Au cours de ma carrière, j'ai surtout, entre 1996 et 2015, dirigé l'établissement public foncier (EPF) du Nord-Pas-de-Calais. J'y ai conduit des requalifications de friches minières, industrielles, urbaines et de tout nature - polluées ou non - correspondant à une superficie de 5 000 hectares de friches ce qui représentait la moitié du volume identifié dans les années 1990, dans le cadre des politiques publiques soutenues, en particulier, par le fonds européen de développement régional (Feder). J'ai souhaité prolonger cette expérience, après mon départ en retraite, en créant le laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti) : il s'agit d'un fonds de dotation, comme une fondation, avec des partenaires privés - j'appartiens moi-même à cette catégorie - qui ont souhaité mettre en place un centre de ressources sur les questions foncières appréhendées dans leur transversalité, à 360 degrés et donc sous tous les angles : logement, environnement et développement économique.
À travers la question du foncier, dans laquelle doivent s'impliquer les propriétaires, les aménageurs et d'autres acteurs du secteur public ou privé, nous avons immédiatement identifié le gisement des friches. J'ai connu la période où les inventaires de friches se limitaient aux friches industrielles, essentiellement dans les régions l'arc Nord-Est de la France. Ces friches faisaient l'objet, soit d'opérations de requalifications, soit d'une prise en charge par des collectivités locales porteuses de projets d'intérêt public, ou encore, hors marché, pour traiter ces friches dont on ne savait plus quoi faire. Dans le Nord-Pas-de-Calais, beaucoup de ces friches étaient d'origine minière et celles-ci se sont souvent transformées en gisements de biodiversité. Nous avons donc expérimenté le lien entre reconversion des friches et reconversion d'espaces pour une biodiversité régénérée. Nous avons également traité d'importants sites pollués comme ceux de Pechiney (PCUK), notamment à Wattrelos, avec une opération qui a servi de prototype pour amener l'État à réfléchir sur la notion de tiers demandeur et sur les modalités de transfert pour la remise en état des sites. S'y ajoutent des opérations ayant pour objectif la création de logements, qui relèvent du portefeuille de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) ainsi que des EPF institués dans ce but.
Dès la création du Lifti en 2017, nous avons tout de suite posé la question de l'inventaire. En effet, il faut rappeler que les fonds européens se sont surtout déplacés vers l'Europe centrale et orientale et que la Commission européenne, comme l'État, se sont surtout intéressés aux friches susceptibles de produire à nouveau de l'activité économique et de l'emploi ; si bien que nous nous sommes retrouvés avec des panels de friches hors marché qui soulevaient des difficultés, avec, simultanément, une absence de mise à jour des informations. Tout ceci a abouti à une obsolescence des bases de données : je ne parle pas ici de Basias mais de l'information sur les friches, qui recoupent plus ou moins Basol et Basias.
Il fallait donc, pour traiter la question des friches, commencer par traiter la question de leur identification. Tel a été l'objet de la mission que nous avons confiée à la Junior entreprise de Centrale Lille qui a établi un premier état des lieux que je vous ai transmis et qui montre la grande disparité des situations territoriales, avec des travaux d'inventaire ponctuels qui ont étés menés sans vision d'ensemble. Pour reconstruire une vision globale, il ne faut plus se limiter aux seules friches industrielles. En effet, des friches impactées par la digitalisation de l'économie sont apparues non seulement dans les secteurs industriels mais aussi ruraux, avec une dispersion sur l'ensemble du territoire. D'où la nécessité de reprendre la question des friches en élargissant le concept : une friche, c'est, au fond, un bien laissé à l'abandon et ne peut pas retrouver un intérêt sur le marché, soit parce qu'il n'y a plus de perspective économique, soit parce que l'ampleur de la remise en état du site n'est pas rentable pour un opérateur privé. Nous avons donc élargi la cible de l'inventaire à tout type d'espace abandonné : militaire, SNCF, hôpitaux, centres commerciaux, logistique, reconversion des sites industriels datant des années 1970.
C'est une des raisons pour lesquelles nous avons été associés par la secrétaire d'État Emmanuelle Wargon au groupe de travail sur la réhabilitation des friches et, en particulier, à la coprésidence d'un groupe de travail sur les inventaires, avec l'association des maires de France (AMF). Nous avons tenu des réunions entre juillet et septembre 2019, puis remis un certain nombre de propositions et d'indicateurs endogènes - qui qualifient les sites - et exogènes - pour caractériser l'environnement du site. Les deux sont liés : on ne peut pas reconvertir une friche sans faire le lien avec sa localisation et tenir compte de son contexte en termes de politiques publiques, d'environnement, d'attractivité, de risque... Nous travaillons donc à une « structuration de la data » pour disposer d'outils adaptés, avec une démarche de « bottom up - top down ».
Cela signifie que le meilleur lieu pour construire l'information est local. Pour avoir piloté, en lien avec le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la constitution de fichiers Basias, je peux souligner que le contact du terrain est fondamental, avant de « rabouter » les informations avec les données nationales. Le niveau territorial est déterminant car c'est là que les données vont servir le plus directement, avec la plus grande efficacité. Ensuite, il faut bien entendu pouvoir comparer ces données et les assembler : le niveau régional est ici important pour donner du sens à ces informations afin de mieux documenter les politiques régionales articulées avec le niveau national et européen. Le récolement au niveau national doit enfin permettre de rencontrer les grandes stratégies que l'État peut porter dans ce domaine.
Je tiens beaucoup à ce lien entre le local et le national et, pour le fortifier, nous avons besoin de référentiels partagés. Tel est le sens de notre travail et nous avons transmis au ministère concerné le référentiel que nous avons construit. Nous sommes aujourd'hui au milieu du gué. Nous envisageons, avec l'AMF, de poursuivre la mise en réseau des informations sur les friches.
Ces inventaires doivent structurer une connaissance de base, sans leur demander l'intégralité des opérations conduites sur les friches, d'autant que, selon le projet dont on est porteur, le besoin d'information est différent. Il faut donc bien distinguer une couche infrastructurelle de données qu'il faut homogénéiser au niveau national, et l'autre sujet qui s'ouvre quand on rentre dans une phase opérationnelle : celle-ci doit alors s'appuyer sur la documentation utilisée par le propriétaire, le porteur de projet. Il faut donc résister à la tentation de vouloir tout savoir sur les friches, ce qui aboutit à des blocages faute de moyens et d'ingénierie suffisants.
Il est donc important qu'une telle démarche d'inventaire ne doit pas être octroyée par l'État - par exemple sous forme d'un logiciel devant être téléchargé par les collectivités - mais qu'elle puisse, dans un schéma « bottom up », s'appuyer sur les remontées de terrain.
Les revendications en termes de financement d'ingénierie et de projets doivent pouvoir être exprimées. Le Lifti est attentif au processus de financement complet de la chaîne du recyclage, depuis sa conception jusqu'aux actions opérationnelles portées par le public ou le privé. Il faut ici voir précisément qui doit apporter sa contribution et à quel moment, sans se contenter de la mobilisation des fonds européens, du financement des travaux, des possibilités de défiscalisation pour le propriétaire... Nous souhaitons donc stimuler une approche globale à partir d'une connaissance active, intelligente - c'est la base de tout projet efficace - et rattachée à des démarches de suivi et d'évaluation des politiques publiques. Pour savoir où on va, il faut connaître plus précisément les gisements de friches ainsi que les projets de réhabilitation, tout en mettant en place des outils de conception et de suivi, en développant des démarches itératives pour opérer les ajustements nécessaires.