Intervention de Sébastien Lecornu

Mission commune d'information Effets des mesures en matière de confinement — Réunion du 8 octobre 2021 à 9h30
Situation sanitaire outre-mer — Audition de M. Sébastien Lecornu ministre des outre-mer

Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer :

Merci de m'avoir permis de participer à vos travaux, alors que je suis en septaine en Nouvelle-Calédonie, un an après une quatorzaine...

J'ai une pensée pour les personnes décédées et leur famille. La situation sanitaire est préoccupante dans de nombreux territoires. Les soignants sont mobilisés aux Antilles, en Guyane, dans le Pacifique.

Je remercie le Sénat pour ses travaux de qualité, notamment lors de l'examen du dernier projet de loi de prorogation de l'état d'urgence sanitaire et dans le cadre de cette mission d'information.

Le coronavirus intéresse moins nos concitoyens dans l'Hexagone, où il semble se conjuguer au passé ; mais il se vit au présent pour nos concitoyens d'outre-mer.

Je rappellerai d'abord les mesures de freinage qui ont été prises depuis mars 2020.

À cette époque, elles ont été uniformes sur tout le territoire de la République, y compris dans certains, comme la Guyane, où le virus n'était pas présent. Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon étaient ainsi covid free. Cette coupure brutale a eu des effets importants dans ces territoires notamment insulaires, difficilement connectés.

Les difficultés, dans la gestion de cette crise, sont liées à plusieurs facteurs : les cycles épidémiques en outre-mer n'ont pas été les mêmes que dans l'Hexagone, la géographie, les climats, les saisons étant différents. Dans certains territoires - je pense à Mayotte, cet été en Martinique et en Guadeloupe, désormais en Guyane et en Nouvelle-Calédonie -, la covid a explosé. Cet accordéon a rendu la gestion difficile, y compris pour la connexion avec l'Hexagone. Il y a des flux touristiques affinitaires à gérer, comme les vacances familiales, mais aussi les rentrées scolaires, les arrivées de fonctionnaires... La continuité territoriale est un principe constitutionnel. Au-delà des mesures de freinage interne, des motifs impérieux ont été exigés pour les déplacements, avec tests obligatoires.

Les mesures de freinage ont eu des effets rapides, d'autant que nous étions souvent en avance de phase. Les tests et le traçage ont été importants pour documenter en temps réel la reprise de l'épidémie. Des confinements très stricts ont été mis en place dans certains cas pour casser l'épidémie, dans d'autres pour éviter le démarrage de l'épidémie. Nous avons préfiguré des mesures prises dans l'Hexagone ensuite : en Guyane, nous avons testé le couvre-feu et des mesures différenciées selon les territoires - par exemple entre les zones du Maroni, de l'Oyapock et Cayenne.

Nous sommes partis du terrain - les préfets, les agences régionales de santé (ARS), les élus locaux, la communauté hospitalière. La tension hospitalière a été forte et dans une île, on ne fait pas de miracles. Les renforts hospitaliers ont été sollicités.

Concernant la situation hospitalière, c'est l'offre de soins qui permettra de redonner confiance et garantir la reprise. Jamais, dans l'histoire de la République, autant de renforts sanitaires n'avaient été dédiés à l'outre-mer, et je vous remercie de l'avoir rappelé lors de la discussion du projet de loi sur l'état d'urgence sanitaire : quasiment 8 000 professionnels sont venus - 4 700 réservistes sanitaires de Santé publique France et 3 200 professionnels du ministère de la santé. Actuellement, ils sont surtout présents en Guadeloupe, qui compte 2 000 soignants à elle seule, en Martinique et en Polynésie française. À ceux-ci s'ajoutent l'armée et les forces de sécurité civile. Le service de santé des armées et les services logistiques de la défense sont mobilisés, notamment pour les évacuations sanitaires, particulièrement délicates en outre-mer. Ce n'est pas la même chose que d'en réaliser entre Toulouse et Paris ! Outre-mer, 145 patients ont été évacués, pour un coût de 6,5 millions d'euros. Il y a eu 74 évacuations de Martinique, 63 de Guadeloupe, 8 de Polynésie française - des évacuations sanitaires hors normes et très délicates.

Cette crise a mis en évidence les grandes fragilités du système hospitalier et le retard dans l'organisation de l'offre de soins publique outre-mer. Le Ségur de la santé produira ses effets à terme, mais d'ici là, la covid demeure.

Par exemple, la reconstruction du centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre n'est toujours pas terminée, car la covid a ralenti les travaux. Les services ont dû gérer la crise dans l'ancien bâtiment. De même, la transformation du centre hospitalier en centre hospitalo-universitaire à Cayenne ne sera effective qu'en 2024 ou 2025. Une remontada importante est engagée outre-mer, mais la temporalité de ces mesures et celle de la gestion de cette crise sont différentes. Le Ségur de la santé outre-mer, c'est 1 milliard d'euros, avec des investissements importants et une revalorisation des salaires des soignants.

Par ailleurs, la vaccination est le point sensible outre-mer, comme je l'indiquais au président Larcher au mois de septembre. Ce n'est pas un problème de moyens. Les outre-mer sont les premiers territoires de la République à avoir reçu dès le 11 janvier des doses importantes de vaccins, notamment Pfizer. C'était un enjeu logistique important avec les supercongélateurs déployés par l'armée. C'était notamment nécessaire en Nouvelle-Calédonie et dans le Pacifique, pour éviter la tentation de recourir aux vaccins russes et chinois, alors que l'État n'est plus compétent dans le domaine sanitaire dans ces deux collectivités autonomes.

La vaccination dans ces territoires dépend de l'acceptabilité du vaccin, de la pédagogie et de l'éducation. Vous avez déjà évoqué les fake news et les débats politiques. Je suis ouvert à toutes les bonnes recommandations. L'État s'est-il trompé dans son approche sociale ? Ceux qui le disent ne précisent pas pour autant ce que serait la bonne approche. Là où les élites ou les organismes de médiation ont fait leur travail, la vaccination progresse. Ainsi, le Congrès de Nouvelle-Calédonie a décidé de l'obligation vaccinale. Ailleurs, la vaccination a été portée par de nombreuses élites culturelles, sociales, économiques, sportives, politiques, religieuses. Dans d'autres territoires, c'est malheureusement moins le cas et les préfets et l'ARS sont en première ligne, avec parfois des menaces de mort inacceptables ; je condamne ces violences, en particulier contre des personnels soignants ayant encouragé la vaccination.

Réussir la vaccination est un enjeu majeur. Elle progresse. C'est une préoccupation majeure en Guyane, où nous avons une épidémie de concitoyens non vaccinés. C'est la même chose en Nouvelle-Calédonie. Les chiffres sont têtus. Nous devons progresser dans « l'aller vers ». Les forces armées sont mises à contribution. Il reste beaucoup à faire. Des vaccinobus sillonnent les routes de La Réunion et les collectivités locales sont également mobilisées.

Le passe sanitaire s'applique sans difficulté à Mayotte, à La Réunion et Saint-Barthélemy. Les gouvernements de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie réfléchissent à sa mise mettre en place. En Guyane et aux Antilles, les confinements sont encore en cours. Saint-Pierre-et-Miquelon est le territoire où la population est la plus vaccinée.

Enfin, l'Insee et les services de l'État mesurent les impacts économiques et sociaux des mesures de confinement.

Les effets de la crise, à court terme, ont été moins importants en outre-mer que dans l'Hexagone, pour différentes raisons, notamment en raison de la surreprésentation de la dépense publique outre-mer, qui constitue une fragilité mais a relativement protégé ces territoires.

La résilience a été plus forte outre-mer en matière agricole. Le premier confinement a montré la dépendance alimentaire. Cet électrochoc a accéléré les transformations, et plusieurs secteurs économiques se sont autoportés pour faire face. Le PIB a reculé de 8 % dans l'Hexagone, mais de 3 à 6 % outre-mer.

Certes, le « quoi qu'il en coûte » a permis d'allouer 6 milliards d'euros à ces territoires : 3,5 milliards d'euros de prêts garantis par l'État (PGE), 1 milliard d'euros pour le fonds de solidarité, 830 millions d'euros de report de charges, et 650 millions d'euros pour l'activité partielle.

Ces aides n'ont pas suivi la même temporalité que dans l'Hexagone. Le fonds de solidarité, qui s'est éteint dans l'Hexagone, se poursuit outre-mer. Certains dispositifs qui ont disparu dans l'Hexagone font l'objet d'accompagnement et sont adaptés tant à la persistance de mesures de restriction qu'à la réalité économique ultramarine : doublement du plafond du fonds de solidarité en Guyane, modification des critères, des seuils, des périodes de référence, notamment car les saisons touristiques ne sont pas les mêmes que dans l'Hexagone...

Les compagnies aériennes ont fait l'objet d'un soutien particulier, et ont bénéficié de prêts et d'aides, notamment du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) qui a pu les recapitaliser, que ce soit Air France ou toutes les compagnies régionales - Air Tahiti Nui, Corsair, Air Austral...

Ma véritable inquiétude ne porte pas sur la manière dont les économies ont tenu, mais sur la manière dont elles vont se remettre de la crise à court, moyen et long terme. C'est tout l'enjeu du plan de relance.

Il y a des différences entre territoires : nous ne devons pas nous lancer dans une usine à gaz, mais accélérer ce qui était nécessaire et qui était déjà prêt. Par exemple, nous nous appuyons sur le BTP en Guyane pour construire les routes dont le territoire a besoin, nous poursuivons la modernisation sanitaire en Guadeloupe avec le CHU, nous aidons la transformation agricole à La Réunion. Nous renforçons aussi la construction de logements, puisque la filière BTP est structurante. Elle dépend souvent du secteur public, que ce soit l'État ou les collectivités.

La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et les collectivités d'outre-mer ont reçu des dotations particulières, même si l'État n'est en théorie plus compétent. Nous avons aussi intégré Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna dans le plan de relance. Les ministres Alain Griset et Jean-Baptiste Lemoyne annonceront prochainement des mesures pour le tourisme en outre-mer.

Les relations avec les collectivités sont encore plus importantes dans la gestion de la crise en outre-mer. La décentralisation y est plus sensible et plus complexe que dans l'Hexagone, en raison de l'éloignement, de la spécificité des ressources fiscales et de compétences différentes. Tantôt région et département cohabitent, tantôt la collectivité est unique. Les collectivités ont un rôle majeur à jouer dans la relance. En 2020-2021, les mesures de soutien que vous aviez votées pour les collectivités se sont appliquées en outre-mer. L'octroi de mer a également été mobilisé. Il est nécessaire d'assainir les finances ultramarines. C'est pourquoi nous avons augmenté la dotation globale de fonctionnement, les aides à l'ingénierie, et amélioré les délais de paiement - ils constituent un énorme enjeu pour les entreprises ultramarines.

Je ne suis pas optimiste sur l'évolution de l'épidémie dans certains territoires où la vaccination est faible. L'épidémie s'éloigne de l'Hexagone, mais nous aurons de longs moments de tension outre-mer avec des stop and go. La vaccination sera un véritable cadenas pour le plan de relance : les investisseurs privés attendent de voir la progression de la vaccination avant d'investir. Nous devons rester vigilants, avec des équipes de soignants qui sont fatigués, tant physiquement que moralement, en raison de l'ambiance et de la question vaccinale.

On ne peut pas déconnecter un territoire ultramarin de son environnement régional, par exemple Saint-Pierre-et-Miquelon du Canada, ou la Guyane du Suriname et du Brésil, que ce soit pour la situation épidémique ou pour l'ouverture des frontières. Cela nous conduit aussi à nous interroger sur notre capacité à entretenir des voies commerciales avec ces territoires, notamment dans le Pacifique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion