Intervention de Emmanuelle Wargon

Commission d'enquête Rénovation énergétique — Réunion du 13 février 2023 à 14h00
Audition de Mme Emmanuelle Wargon ancienne ministre déléguée chargée du logement

Emmanuelle Wargon, ancienne ministre déléguée chargée du logement :

Je vous remercie de m'entendre sur ce sujet extrêmement important.

Je souhaite d'abord rappeler quelques chiffres, qui démontrent justement l'importance de ce sujet, car la rénovation énergétique des bâtiments est indispensable si l'on veut respecter la trajectoire climatique que nous nous sommes fixée : tout compris, quel que soit son usage, le bâtiment représente quelque 45 % de la consommation finale d'énergie et est responsable d'un quart des émissions de gaz à effet de serre.

Une politique publique dans ce secteur est donc cruciale. J'ai été nommée secrétaire d'État à l'écologie en octobre 2018 et cette question a rapidement fait partie des sujets dont je me suis emparée, sous l'égide de mon ministre de tutelle de l'époque, François de Rugy. J'ai continué d'y travailler avec Élisabeth Borne puis avec Barbara Pompili, en tant que ministre déléguée au logement. Mon action sur ce sujet s'inscrit donc dans la continuité, puisque je m'en suis chargé pendant les presque quatre ans de mes fonctions ministérielles.

Ensuite, je veux préciser que ce sujet ne se règle pas, en tout cas pas majoritairement, par la loi : on peut fixer tous les objectifs que l'on veut dans les textes successifs, la loi n'est pas autoréalisatrice. Il ne suffit pas de dire, dans la loi, que l'on doit rénover 500 000 logements par an ou qu'il ne doit plus y avoir de passoires thermiques d'ici à dix ans pour que cela se produise. C'est un enjeu de moyens, d'exécution et de systèmes.

J'avais élaboré comme ministre un diagramme retraçant la manière dont nous pilotions ce sujet au ministère. C'était extrêmement visuel, les différentes couleurs des blocs exprimant les types d'actions à mener. Je vais vous les détailler brièvement.

Pour mener une politique publique, il faut d'abord la piloter, c'est-à-dire disposer de données chiffrées et y consacrer une équipe. Ensuite, il faut des aides efficaces, c'est-à-dire accessibles et justes. Puis, il faut que la filière soit en mesure de répondre aux besoins, c'est-à-dire d'avoir les compétences requises et de faire face au volume des demandes. Enfin, il faut de l'accompagnement, puisque les aides seules ne suffisent pas. C'est de cette manière que j'ai travaillé avec mon équipe et avec les administrations, en tâchant de travailler sur l'ensemble des éléments du système. Cela s'apparente un peu à de l'horlogerie : si vous voulez qu'une montre fonctionne, il faut que chaque rouage fonctionne individuellement, mais, une fois assemblé, l'ensemble de la mécanique doit également tourner correctement.

Commençons par le pilotage ; ce n'est pas l'aspect le plus connu, mais il est important. Quand j'ai pris en charge cette politique publique, j'ai constaté qu'aucune équipe n'en était spécifiquement chargée et que personne ne comptait quoi que ce fût.

Dire qu'il n'y avait pas d'équipe chargée de cette politique n'est pas faire injure aux équipes ministérielles en place. D'abord, il y avait beaucoup de directions d'administration centrale concernées et, surtout, c'était un sujet interministériel, concernant le ministère du logement, rattaché à l'époque au ministère des collectivités territoriales, et le ministère de l'écologie. Pour avancer, il fallait un accord entre les deux ministres, c'est pourquoi pendant la première période de mon action, j'ai travaillé en grande proximité avec Julien Denormandie, à l'époque ministre du logement. Les deux administrations principales sur cette question - la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) - devaient donc se coordonner sur ces politiques publiques. Or elles se coordonnaient difficilement : presque toutes les décisions remontaient aux cabinets et aux ministres.

La création d'une délégation interministérielle, chargée du pilotage de la rénovation énergétique des bâtiments, m'a pris un an. Cela a permis qu'il y ait au moins un petit nombre de personnes dans la République se levant le matin avec comme mission de faire progresser la rénovation énergétique des bâtiments, mais cela a été long et compliqué.

J'en viens à la capacité de produire des données et de les analyser. Quand j'ai pris mes fonctions, on ne disposait pas d'un seul chiffre fiable sur le nombre de passoires thermiques ou sur l'efficacité individuelle de tel ou tel geste de rénovation ou de telle ou telle aide. J'ai donc demandé au commissariat général au développement durable (CGDD) de créer l'Observatoire national de la rénovation énergétique. Cela a pris un certain temps également, mais cela nous a permis de disposer d'une étude établissant une fois pour toutes le nombre de passoires thermiques, chiffre qui fait désormais foi. L'Observatoire a aussi mené des travaux sur l'efficacité des différents « gestes ».

Tout cela était très important, parce que l'on ne peut pas mener une politique publique si l'on n'y consacre pas une équipe et si l'on n'a pas un moyen d'observer la réalité.

J'en arrive aux aides. Il y avait à l'époque beaucoup d'aides, relevant de logiques extrêmement différentes et relevant, en gros, de trois grands types.

Premier type : les aides historiques de l'Anah, extrêmement qualitatives, plutôt tournées vers la rénovation globale, très liées aux collectivités territoriales et représentant un volume extrêmement faible, puisque, de mémoire - je n'ai pas les chiffres exacts -, il y avait de l'ordre de 30 000 aides annuelles ressortissant du programme Habiter mieux sérénité, le programme de rénovation globale, et un peu moins sur les aides plus simples. Ces aides relevaient d'une logique de sur mesure, mais il s'agissait de 30 000 ou 40 000 rénovations par an, soit un volume extrêmement faible.

Deuxième type d'aides : les certificats d'économies d'énergie (C2E), qui se développaient sans le moindre pilotage. Quand je suis arrivée, François de Rugy a lancé, sur sa propre initiative, les rénovations à 1 euro, les combles à 1 euro, etc., essentiellement financés par les C2E et très peu pilotés. Nous avons donc assisté à une explosion du volume de certificats, mais pour des gestes qui n'étaient ni suivis, ni pilotés, ni contrôlés.

Troisième type d'aides : le CITE, un crédit d'impôt versé dix-huit mois après les travaux. Il se trouve que la moitié de cette aide était versée aux foyers situés au-dessus du huitième décile de revenus, aux 20 % les plus riches ; c'était donc une aide anti-redistributive. En outre, cette aide finançait principalement les changements de fenêtres, qui n'est pas le geste de rénovation le plus efficace. Enfin, comme elle était versée au bout d'un an et demi, il était difficile d'en déterminer l'efficacité ; il s'agissait assez largement d'un effet d'aubaine.

Ces trois aides relevaient de trois univers de politiques publiques très différents. La première relevait du ministère du logement et était très liée à l'action locale des collectivités, point très positif. Le C2E constituait l'outil du ministère de l'écologie pour faire de la rénovation énergétique, mais reposait sur une confiance à mon avis excessive envers la capacité des acteurs privés à se réguler ; d'ailleurs, il y a eu énormément de fraudes et d'abus et on a fini par arrêter les aides à 1 euro, considérant qu'elles entraînaient trop d'effets pervers. Quant au crédit d'impôt, il n'était pas piloté par le ministère de l'écologie et n'était même pas piloté du tout.

Parallèlement à cela, nous étions dans une période de recherche d'économies budgétaires. Le Premier ministre de l'époque, Édouard Philippe, souhaitait que l'on restreigne beaucoup le montant global du CITE. Aussi, lorsque nous décidâmes de le transformer en prime - le dispositif MaPrimeRénov' -, le budget y afférent fut divisé par deux. Cela n'était pas mon choix et je m'étais battue pour obtenir de meilleurs arbitrages, mais il n'était pas évident de plaider cette cause, car il était difficile de démontrer que le CITE était performant. Le Premier ministre nous proposa donc de démontrer d'abord que la nouvelle aide était efficace, qu'elle ciblait les bons publics et les bons gestes, à la suite de quoi, on envisagerait l'augmentation de son budget. C'est ce que nous fîmes.

Le ministère du logement, toujours avec Julien Denormandie, et le ministère de l'écologie ont ainsi lancé MaPrimeRénov' en 2020.

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