Intervention de Corinne Le Quéré

Commission d'enquête Rénovation énergétique — Réunion du 6 mars 2023 à 15h00
Audition de Mme Corinne Le quéré présidente du haut conseil pour le climat

Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat :

Le HCC est en effet un organisme indépendant inscrit dans la loi Énergie-climat de 2019. Il est chargé d'évaluer la stratégie du Gouvernement en matière de climat et sa cohérence avec l'accord de Paris. Il compare les actions de la France par rapport à celles des autres pays et émet des avis et des recommandations indépendants et objectifs.

Le HCC doit rendre chaque année un rapport sur le respect de la trajectoire de baisse des émissions au regard du budget carbone de la France. Dans ce cadre, il effectue un suivi des émissions provenant des bâtiments. Le rapport prend aussi en considération l'impact socio-économique des actions. Le Gouvernement doit répondre à ce rapport dans les six mois. Ce cycle vertueux vise à rehausser le niveau des actions et à suivre leur évolution.

Le HCC a également publié, après une saisine du Gouvernement, un rapport de parangonnage sur la rénovation énergétique du bâtiment dans lequel nous avons comparé les actions de la France avec celles de la Suède, de l'Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni.

Notre dernier constat énonce que le secteur du bâtiment est responsable de 18 % des émissions directes en France. Avec le chauffage au fioul et au gaz, poste qui génère le plus d'émissions, et le secteur des transports, le bâtiment est l'un des grands secteurs émetteurs, quasiment au même niveau que l'agriculture et l'industrie. Les demandes en énergie pour se chauffer sont d'autant plus importantes que les bâtiments sont mal isolés : des pertes d'énergie pourraient être évitées. En outre, lorsqu'on prend en compte les émissions qui sont associées à l'électricité et aux réseaux de chaleur, la part des bâtiments s'élève à environ 28 %, soit un peu plus d'un quart des émissions.

Ce secteur peut et doit parvenir au « zéro émission » pour que la France atteigne la neutralité carbone en 2050 et réponde au changement climatique. Si nous n'atteignons pas cette neutralité carbone au niveau global, le réchauffement de la planète se poursuivra. L'objectif est donc très important, pour la France et pour le secteur du bâtiment.

Le secteur peut atteindre cet objectif de neutralité - ou presque - grâce à une rénovation thermique globale de l'ensemble du parc des bâtiments, à une augmentation de l'efficacité énergétique et au développement du chauffage bas-carbone, qui passe par la création de pompes à chaleur électriques ou sur des réseaux de chaleur. Nous pourrions penser qu'il suffirait de substituer au chauffage au gaz et au fioul le chauffage bas-carbone, mais la demande supplémentaire qui pèserait alors sur le réseau électrique serait trop forte compte tenu de la hausse anticipée de la demande émanant des autres secteurs, en particulier de ceux des transports et de l'industrie. L'amélioration de la performance énergétique des logements demeure donc essentielle. Par ailleurs, celle-ci entraine plusieurs co-bénéfices, dont la réduction de la facture énergique, l'amélioration du confort thermique et la réduction des externalités liées à l'énergie. Enfin, la rénovation énergétique constitue un gisement d'emplois important.

Pour atteindre la neutralité carbone dans le secteur du bâtiment le plus rapidement possible - ou parvenir à un résultat approchant -, il faut développer en France une planification à long terme, grâce à laquelle nous amplifierons les efforts déjà fournis et les maintiendrons dans la durée, jusqu'à ce que la neutralité carbone soit atteinte. En effet, les tendances observées ne permettront pas d'atteindre les objectifs de réduction inscrits dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

Avant de donner quelques chiffres, je souhaiterais souligner que le secteur du bâtiment figure parmi les trois secteurs émetteurs qui voient leurs émissions diminuer, avec ceux de l'énergie et de l'industrie. Les efforts fournis payent donc déjà et nous observons cette diminution depuis plus d'une décennie. La baisse est structurelle puisqu'elle s'appuie sur la réglementation environnementale 2020 (RE2020), qui donne des critères pour les bâtiments neufs, sur de nouveaux financements, débloqués en particulier dans le cadre du plan de relance, mais aussi sur le travail de l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE), qui produit des données permettant de guider l'action, en plus des instruments déjà existants.

Toutefois, le niveau de cette baisse n'est pas suffisant. Nous observons ce phénomène en France, mais aussi ailleurs : la tendance à la baisse est bien présente, mais celle-ci demeure trop faible. Si les émissions produites s'élèvent à 75 millions de tonnes de CO2 par an, elles ont diminué de 1,9 million de tonnes par année pendant la période 2015-2018, couverte par le premier budget carbone. Cependant, cette baisse a ralenti pendant les deux dernières années, en raison des mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire et de la progression du télétravail. Cette baisse annuelle des émissions devrait se situer entre 3 et 4 millions de tonnes pour correspondre à la trajectoire fixée par la SNBC pour la période 2022-2030. Par ailleurs, le nouvel objectif européen de réduction à l'horizon 2030 nous engage à dépasser ces objectifs inscrits dans la loi. Nous n'y sommes pas et le premier budget carbone a été dépassé. Il nous faut augmenter le rythme annuel de baisse de ces émissions.

Comme l'a confirmé le bilan de l'ONRE, le nombre d'opérations de rénovation a, quant à lui, fortement augmenté depuis 2016. Cependant, malgré leurs évolutions récentes, nos dispositifs de subvention et de financement encouragent peu les rénovations globales et profondes, qui permettent pourtant d'obtenir plus de gains que la rénovation par gestes, grâce au chauffage bas-carbone et à la rénovation de l'enveloppe.

À titre d'exemple, selon les données de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), les rénovations globales ne représenteraient que 0,1 % des travaux financés par le dispositif MaPrimeRénov'. De la même façon, le ciblage des autres aides encourage davantage des rénovations partielles aux gains énergétiques limités et de nombreux instruments encouragent ces gestes : la TVA à 5,5 %, l'éco-prêt à taux accessible et sans condition, mais aussi certaines dispositions ponctuelles de certificats d'économies d'énergie (C2E). Les travaux ainsi financés sont pour l'essentiel immédiats et ne permettent pas d'atteindre une performance globale satisfaisante. L'objectif est donc de s'ancrer dans une trajectoire de massification de la rénovation énergétique complète performante.

La RE2020 structure les stratégies des acteurs de la construction, ce qui représente une avancée très positive. Mais cette réglementation doit déjà s'adapter à la révision de la directive européenne sur la performance énergétique du bâtiment, notamment à l'exigence de constructions neuves à émission nulle d'ici à 2030, voire avant.

Afin d'améliorer la situation et de favoriser le développement de cette trajectoire de massification, le HCC a formulé plusieurs recommandations.

En premier lieu, il faut réorienter la rénovation des bâtiments vers des parcours de rénovations globales performantes. Dans cet objectif, mettre en cohérence et unifier nos dispositifs d'aide paraît essentiel, afin de faciliter et d'accroître l'ambition des parcours, en gardant à l'esprit une trajectoire claire et en définissant des objectifs intermédiaires, en termes de nombre de rénovations, mais aussi de qualité attendue. De plus, il s'agit de réorienter les dispositifs pour privilégier les parcours de rénovation maximisant les économies d'énergie et de planifier les parcours de rénovation dans la durée, notamment à l'aide de maîtres d'ouvrage et de feuilles de route.

En deuxième lieu, il faut renforcer l'accompagnement des ménages en situation de précarité énergétique. À ce titre, nous proposons d'organiser le subventionnement des rénovations globales profondes, soit en visant un reste à charge nul pour les ménages les plus précaires, soit à l'aide de dispositifs d'accompagnement tels que des prêts ou des parcours de rénovation, pour les autres ménages.

En troisième lieu, nous recommandons le conditionnement des aides publiques à l'exigence de résultats. À la suite de l'étude de parangonnage, nous avons constaté que c'est l'un des éléments de l'approche allemande qui fonctionne bien. Nous suggérons de réaliser une évaluation annuelle de l'efficacité des dispositifs d'aide, en prenant en compte une estimation des réductions attendues, pour conditionner les aides à l'obtention de résultats. Il nous faut passer du remboursement de factures au financement de la performance et à la maîtrise de l'ouvrage, pour faire en sorte que l'argent public finance des rénovations vraiment performantes.

En quatrième lieu, afin de massifier ces rénovations et d'inscrire le processus dans la durée, il faut renforcer la formation des professionnels de la filière. Pour ce faire, nous proposons de mieux structurer la filière du bâtiment en mettant en place des formations et en assurant la montée en compétences des professionnels du secteur. Il s'agira aussi de développer une programmation pluriannuelle des financements publics, qui doit s'intégrer dans le cadre budgétaire de l'État et chiffrer les coûts des orientations de la SNBC, en matière de rénovation des bâtiments notamment.

En cinquième lieu, le HCC recommande de mettre en oeuvre et de consolider la RE2020. À cet égard, il faut dès maintenant anticiper les dispositions de prise en compte de l'adaptation au changement climatique dans la définition et l'application du label associé à la RE2020.

En sixième et dernier lieu, nous proposons d'accroître fortement le potentiel des réseaux de chaleur. Si la Suède a avancé de manière profonde en matière de rénovation énergétique des bâtiments, c'est en partie grâce au développement des réseaux de chaleur, qui semblent très efficaces aussi aux Pays-Bas, où des feuilles de route régionales permettent d'encourager leur développement.

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