Je vous remercie de vous être saisis de ce sujet ô combien important d'un point de vue climatique, puisque vous avez tous en tête le rôle du logement au regard du réchauffement climatique, mais aussi d'un point de vue social. Le changement climatique constitue l'un des plus grands vecteurs d'inégalités sociales et il revêt un enjeu humain, le logement étant le lieu où nous passons la majeure partie de notre vie. Dans un logement mal isolé, les enfants ne peuvent pas bénéficier des mêmes chances de réussite que les autres. Il s'agit donc d'un sujet absolument essentiel, et l'efficacité des politiques publiques constitue un objectif transpartisan ; et c'est effectivement là l'une des missions du Sénat que de s'interroger sur cette question.
Vous m'interrogez sur mon bilan, ma satisfaction et mes regrets.
Permettez-moi, tout d'abord, de citer un ancien sénateur qui fut aussi ministre du logement, à savoir Edgard Pisani. Pour décrire l'efficacité de l'action politique, celui-ci soulignait que la politique représentait deux choses : la vision et le quotidien - la bonne politique reposant sur la vision et les effets du quotidien, la mauvaise politique se focalisant uniquement sur les outils. Cette paraphrase résume assez bien ce qu'il faut faire en matière de politique du logement. En effet, vous en conviendrez, dans le cadre de cette politique, on parle beaucoup et essentiellement des outils, des outils parfois fort complexes, que nous aimons à modifier ou à créer dans chaque loi de finances. Mais il est essentiel de revenir à la vision et au quotidien.
La vision correspond à cette impérieuse nécessité d'accélérer encore la rénovation énergétique des bâtiments, au regard des enjeux climatiques, sociaux et humains. Le quotidien représente, quant à lui, la possibilité d'évaluer le nombre de rénovations réalisées année après année - je reviendrai sur ce sujet essentiel.
Au regard de cette première considération, je vous ferai part de cinq grandes conclusions nécessaires pour avoir une vision et se préoccuper du quotidien.
Premièrement, nous devons retrouver le temps long, c'est la grande difficulté en politique. Nous sommes tous confrontés à ce problème en tant que membres de l'exécutif ou parlementaires. Il importe de ne pas tomber dans la politique de l'émotion. Je sais que vous vous posez la question de la mise en place d'une loi pluriannuelle : j'ignore s'il s'agit du bon outil, mais je sais ô combien que la planification est importante. Je me souviens avoir, par exemple, tenté de faire perdurer la garantie Visa pour le logement et l'emploi (Visale), alors que beaucoup me conseillaient de changer son nom, afin que celle-ci soit attachée à mon nom ou au Président de la République en place. J'ai toujours considéré que ce changement aurait constitué une faute, puisque l'enjeu est bien de s'inscrire dans la durée, y compris en ce qui concerne les dénominations des dispositifs.
Deuxièmement, il faut absolument remettre l'humain au centre de la réflexion. En effet, dans le cadre des auditions que vous avez menées sur la question de la rénovation énergétique des bâtiments, un terme n'a pas été encore suffisamment mentionné : le reste à charge. La question du reste à charge zéro est essentielle. Faut-il arriver à un reste à charge zéro et pour qui ? Le reste à charge représente souvent une barrière pour beaucoup de nos concitoyens dans la mise en oeuvre des travaux de rénovation.
Troisièmement, la gouvernance doit être adaptée à la vision de la politique énergétique. Je suis de ceux qui considèrent qu'il est totalement pertinent que le ministère du Logement soit rattaché au ministère de la transition écologique. Lorsque le ministère du logement était en charge de l'Anah et celui de la transition énergétique des C2E, il existait forcément une perte d'efficacité. Emmanuelle Wargon vous a également parlé de la façon dont certaines questions s'étaient posées dans le cadre du pilotage de France Rénov' entre la gouvernance de l'Anah et celle de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), cette gouvernance étant forcément différente si le ministère du logement est dissocié de celui de la transition écologique.
Quatrièmement, il n'existe pas de politique publique efficace sans monitoring : nous devons être capables de dire à chaque instant, chaque fin d'année, combien de logements ont été rénovés, selon quelle qualité en vue de comparer ce chiffre avec l'objectif à atteindre. Lorsque j'étais ministre délégué au logement et à la ville, je me souviens avoir demandé que les chiffres de la rénovation soient publiés au même rythme que celui des constructions neuves. Or, alors que j'avais fixé la rénovation des bâtiments comme l'une des principales priorités, il m'était impossible de publier ces résultats et de les évaluer par rapport à mes engagements, ne rendant ainsi que plus difficile votre rôle de parlementaires de contrôler l'action du Gouvernement. C'est pourquoi nous avons créé l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE). Même si des décalages dans le temps demeurent, il me paraît essentiel que le ministère de la transition énergétique soit en capacité de publier les chiffres de la rénovation ; je pense d'ailleurs qu'il faudrait le faire à l'échelle départementale et pas seulement nationale, avec une granulométrie géographique.
Cinquièmement, une politique publique pour qu'elle soit sociale et efficace doit bénéficier d'un accompagnement. C'est folie de croire que, sous prétexte que nous aurions inventé un bon outil, celui-ci pourrait être déployé partout sur le territoire. C'est faux ; il faut un accompagnement même si celui-ci s'avère ardu. En effet, certaines familles m'ont rapporté qu'elles avaient dû s'adresser à quatre ou parfois cinq guichets différents pour pouvoir bénéficier de l'ensemble des aides, celles du département, de la région, de l'intercommunalité et de l'État, afin d'avoir un reste à charge le plus bas possible. Des associations accompagnement même les ménages les plus précaires pour constituer ces dossiers extrêmement complexes. Nous avons oeuvré depuis pour simplifier les démarches, Emmanuelle Wargon ayant beaucoup travaillé sur ce sujet, comme elle vous l'a précisé.
À titre personnel, je ne crois pas au guichet unique. Un guichet unique n'est en définitive qu'un guichet additionnel qui s'ajoute aux guichets existants. En revanche, je pense que l'ensemble de ces guichets doivent être en capacité de proposer la même offre à l'ensemble de nos concitoyens. Lorsqu'un guichet est sollicité, celui-ci devrait s'adresser aux autres pour permettre aux citoyens de bénéficier in fine de la totalité de l'offre. Que divers guichets proposent une offre unique et unifiée est l'un des meilleurs systèmes possible.
Concernant mes retours d'expérience, j'évoquerai tout d'abord la transformation du crédit d'impôt en MPR. J'insiste sur le fait qu'il s'agit, pour moi, de la meilleure décision. C'est un dispositif que nous avons élaboré de concert avec Emmanuelle Wargon, à la demande du Premier ministre Édouard Philippe, et qui a été créé au début de l'année 2020, juste avant la pandémie de covid-19. Si cela était à refaire, je le referais, pour une seule raison au moins, qui justifie à elle seule la démarche : la question de l'accessibilité de ces aides aux ménages les plus précaires. En effet, un crédit d'impôt diffère d'une année le versement de cette aide. Or la question de la trésorerie est absolument essentielle pour ces ménages - un crédit d'impôt n'est pas un outil social, contrairement à MPR.
Le deuxième élément porte sur la question de la rénovation globale au regard des du financement des gestes de rénovation. Il est primordial d'aller vers cette rénovation globale sans jamais nier la réalité, c'est-à-dire l'existence d'un parcours de rénovation. Il est donc essentiel de continuer à financer les gestes de rénovation, quitte à prévoir un accompagnement sur l'intérêt de procéder à une rénovation globale.
Le troisième point sur lequel je souhaite insister porte sur la question de savoir s'il faut privilégier l'interdiction ou l'incitation, ce qui me permet également de répondre à votre question sur l'interdiction de louer. Je fais partie de ceux qui considèrent que l'incitation vaut toujours mieux que l'interdiction. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas procéder à des interdictions, mais celles-ci ne sont jamais suffisantes, sauf dans certains cas très précis - en témoigne le combat que nous avions mené ensemble contre les marchands de sommeil. À ce titre, j'ai des regrets quant au dispositif que nous avions créé - le dispositif Denormandie dans l'ancien qui porte toujours mon nom. Comme je l'avais résumé à l'époque : « Ayez la défiscalisation heureuse. » En effet, il s'agit de défiscaliser grâce à la rénovation des bâtiments et des centres-villes plutôt qu'à l'urbanisation périurbaine. Je ne porte pour autant pas de jugement sur la nature de l'habitat, mais je parle de l'utilisation de la défiscalisation. Nous devons continuer à promouvoir de tels dispositifs incitatifs pour faire en sorte que cette défiscalisation contribue à la rénovation, et donc à la revitalisation, des centres-villes.
Concernant cette question de l'interdiction, il faut aussi s'interroger sur l'interdiction locative au regard d'autres dispositifs. Le Président de la République s'était engagé, en tant que candidat en 2017, à interdire les passoires thermiques à la location, engagement qui a été depuis lors tenu en raison des lois que vous avez évoquées. Il y a là un impact social évident, d'où la nécessité de placer le curseur au bon endroit pour ne pas créer d'autres problèmes. Le ministre François de Rugy avait proposé de conditionner la vente d'un bien à une forme de séquestration du montant des travaux, déduit du montant de la vente. J'ai toujours été fermement opposé à ce mécanisme pour une raison simple : ce mécanisme favorise l'assignation à résidence. Si un propriétaire possédant un pavillon en zone détendue trouve un travail en zone tendue et souhaite vendre son bien pour acheter en zone tendue, la valeur de sa maison sera totalement diminuée en raison du montant du séquestre des travaux, alors que ce différentiel serait bien moindre en zone tendue. Ce mécanisme crée donc une assignation à résidence. Je ne dis pas que le dispositif adopté est parfait, mais il est meilleur que celui-ci.
Le calendrier proposé aujourd'hui est-il le plus adapté ? Ayant quitté mes fonctions, je ne saurais le dire. Il vous faudra poser la question au ministre actuel.
S'agissant toujours de la question de l'incitation ou de l'interdiction, j'estime que l'ouverture de MPR aux bailleurs, après de longs débats, a constitué une très bonne mesure qu'il faut faire perdurer. Cette question de l'information renvoie finalement au débat sur la fiabilisation du DPE, qui est un sujet complexe, mais ô combien important.
Enfin, je souhaiterais vous faire part de quelques points relatifs à mon retour d'expérience.
S'agissant tout d'abord des outils de financement, je pense que, contrairement à ce que certains ont pu affirmer lors des débats publics, la rénovation énergétique des bâtiments n'est pas quelque chose de rentable sur un temps court, c'est-à-dire sur le temps total d'habitation du bâtiment pour un occupant. En effet, on estime que la durée moyenne d'occupation d'un bâtiment par un propriétaire est de huit ans et demi. Or, très rares sont les opérations de rénovation énergétique qui ont une rentabilité sur une telle période. Nous devons prendre en compte ce postulat. Du fait de cette temporalité dans le logement, il convient d'assumer la subvention d'une partie de ces travaux.
À mes yeux, la rénovation thermique sans subvention n'est pas économiquement viable, en tout cas pas suffisamment rapidement. J'ai un regret au sujet de la question de la rénovation thermique des copropriétés.
Quelques semaines avant le drame de la rue d'Aubagne, à Marseille, nous avions lancé le plan Initiative copropriétés, pour traiter des copropriétés dégradées. S'agissant de la rénovation thermique des copropriétés, si nous ne l'avons pas encore trouvée, j'estime que la meilleure solution serait de faire en sorte que ce ne soit pas le propriétaire qui s'endette, mais la copropriété. Ainsi, lors d'une mutation dans le logement, un portage de la dette de l'ancien propriétaire vers le nouveau serait pertinent. Nous avions tenté de porter un tel dispositif avec le réseau Procivis. C'est une solution à laquelle il convient de réfléchir.
Je veux attirer votre attention sur trois derniers points.
Les bailleurs sociaux sont partie intégrante du volet logement, avec le doublement des financements de l'Anru.
Lorsque je suis entré en fonctions, le ministère du logement n'avait pas la tutelle ni la mise à disposition de la direction de l'immobilier de l'État (DIE), laquelle dépend du ministère du budget. J'avais alors obtenu la mise à disposition de la DIE, ce qui, à mon sens, est essentiel. Certains s'interrogent sur la rénovation des bâtiments publics. En effet, la DIE ne doit pas être perçue comme un organe avec le seul prisme budgétaire, mais il doit être également doté d'une politique d'habitat et de logement.
Enfin, j'évoquerai une vaste question, celle de la décentralisation. Je suis favorable à la décentralisation de la politique de logement. C'est le maire ou le président d'intercommunalité qui détermine les politiques d'habitat. C'est pourquoi j'ai toujours été opposé au retrait du permis de construire dans la main des maires.
La question de la décentralisation des politiques de logement est très compliquée, car de nombreux outils fiscaux sont en jeu. Si le fonctionnement d'une agence, au niveau national, qui fixe les outils, le cadre, le budget, apparaît fort utile, l'accompagnement ou la distribution des aides, en revanche, peuvent être beaucoup plus déconcentrés. Il conviendrait de donner la compétence aux départements en matière de rénovation énergétique au titre des politiques sociales. En Grande-Bretagne, je crois savoir que les médecins auraient le droit de prescrire la rénovation des bâtiments. Si c'est vrai, c'est formidable ! En tout état de cause, la territorialisation de nos politiques de rénovation est probablement un enjeu essentiel, et c'est une direction à emprunter. C'est le sens de l'histoire.