec l'idée d'aller vers un crédit d'impôt pour ceux qui paient l'impôt et de renforcer le dispositif « Habiter mieux », qui est devenu MaPrim'Renov, pour aider les ménages qui empruntent pour la rénovation énergétique de leur logement.

Je signale que l'Agence nationale de l'habitat (Anah) est un outil qui nous est envié à l'étranger, on m'a souvent interrogée, comme ministre, sur cette agence nationale qui intervient pour l'habitat. Cependant, l'Anah n'a pas la capacité d'engager des fonds sur plusieurs années, comme le fait par exemple l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), c'est dommage. Les crédits de l'Anah sont fixés et varient chaque année, c'est sur cette base variable et incertaine que le volume de dossiers est réparti par territoires, c'est une limite évidente et cela nourrit une méfiance envers la capacité de l'agence à s'engager durablement, alors que le cofinancement avec les collectivités est nécessaire et, surtout, que la rénovation prend du temps en particulier avec les ménages précaires - il faudrait améliorer ce point, pour éviter les à-coups.

Vous m'interrogez sur le choix que j'ai fait, en mars 2016, de demander à l'Anah de réaliser 70 000 dossiers, au lieu de 50 000 : nous avions débloqué les crédits suffisants, mais l'année s'est terminée... à 41 000 dossiers, ce que j'ai considéré être un échec pour l'État, donc pour mon ministère et mes services. Comment les choses se sont-elles passées ? En mars, nous décidons de passer à 70 000 dossiers, l'Anah se tourne alors vers les services extérieurs de l'État et vers les collectivités territoriales, qui à leur tour doivent instruire, voter leurs cofinancements - tout ceci prend du temps, le système ne peut pas travailler en flux continu, et nous avons aussi subi le fait que des collectivités territoriales avaient changé leur positionnement, au préjudice des ménages. L'accompagnement financier n'a donc pas été suffisant, il est resté un frein, mais aujourd'hui encore l'Anah ne peut pas engager des crédits sur plusieurs années, c'est une limite. Il faut compter aussi avec le fait que le budget du logement est fait avec les quotas carbone, je regardais ce critère tous les mois. En 2017, nous avons envoyé les enveloppes prévisionnelles aux préfets dès le mois de février, nous avons essayé de baisser la part issue des quotas carbone et nous avons pris 50 millions d'euros sur Action logement, tout ceci pour stabiliser le budget de l'Anah.

En 2014-2016, le secteur du bâtiment n'était pas prêt à la massification de la rénovation énergétique des logements. La question était sur l'agenda, j'ai retrouvé une étude de 2013 du Service des données et études statistiques (Sdes) sur le sujet, mais on n'était pas prêt pour le changement d'échelle. Nous avons beaucoup travaillé avec les artisans, avec les PME du secteur du bâtiment, sur la question de la formation, sur la question du geste professionnel, sur la maîtrise des outils numériques, sur le carnet numérique du logement, sur les types de travaux à réaliser, et finalement sur la RGE et sur la garantie - nous avons essayé de travailler sur l'écosystème dans son ensemble pour améliorer la formation et permettre la massification, vous savez bien que c'est encore un enjeu important.

Un ministre du logement qui dirait avoir un bon bilan n'aurait pas compris quelle était sa mission, me semble-t-il, car c'est un domaine où l'on n'a jamais fini - il faut être humble, je dirai que nous avons posé des jalons, mais que nous ne sommes pas allés assez vite, et qu'aujourd'hui encore l'action ne va pas assez vite alors que le marché de l'immobilier est florissant. En réalité, les logements qui sont bien placés sur le marché se vendent très bien même s'ils sont très mauvais énergétiquement, tandis que l'habitat insalubre et indigne reste à un niveau bien trop important dans notre pays. Nous avons fait beaucoup, mais pas assez, je dirai donc que mon bilan est mitigé, et que j'assume d'avoir fixé des objectifs chiffrés.

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