Intervention de Barbara Pompili

Commission d'enquête Rénovation énergétique — Réunion du 13 février 2023 à 14h00
Audition de Mme Barbara Pompili ancienne ministre de la transition écologique

Barbara Pompili, ancienne ministre de la transition écologique :

Je suis heureuse de me retrouver devant cette commission d'enquête, qui a le mérite, de surcroît, de réunir des acteurs du projet de loi Climat et résilience, très impliqués sur ces sujets, en premier lieu vous-même, madame la présidente, qui étiez rapporteure du fameux titre V, sur lequel vous avez presque plus de connaissances que je n'en ai moi-même !

J'ai été nommée au début du mois de juillet 2020, en même temps que le logement - évolution intéressante - était intégré dans le périmètre du ministère de la transition écologique.

Cette évolution, je l'appelais de mes voeux et je l'avais proposée à de nombreuses reprises : au-delà des politiques traditionnelles du logement, on voyait bien que, depuis un certain nombre d'années, notamment après la promulgation de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), la connexion était de plus en plus prégnante entre les questions climatiques et les questions de logement, via les thèmes de la rénovation énergétique du logement existant et des règles applicables aux bâtiments neufs. La législation évoluait en ce sens, sachant que ces questions du climat et du logement ne relevaient pas nécessairement, jusqu'alors, d'une culture commune. Il était donc très intéressant de réunir sous un même ministère les compétences relatives au climat et au logement. Cela s'est révélé, en outre, un vrai plaisir de travailler avec la ministre chargée du logement, Emmanuelle Wargon : la coordination entre nous a été parfaite, même si, l'honnêteté m'oblige à le dire, l'évolution des services et des directions ministérielles vers une culture véritablement commune a pu prendre un peu de temps - j'ose croire que notre travail a permis, en la matière, de faire avancer les choses.

Ainsi ai-je pu, dans le cadre d'un ministère aux compétences considérablement étendues, m'appuyer sur une ministre qui gérait seule toutes les autres affaires relatives au logement, accession à la propriété, logement social, etc., et avec laquelle je partageais la compétence relative à la rénovation des bâtiments et aux normes de construction.

Lorsque j'ai pris mes fonctions, la Convention citoyenne pour le climat venait, quelques semaines auparavant, de rendre publiques ses propositions, qui étaient au nombre de 149. J'ai avec moi l'énorme recueil des propositions de la Convention, dont je salue le travail absolument incroyable. L'objectif qui avait été assigné à ces 150 personnes tirées au sort selon des techniques permettant, autant que faire se peut, de couvrir la diversité de la population française était de définir toutes les mesures susceptibles de nous permettre d'atteindre la neutralité carbone en 2050 dans un esprit de justice sociale. Autrement dit, je le répète souvent, on a demandé à ces citoyens de changer le monde, rien de moins, ce qui explique qu'ils aient formulé tant de propositions.

Ce qui a très bien fonctionné, dans la Convention citoyenne, c'est que les personnes ainsi désignées, qui n'étaient pas toutes sensibilisées aux enjeux climatiques, ont réussi à adopter ensemble, par consensus, ces propositions, alors qu'au départ c'était loin d'être gagné...

Sensibilisés à la question climatique, les membres de la Convention l'ont été, et fortement, dès leur première session, qui a eu lieu fin 2019, pendant laquelle ils ont rencontré des scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), s'enfermant notamment toute une journée avec Valérie Masson-Delmotte, désormais bien connue. Tous racontent qu'à cette occasion ils ont reçu une « claque », une « baffe », certains allant jusqu'à pleurer - tel fut pour eux le moment inaugural décisif. Après plusieurs week-ends de travail en commun, et en dépit de la crise de la covid, qui a causé quelque retard, ils ont pu rendre leur copie et proposer leurs solutions au Président de la République.

Une semaine avant mon entrée en fonction, le Président de la République a reçu à l'Élysée les membres de la Convention, les a félicités à juste titre et leur a annoncé qu'il retenait 146 propositions sur les 149 qu'ils avaient émises, s'octroyant trois « jokers » considérés comme absolument infaisables, l'un sur la modification du préambule de la Constitution, l'autre sur la taxation des dividendes, le dernier sur la réduction à 110 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée sur l'autoroute.

Quant au reste des mesures proposées, à l'exclusion de ces trois jokers, les citoyens de la Convention avaient compris qu'elles seraient toutes reprises.

Cette situation de départ - je commençais ma tâche là où se terminait celle de la Convention - était en elle-même problématique : à partir du moment où le Président de la République, quelques mois plus tôt, avait dit qu'il reprendrait sans filtre les mesures préconisées par la Convention citoyenne pour le climat, il avait mis tout le monde dans une situation impossible, inextricable. Les citoyens, d'un côté, se sentaient légitimement les gardiens des mesures proposées et les garants de leur mise en oeuvre ; les parlementaires, de l'autre, tout aussi légitimement, pouvaient se sentir dessaisis de leur rôle démocratique de représentants du peuple.

Dès lors, deux légitimités se trouvaient face à face, alors même que la Convention, à l'origine, avait plutôt vocation à apporter des propositions qui devraient être débattues. Il a donc fallu gérer cette situation en jouant les intermédiaires entre les citoyens de la Convention, d'une part, et, d'autre part, les autres représentants de notre société, les corps intermédiaires, syndicats, associations, élus locaux. Certains, parmi les membres de la Convention, avaient bien compris qu'il n'était pas possible d'appliquer à la lettre toutes les propositions qu'ils avaient formulées ; d'autres, considérant que la promesse du Président de la République faisait foi, surveillaient ligne à ligne les modalités de mise en oeuvre desdites propositions.

Je me réjouis, au passage, qu'Emmanuelle Wargon intervienne à ma suite ; son expertise technique sera certainement plus poussée que la mienne.

Le chapitre « Se loger » occupe une cinquantaine de pages dans le rapport final de la Convention. Nous avons décidé de reprendre, dans le projet de loi Climat et résilience, le découpage opéré par les citoyens en cinq thématiques : « consommer », « produire et travailler », « se déplacer », « se loger », « se nourrir ». Peut-être aurions-nous pu écrire une loi plus agile, mais cette option nous semblait la plus simple à comprendre de l'extérieur : nous avons donc dessiné des parties qui permettaient à chacun de s'y retrouver, et notamment aux citoyens de la Convention de retrouver les mesures législatives correspondant à leurs propositions - c'est ce qui s'est passé, d'ailleurs, dans l'ensemble.

Les dispositions du titre « Se loger » de la loi Climat et résilience s'inscrivent dans la lignée de ce qui avait été voté les années précédentes, la loi fondatrice sur le sujet qui nous occupe étant la loi LTECV de 2015, présentée par Ségolène Royal. C'est cette loi, en effet, qui met en place la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui pose des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), qui est à l'origine du lancement des programmations pluriannuelles de l'énergie, qui crée les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), qui jette les bases de notre « socle » de rénovation des logements, notamment en créant le CITE et en intégrant la performance énergétique dans les critères de décence d'un bâtiment. En résumé, cette loi de 2015 pose les fondements qui sont ensuite réaffirmés dans la loi de 2019 relative à l'énergie et au climat, laquelle, intervenant après l'accord de Paris, nous engage sur la trajectoire de la neutralité carbone en 2050.

Voilà quel est le contexte au moment de ma prise de fonction : un continuum, une trajectoire, une dynamique lancée quelques années plus tôt. De ce point de vue, le regard des membres de la Convention citoyenne pour le climat se révèle très pragmatique : ils cherchent à savoir ce qui a marché et ce qui n'a pas marché.

Parmi leurs propositions, on compte un certain nombre de recommandations emblématiques. Je citerai l'interdiction de la location des logements dont la performance énergétique se situe en deçà d'un certain seuil, qui vise à contraindre les propriétaires occupants et bailleurs à rénover de manière globale. L'accent était mis, justement, sur cette notion de « rénovation globale » : en effet, il avait été constaté à maintes reprises, par le Haut Conseil pour le climat (HCC), par la Cour des comptes, par le Défenseur des droits, que les rénovations effectivement réalisées étaient hélas ! très majoritairement des rénovations par gestes simples - une année on pose de nouvelles fenêtres, l'année suivante on isole les toitures, une autre année on change de chaudière, etc. -, ne permettant pas d'accroître la performance globale du logement.

Des propositions sont formulées également sur le diagnostic de performance énergétique (DPE), sur l'obligation de remplacer les chaudières au fioul et à charbon d'ici à 2030 dans les bâtiments neufs et rénovés ou sur le déploiement harmonisé d'un réseau de guichets uniques. Concernant ce dernier point, les citoyens de la Convention ont beaucoup insisté sur la difficulté d'accéder à une information simple et unifiée sur l'ensemble du territoire en matière d'aide à la rénovation énergétique. Chacun s'accordait en effet à relever la complexité des aides accordées et la persistance de « trous dans la raquette », pour les copropriétés par exemple ; en conséquence, de très nombreux propriétaires n'accédaient pas ou accédaient mal aux aides prévues.

J'ajoute que les membres de la Convention ont porté une attention particulière aux plus démunis, comme le prévoyait leur lettre de mission, et ont émis d'intéressantes propositions sur la formation des professionnels du bâtiment, en vue de répondre à la demande de rénovation globale.

Voilà l'état de la situation quand j'arrive à la tête du ministère. Je rencontre les membres de la Convention citoyenne et nous préparons le texte de loi avec eux. Je les informe immédiatement que nous souhaitons les associer à ce processus - certains considéraient que leur travail était fini, d'autres, à juste titre, pensaient qu'une tâche d'aussi longue haleine devait être poursuivie - en les informant de chaque avancée dans la mise en oeuvre de « leur » loi. Assez vite, nous mettons en place un outil de suivi de l'application des mesures proposées par la Convention - cet outil existe toujours, mesure par mesure.

Il a été difficile de faire comprendre à nos concitoyens que toutes les mesures de la Convention ne se traduiraient pas en mesures législatives, tout simplement parce que notre Constitution distingue les mesures qui relèvent du domaine de la loi et celles qui sont d'ordre réglementaire - je pense, par exemple, à l'interdiction des terrasses chauffées, à des mesures comportementales qu'il est difficile d'introduire dans une loi, ou à des dispositions qui doivent être mises en oeuvre au niveau international. Ainsi avons-nous eu de grands débats sur la question du crime d'écocide : il est évident que l'on ne va pas faire une loi pour que Jair Bolsonaro vienne répondre devant un tribunal installé à Poitiers de ses agissements contre la forêt amazonienne... Certains ont très bien compris ce qu'il en était ; d'autres ont monté ce genre d'épisodes en épingle.

Pour en revenir aux mesures du titre « Se loger », nous avons eu des échanges sur ce point avec les acteurs du monde du logement, collectivités, associations ; cela n'a pas été simple. Le « problème » de la Convention citoyenne pour le climat - c'est aussi une leçon à tirer -, c'est que ses membres ont auditionné les personnes ou les institutions qu'ils avaient envie d'entendre. Compte tenu de l'ampleur des domaines explorés, ils n'avaient pas matériellement le temps de rencontrer tous les acteurs concernés. Dès lors, leurs préconisations ne tenaient pas toujours compte des contraintes rencontrées par lesdits acteurs ; d'où des « frottements » : c'est la raison pour laquelle je n'ai pas pu reprendre intégralement les mesures proposées, pas même celles qui étaient d'ordre législatif.

Il importait, évidemment, de se rapprocher des propositions de la Convention, qui étaient en adéquation avec nos objectifs climatiques. Simplement, il fallait les « mettre en musique » pour qu'elles deviennent applicables ; j'ai tâché d'être le plus fidèle possible aux propositions de la Convention tout en restant pragmatique. Nous avons veillé non pas à coller exactement à la lettre du rapport de la Convention, mais à en respecter l'esprit, en rendant la rédaction du texte aussi opérationnelle que possible.

Je me concentrerai sur une mesure que je jugeais absolument essentielle : l'urgence, selon moi, était de trouver une solution permettant à nos concitoyens de ne pas se perdre dans le maquis complexe des aides et d'y avoir accès plus facilement. Ce sujet revenait sans cesse ! Chacun voit de quoi je parle... Je l'ai expérimenté à titre personnel : ayant fait rénover mon logement, je n'ai pas réussi à obtenir toutes les aides auxquelles je pouvais prétendre ; je compte pourtant plutôt parmi les connaisseurs du sujet...

Nous avons missionné M. Olivier Sichel pour nous aider à élaborer cette disposition absolument essentielle et à trouver le meilleur mécanisme. La mission Sichel a rendu ses conclusions alors que le texte était déjà en cours d'examen par le Parlement et avait déjà été voté par l'Assemblée nationale ; le Sénat a pu en tirer la substantifique moelle. Elle a malgré tout été une réussite : elle nous a permis de défricher le terrain au profit de ce qui allait devenir Mon Accompagnateur Rénov', qui a été intégré dans le texte définitif de la loi Climat et résilience.

Il s'agit selon moi de la mesure phare de cette loi, qui contient d'autres mesures indispensables : j'aurais pu évoquer l'interdiction de la location des passoires thermiques, qui nous a aussi demandé beaucoup de travail, mais Mon Accompagnateur Rénov' est à mes yeux le levier essentiel si l'on veut monter en puissance en matière de rénovation globale.

Pourquoi les gens font-ils des rénovations « par gestes » ? Parce qu'ils ne savent pas qu'ils peuvent faire une rénovation globale, qu'ils en ignorent les conditions et les modalités, et parce qu'ils n'ont pas accès au diagnostic.

Il y a eu, dans certaines régions, des services publics de l'efficacité énergétique qui étaient mieux développés. Je pense, par exemple, au service public de l'efficacité énergétique (Spee) de Picardie, qui était plutôt bien organisé et qui, bien qu'il fût concentré sur les copropriétés, a tout de même eu le mérite d'être le précurseur de Mon Accompagnateur Rénov'. Néanmoins, il était peu connu, disposait de peu de moyens et gérait trop peu de dossiers au regard des besoins. C'est d'ailleurs l'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés : comment faire en sorte que Mon Accompagnateur Rénov' ne devienne pas un « super-Spee » doté de trop peu de moyens pour faire face à l'ampleur de la tâche, puisque l'on doit rénover 700 000 logements par an ? Le rapport de 2020 du Haut Conseil pour le climat rappelle que, pour atteindre nos objectifs issus de l'accord de Paris, on doit réaliser 700 000 rénovations globales par an à partir de 2030, c'est dans la SNBC ; aujourd'hui on n'en fait pas le dixième !

On ne peut pas se contenter de confier cette tâche à des opérateurs publics, d'où la nécessité de mettre en place un système de conventionnement ; cela a d'ailleurs fait l'objet d'un décret récent. Et, selon moi, Mon Accompagnateur Rénov' est, s'il est correctement mis en place, l'outil qui permettra de faire avancer les choses.

Pour finir, vous m'avez demandé si j'avais des regrets. Oui, du point de vue des moyens. On a consacré beaucoup de moyens à la rénovation, que ce soit sur les bâtiments privés, via MaPrimeRénov', les certificats d'économies d'énergie (C2E) et les autres aides publiques, ou sur les bâtiments publics, dans le cadre de France Relance, avec un budget de l'ordre de 4 milliards d'euros. Néanmoins, sur une politique de cette envergure, on aurait besoin d'une loi de programmation pluriannuelle du financement de la transition et qui ne soit pas cantonnée au logement. Mon regret, c'est qu'on ne l'ait pas encore. Peut-être après la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ?

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