La France est très en retard par rapport à ses voisins en ce qui concerne les émissions de carbone des bâtiments et les rénovations énergétiques performantes. Il s'agit pourtant d'un enjeu important, car le secteur du bâtiment représente 27 % des émissions de gaz à effet de serre et 45 % de notre consommation d'énergie. Il est absolument essentiel de faire des rénovations énergétiques performantes si l'on veut tenir notre objectif de zéro émission nette en 2050. Nous sommes en dessous de la trajectoire de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Le Haut Conseil pour le climat estime qu'il faudrait réaliser 370 000 rénovations énergétiques performantes chaque année à partir de 2023, or nous n'en avons réalisé que 50 000 en 2021 et 2022. À partir de 2030, il sera nécessaire de réaliser 700 000 rénovations énergétiques performantes par an. On en est loin.
Nous avons étudié la question des obstacles à la massification et à la montée en qualité des opérations de rénovation énergétique. La question centrale est celle du financement. On mobilise déjà beaucoup d'argent public ou d'épargne des ménages en faveur de la rénovation énergétique - environ 15 milliards d'euros chaque année -, mais selon l'Institut de l'économie pour le Climat (I4CE), il faudrait dépenser 10 milliards d'euros supplémentaires chaque année pour tenir les objectifs de la SNBC. Or chacun sait les contraintes qui pèsent sur nos finances publiques et sur les budgets des ménages. Les ménages hésitent à s'endetter. Ceux qui s'endettent pour acheter un logement sont souvent à la limite de leurs capacités d'emprunt, et ils n'ont pas toujours les moyens de faire des travaux de rénovation.
La question du financement est donc essentielle. Nous avons cherché à déterminer un nouveau vecteur de financement : nous proposons d'utiliser les économies d'énergie réalisées grâce aux rénovations comme sources de financement : elles pourraient être estimées en amont et être considérées comme des ressources ou un apport des ménages, ce qui réduirait de facto le montant qu'ils auraient à emprunter.
Un autre obstacle tient à la multiplicité des acteurs avec lesquels doivent traiter les ménages : en dépit de la création du guichet unique France Rénov' ou de l'existence de sociétés de tiers-financement, les démarches de rénovation énergétique restent complexes. Les particuliers doivent gérer des relations avec plusieurs entreprises ; on manque d'acteurs qui réaliseraient des opérations de rénovation globales. Comme les rénovations énergétiques réalisées à une époque étaient peu performantes, on observe aussi un manque de confiance envers les acteurs de la rénovation. Il est donc essentiel de rétablir la confiance en alignant les intérêts des particuliers qui réalisent les travaux, de la collectivité et des entreprises si l'on veut parvenir à multiplier les rénovations énergétiques performantes au meilleur coût. De même, si un propriétaire bailleur réalise une opération de rénovation, il doit en supporter le coût alors que le résultat bénéficie d'abord aux locataires. Là encore, il faudrait parvenir à aligner les intérêts en présence.
Nous avons travaillé sur la notion d'« opérateur ensemblier », une entreprise qui assurerait à la fois la conception des travaux, la maîtrise d'oeuvre, en pilotant les sous-traitants, et le financement du projet ; elle se rembourserait sur la baisse de la facture énergétique des résidents du logement rénové en récupérant le montant des économies réalisées. Les particuliers ne dépenseraient donc pas plus, n'auraient pas à puiser dans leur épargne ou à s'endetter, tout en améliorant leur confort. Plusieurs acteurs se sont déclarés intéressés. Une bonne partie des rénovations énergétiques pourraient être réalisées de cette manière. Avant la hausse du prix de l'énergie, on avait calculé qu'un tiers des opérations de rénovation énergétique performante pouvaient être financées grâce aux économies d'énergie réalisées. Ce chiffre a encore augmenté avec la hausse de l'énergie.
Les aides publiques pourraient être mieux utilisées en les mobilisant, tout en tenant compte des revenus des ménages, vers les bâtiments dont la rénovation ne peut pas être financée par les économies réalisées sur la facture d'énergie : les bâtiments historiques ou en centre-ville, haussmanniens par exemple, pour lesquels les rénovations sont plus chères.
Un tel mécanisme serait gage de simplification. Les ménages n'auraient qu'un seul interlocuteur, l'opérateur ensemblier, qui financerait et superviserait l'ensemble de l'opération et se rembourserait grâce aux économies d'énergie. Ce mécanisme alignerait aussi les intérêts des locataires et des propriétaires dans les copropriétés. La performance serait améliorée, car si les travaux sont peu performants ou mal réalisés, c'est l'ensemblier qui en supporterait le coût. Les collectivités territoriales pourraient aussi recourir à des ensembliers pour rénover des quartiers : les coûts seraient réduits grâce aux économies d'échelle, incitant les propriétaires à passer par cet opérateur, dans un climat de confiance retrouvée. Cette démarche peut aussi inciter à doter les bâtiments d'équipements produisant de l'énergie, afin de développer l'autoconsommation d'énergie ou la géothermie, etc. Ces opérateurs pourraient aussi intervenir sur la gestion de l'eau par exemple.