S'agissant du dispositif du tiers demandeur, je précise avoir contribué à l'élaboration - ou à la promotion, à travers nos opérations de terrain - de l'article 173 de la loi ALUR. Le fait d'inscrire des informations sur les sols pollués dans les pièces annexes des documents d'urbanisme a été une grande avancée pour réarticuler le code de l'environnement, dans son volet gestion des installations classées, et le droit de l'urbanisme décentralisé auprès des collectivités territoriales. Le sujet vient juste de démarrer. Dans ces périmètres pollués où un aménageur souhaite intervenir, une procédure s'applique pour le suivi conforme de son projet mais dans les autres zones, nous n'en sommes pas encore là. Nous avons donc franchi une première étape liée à l'évolution des esprits. C'est un mécanisme presque culturel qu'il faut insuffler lorsqu'on intervient dans des espaces urbains qui ont été pollués et comportent divers risques pour la santé et l'environnement. Nous sommes en train de prendre conscience de ces phénomènes et cela concerne aussi bien les élus locaux et les populations que les façons de travailler avec les services de l'État.
Il faut aussi introduire une culture de la démarche de projet - qui va au-delà de l'approche purement réglementaire - pour venir en aide au porteur de projet : j'ai vécu sur le terrain des réussites qui reposent sur une adhésion générale à un projet. La clef de la réussite réside encore plus dans la pratique des acteurs publics et privés que dans la modification des documents d'urbanisme. N'oublions pas également l'importance de l'implication du propriétaire. Depuis 1968, la problématique de l'urbanisme reposait un peu sur la tendance à « sortir le propriétaire » : il fallait empêcher le propriétaire - d'un terrain le plus souvent agricole - de capter la plus-value résultant du changement d'usage pour faciliter le financement d'infrastructures dans les opérations d'aménagement. Aujourd'hui le problème se pose différemment : nous sommes en présence de biens complexes et on prend des risques en expropriant des friches car on ne connait pas bien leurs caractéristiques. Il est dès lors nécessaire de partager les données avec le propriétaire dès le départ de l'opération tout en l'associant à la construction de l'information la mieux adaptée. Je me situe donc ici sur le plan des pratiques plus que de la réglementation.
S'agissant du dispositif du tiers demandeur, il se trouve que je préside également le groupe de travail « sites et sols pollués » du conseil supérieur de la prévention des risques technologiques dont la dernière réunion a eu lieu le 4 juin 2019. Nous avons à cette occasion demandé à l'administration de nous informer sur l'avancement des dossiers relevant de ce dispositif. Bien entendu, certains dossiers font l'objet de négociations et leur contenu ne peut pas être dévoilé mais il faudrait progresser dans la diffusion des informations, au-delà de l'arrêté préfectoral qui désigne le tiers demandeur. On pourrait imaginer que le ministère concerné informe sur les opérations en cours pour qu'on puisse juger de leur état d'avancement.
J'estime que ces démarches sont prometteuses car elles sont utilisées par les industriels pour gérer entre eux des transferts d'usage ou des reprises de sites, grâce au cadre juridique du tiers demandeur qui est plus solide qu'auparavant. Ce mécanisme va donc dans le sens d'une clarification des responsabilités. Il est important de bien noter, pour le preneur - tiers demandeur que sa responsabilité n'est engagée que sur la partie du projet qu'il porte et qu'il va gérer : ce point n'est pas encore suffisamment bien connu par des preneurs qui pensent souvent à tort être concernés par l'ensemble des dispositifs ICPE qui s'appliquent à l'ancien détenteur-exploitant. Or l'ancien exploitant reste redevable vis-à-vis de l'administration des obligations concernant les biens non transférés. Il y a donc là plus de pédagogie à mettre en oeuvre.
Nous souhaitons une montée en régime du dispositif du tiers demandeur et, à ma connaissance, des dossiers importants sont en cours de préparation, ce qui permettra aux détenteurs industriels de multiples sites de réfléchir afin de se positionner avec une attitude proactive. J'ajoute que les premières opérations auxquelles on peut penser sont celles qui portent sur des opérations immobilières rentables, mais les projets peuvent également porter sur du foncier destiné à accueillir de la biodiversité, des centrales photovoltaïques...
S'agissant des garanties financières, j'avais noté que, pour les EPF d'État, la garantie n'est pas exigée mais il faut une démarche spécifique de la tutelle permettant aux EPF de s'engager comme tiers demandeur pour des opérations dont je rappelle qu'ils n'interviennent pas en tant qu'aménageurs. La difficulté est donc que l'engagement ne porte que sur une seule phase de l'opération de reconquête des friches que l'on appelle le pré ou proto-aménagement, avant la cession à un aménageur ou à un promoteur. L'EPF doit se contenter d'une remise en état et d'une préfiguration du site qui facilite l'aménagement mais il n'a pas la charge de ce dernier. Il faut donc adapter le cahier des charges dans ce cas précis et prévoir également comment de dossier géré par l'EPF peut être transféré vers l'aménageur : il y a donc une chaîne entre l'aménageur privé et public.
Nous signalons par ailleurs que la procédure devrait pouvoir s'appliquer non seulement après la déclaration de cessation d'activité mais aussi avant, pour pouvoir engager des démarches en mode projet : une telle adaptation doit être possible sans grande difficulté.
De plus, ce que je viens d'indiquer pour les EPF doit pouvoir s'appliquer également aux collectivités locales et à leurs opérateurs publics ou privés mandatés par ces collectivités. Dans ce dernier cas, un examen juridique plus poussé me paraît utile.
En ce qui concerne les cessions à l'euro symbolique, j'ai fait figurer dans le dossier un schéma qui explique comment, à partir d'un bien immobilier qui se dégrade, on peut aboutir à quatre cas de figure selon que le marché est porteur ou pas et selon que le site nécessite un niveau de travaux important ou pas. Il est possible de réaliser des travaux, y compris dans des zones en décroissance immobilière, si le coût de ces travaux est compatible avec la charge foncière de l'opération. Inversement, en zone tendue, on peut se retrouver dans des situations de blocages si le niveau de dépollution atteint des montants excessifs. Par conséquent, dans les cas de cession à l'euro symbolique, il est difficile de savoir a priori qui va bénéficier d'une « bonne affaire ». Il faut que les expertises préalables aux cessions soient les plus documentées possibles avec des règles de retour à bonne fortune que la société nationale des chemins de fer (SNCF) pratique assez bien en prévoyant un réexamen du prix en cas d'évolution du marché. Ce qui importe le plus est de mettre en place un mécanisme calcul à rebours pour déterminer si l'économie du projet nécessite ou pas l'aide apportée par un prix de cession fixé à un niveau faible ou à l'euro symbolique. Tout ceci renvoie à la nécessité d'une approche non pas spéculative mais portant sur la valeur économique du projet.
Enfin, votre question qui porte sur l'information des citoyens renvoie à mon propos précédent sur l'acculturation. Il faut construire le dialogue entre les acteurs mais je fais observer que l'on n'a pas exigé explicitement de mettre les secteurs d'information sur les sols (SIS) en annexe des documents d'urbanisme : on n'a pas osé l'écrire, ce qui témoigne d'une intention de procéder étape par étape. L'information doit ainsi être liée à une stratégie d'acculturation. Sur des projets précis, il faut sans doute « mettre les informations sur la table » en particulier pour favoriser le dialogue entre les associations et les diverses parties prenantes.
En tout état de cause, je distingue bien l'information générale, nécessaire pour construire des politiques publiques, et l'information liée à la démarche relative à un projet spécifique.