J'ai très vite été convaincue qu'il fallait faire converger les trois types d'aides que j'ai évoqués. Par conséquent, le passage à une aide versée immédiatement après la fin des travaux, ciblant mieux les travaux et plus redistributive me paraissait préférable. En revanche, je voulais conserver le budget du CITE - 2 milliards d'euros - lors du passage à MaPrimeRénov' et la division par deux de ce budget ne correspondait ni à mon souhait, ni à celui de mes services, ni à celui du ministre du logement.
J'ai passé beaucoup de temps à essayer de rapprocher les aides de l'Anah, cette nouvelle aide directe, qui avait l'avantage d'être versée beaucoup plus rapidement, et les C2E, afin de ne pas maintenir trois politiques publiques juxtaposées, chacune avec son outil, ne répondant pas aux mêmes exigences techniques, ne couvrant pas le même type de travaux, et imposant des conditions différentes aux entreprises. Au lieu de trois mini-politiques de rénovation énergétique des logements, j'en voulais une seule. Nous avons créé MaPrimeRénov' au début de 2020, en veillant à mieux organiser le lien entre cette aide, qui ciblait les gestes, et les C2E. Un ménage pouvait donc bénéficier à la fois de MaPrimeRénov' et de C2E sur la même opération, avec les mêmes critères, pour un changement de chaudière, pour de l'isolation ou pour des opérations plurigestes. C'était juste avant le début de la crise du covid et nous nous demandions si cette aide trouverait son public en période de crise. Ce fut le cas, avec 270 000 dossiers en 2020, 700 000 en 2021 et à peu près autant en 2022. Grâce à l'Observatoire de la rénovation énergétique, nous avons mesuré l'économie moyenne d'énergie entre un logement aidé par le CITE et un logement bénéficiaire de MaPrimeRénov', car il s'agit d'un des critères de performance du dispositif. Celle-ci a été multipliée par deux, passant de 2,5 mégawattheures à 5,3 mégawattheures par an et par logement.
Le plan de relance nous a aidés : la première année, MaPrimeRénov' a reçu 1 milliard d'euros de budget, puis nous avons décidé de cibler une partie des crédits du plan de relance sur ce dispositif. Dans une discussion budgétaire, pour limiter une aide, on joue sur les critères, les montants unitaires et l'éligibilité ; plus nous disposions de moyens, mieux les gestes étaient aidés et plus la mesure touchait des catégories différentes de ménages. MaPrimeRénov' est inversement proportionnelle au revenu, avec quatre catégories de ménages, et les plus modestes sont les plus aidés. Il était très important pour moi d'aider tous les ménages, y compris le quart le plus favorisé, avec des montants plus bas, notamment sur les monogestes, pour favoriser la rénovation globale, afin de pouvoir dire que cette aide était universelle. En effet, les émissions de CO2 concernent tous les ménages. Pour autant, MaPrimeRénov' est beaucoup plus redistributive que les dispositifs précédents : plus de la moitié des montants visent les ménages les plus modestes. Voilà pour la partie concernant les aides. Nous avons passé beaucoup de temps à étudier les fiches C2E pour nous assurer que celles-ci étaient alignées sur les fiches MaPrimeRénov' et que les deux mesures étaient bien coordonnées.
S'agissant de l'accompagnement et des guichets, j'ai trouvé en arrivant une situation très éclatée, qui l'est sans doute encore. Nous avons progressé au cours des quatre dernières années, mais il reste des progrès à faire. Deux univers cohabitaient et ne se parlaient pas du tout : les guichets de l'Anah et ceux de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), auxquels pouvaient s'ajouter les guichets des collectivités territoriales qui n'étaient appuyés par aucune des deux agences. J'avais alors coutume de dire qu'il nous fallait être bilingues Anah et Ademe, et tous mes interlocuteurs comprenaient ce que cela signifiait. L'Anah pratiquait l'aide aux ménages très modestes ainsi que des partenariats sur mesure avec des collectivités ; l'Ademe proposait plutôt des aides plus globales, accompagnées par des guichets, mais de façon complètement séparée de l'Anah. J'ai passé ces quatre années à essayer de rapprocher les deux univers et nous nous sommes demandé quelle était la bonne manière d'organiser le champ et quel était l'opérateur susceptible de le porter au mieux. Nous avons d'abord choisi l'Ademe, parce que celle-ci était un interlocuteur naturel des régions, lesquelles étaient chargées, par la loi, du service public de l'efficacité énergétique de l'habitat. Nous avons soutenu les collectivités à travers un programme C2E dédié, le service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare), qui était donc porté par l'Ademe. Néanmoins, la connaissance fine à l'échelle communale et intercommunale était vraiment l'apanage de l'Anah, comme l'était la maîtrise des partenariats sur mesure. Après quelques années, nous avons décidé de lui confier l'ensemble du dispositif, au motif qu'elle était l'agence chargée de l'amélioration de l'habitat. Même si sa compétence initiale concernait plutôt l'habitat indigne et les ménages en difficulté, elle était capable de mener une action universelle. En outre, elle portait le guichet MaPrimeRénov', il était donc logique qu'elle porte également les guichets d'accompagnement. Nous avons réalisé un travail de précision, avec le transfert progressif des équipes. La responsabilité intégrale a été confiée à l'Anah et nous avons mis en cohérence les aides et les guichets. À tout cela, nous avons ajouté France Rénov', c'est-à-dire la labellisation de tous les guichets d'appui à la rénovation énergétique, afin que ceux-ci portent la même politique publique nationale au service des politiques locales.
J'avais été très frappée par une visite en Haute-Saône, fin 2019. J'étais allée voir un guichet Anah qui fonctionnait très bien, puis un chantier, un ancien moulin dont la rénovation globale était financée par la région. Ce projet avait bénéficié de l'aide de l'Anah, et ses promoteurs avaient donc dû monter un dossier comportant un certain nombre de diagnostics. Ils avaient ensuite été candidats à une aide de la région appuyée sur l'Ademe, pour laquelle il avait fallu tout refaire, parce que les diagnostics et les experts différaient. Les deux systèmes étaient complètement disjoints, parce que l'entente n'était pas parfaite entre les services du département et ceux de la région. Nous avons donc tenté de mettre en place de la coordination avec le Service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare), qui donnait des moyens supplémentaires à l'échelle régionale, et de faire monter l'Anah comme interlocuteur de proximité des collectivités. Cela concernait surtout les communes et les intercommunalités, ainsi que certains départements, l'investissement de ces derniers étant très variable ; s'y ajoutaient les régions, qui exercent la compétence concernée. Ce maillage n'est pas terminé et dans beaucoup d'endroits, la répartition des compétences, et donc des publics, n'est pas très claire. France Rénov' a été bâti sur l'idée que chacun devait avoir accès à un guichet physique, quels que soient sa situation et ses revenus. Mon Accompagnateur Rénov' a suivi, toujours parce que le besoin d'accompagnement était important. Rappelons que le point de départ de ce processus était un crédit d'impôt dans lequel le concept même d'accompagnement n'existait pas. Nous considérions, quant à nous, qu'il fallait adosser les aides à un accompagnement, ce que permet maintenant la montée en puissance de Mon Accompagnateur Rénov'.
Je retrace ici un cheminement qui a été poussé, entre autres, par les lois successives et qui a rencontré la Convention citoyenne pour le climat. Celle-ci a permis de lui faire passer une étape supplémentaire. J'ai évoqué le pilotage, les données, les aides et l'accompagnement. Une politique publique classique balance entre incitation et contrainte, toute la question étant de trouver la bonne mesure. S'agissant des passoires thermiques locatives, j'étais convaincue que l'on ne réussirait pas sans contrainte. En effet, si un propriétaire occupant est directement concerné par l'état d'isolation de son logement, et donc potentiellement motivé pour lancer des travaux, un propriétaire bailleur ne subit pas les inconvénients de la passoire thermique qu'est son bien. Il me semblait donc qu'ouvrir les aides aux propriétaires bailleurs - une des avancées de MaPrimeRénov' - ne suffirait pas et qu'il faudrait en passer par la contrainte. Lors de la Convention citoyenne pour le climat, nous nous sommes demandé s'il fallait faire peser les obligations de rénovation des passoires thermiques sur tout le monde, y compris sur les propriétaires occupants, ou seulement sur les propriétaires bailleurs. J'ai considéré qu'une obligation avait plus de sens pour ces derniers, pour lesquels le simple fait d'être éligibles à une aide n'était pas assez motivant pour engager des travaux, alors même que les factures d'énergies très élevées ou la difficulté à chauffer le bien qu'ils mettaient en location ne les pénalisaient pas directement. Ainsi est née l'obligation de rénovation des passoires thermiques pour la mise en location progressive. Elle a été imposée dans la loi Énergie-climat, puis renforcée dans la loi Climat et résilience. Je défendais l'idée de limiter cette obligation aux biens classés F et G, pour cibler les passoires thermiques, lesquelles me semblaient devoir être traitées en priorité par rapport aux biens classés E. Barbara Pompili vous a sans doute dit qu'elle avait un avis différent, auquel je n'étais pas pour autant hostile. Avons-nous imposé cette obligation trop rapidement ? Les délais étaient-ils tenables ? Nous sortions alors de la crise du covid, avant le début de la guerre en Ukraine et le prix des matériaux n'avait pas encore explosé. Pour mener à bien ce genre de politique, il faut donner un signal clair, et il est déjà arrivé que le Parlement et le Gouvernement décalent de quelques mois des dates d'application, quand celles qui étaient prévues initialement se révèlent impossibles à respecter. Le cas échéant, nous pourrions donc desserrer un peu ces délais. À mon sens, le signal est là et le fait que beaucoup de passoires thermiques soient en vente n'est pas une mauvaise nouvelle. La mauvaise nouvelle serait qu'un bien classé G soit vendu au même prix qu'un bien classé B. Dans ce dernier cas, l'acheteur n'aura pas de travaux à faire, quand, dans le premier, il devra se lancer dans un chantier important pour isoler son acquisition. Le signal doit donc être dans le marché et les biens mal isolés doivent coûter proportionnellement moins cher, car ils nécessitent un investissement complémentaire, que la banque doit également financer. C'est donc une bonne nouvelle si le rythme se maintient et si l'on parvient à faire exécuter les travaux.