Cette question est au coeur de notre réflexion collective.
Monsieur Arnaud, la vaccination en outre-mer constitue en partie un échec, dont nos concitoyens sont les premières victimes. Pourtant, des moyens suffisants ont été déployés et des campagnes de communication lancées. À mon sens, cela s'explique par une prise de conscience plus tardive, dans ces territoires, de la gravité de l'épidémie. De fait, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française, par exemple, la première vague a été vécue très différemment qu'en métropole et la population s'est trouvée sidérée lorsque, cet été, le taux d'incidence a atteint un niveau invraisemblable. En outre, les fake news circulent largement sur les réseaux sociaux, parfois avec une certaine complicité des journalistes locaux. Ce phénomène irrationnel déstabilise nombre de soignants.
Certains ont voulu opposer la pharmacopée locale au vaccin, comme s'il y avait d'un côté les vaccins venus de Paris - alors qu'ils sont mondiaux - et de l'autre cette pharmacopée : cette opposition est une erreur, il faut en sortir. Enfin, des élites culturelles et spirituelles ont pu avoir tendance à se placer en retrait sur la vaccination, à ne pas s'engager, voire à manifester de la réticence ou du rejet ; ce n'est pas sans danger et nous sommes allés à leur rencontre. Nous le constatons en Nouvelle-Calédonie, le travail des autorités coutumières est décisif, leur présence aux côtés des équipes médicales fait que la campagne vaccinale fonctionne bien mieux.
Il faut comprendre qu'une partie de la population vit dans l'économie informelle, nous en avons tenu compte en faisant preuve de discernement : nous avons adapté nos référentiels, l'important étant de distinguer l'entrepreneur qui fraude de celui qui ne sait pas comment boucler son budget. Les chambres consulaires ont signalé les situations individuelles. Si l'on paie des impôts et des cotisations, c'est pour bénéficier d'une assurance lorsque cela va mal, c'est l'esprit qui sous-tend le principe de la sécurité sociale - nous avons répété ce catéchisme républicain et je remercie les représentants des filières économiques de nous avoir prêté main-forte.
Sur les aides aux ménages, le premier confinement a montré l'importance de l'aide alimentaire, car, avec la fermeture des flux, certains foyers se sont trouvés en grande difficulté d'approvisionnement, nous avons alors débloqué des moyens importants - plusieurs millions d'euros - en matière d'aide alimentaire. L'action du service public de l'emploi, avec les parcours emploi compétence (PEC), a également été très importante pour permettre aux jeunes ultramarins, et aussi aux moins jeunes, de retrouver de l'emploi et donc un niveau de ressources suffisant. Je remercie les collectivités territoriales de s'être engagées dans ce sens, en particulier Cyrille Melchior, le président du conseil départemental de La Réunion.
Faut-il décentraliser davantage les compétences sanitaires ? Comme élu local, je dirais plutôt oui, pour qu'il soit mieux tenu compte de la diversité des situations, mais, en tant que ministre, je crois qu'il faut faire très attention, car nos concitoyens considèrent que la santé est une question quasi-régalienne. L'enjeu est d'ordre national et relève des grands débats que nous devons avoir dans notre pays, en particulier lors des grandes échéances électorales comme celle que nous allons connaitre l'an prochain. Je remarque aussi que les territoires qui bénéficient d'un régime d'autonomie n'ont pas pu faire face seuls à cette pandémie mondiale, pour la simple raison que leur système de soins n'a pas été calibré pour un tel défi. Des questions juridiques se posent pour l'articulation entre les compétences : le sanitaire relève du pays, et donc la décision d'isolement en septaine ou en quatorzaine, mais l'arrêté qui restreint effectivement la liberté de circulation relève du Haut-Commissaire car cela touche aux libertés - cela me conduit à être favorable à un régime de compétences qui s'adapterait à la crise. Une clarification des compétences est donc utile, tout en tenant compte de l'attente de nos concitoyens en matière de santé au titre d'un domaine régalien et de la sensibilité aux questions d'égalité - je reçois des courriers contestant l'obligation vaccinale en Nouvelle-Calédonie au nom de l'égalité dans la République, alors que le principe même de l'autonomie emporte une rupture d'égalité. La Nouvelle-Calédonie vient de décider son déconfinement, les restaurants rouvrent, mais pas certains cultes, nous avons fait le contraire dans l'Hexagone - c'est possible avec le droit actuel.