J'avais initialement souhaité intervenir avec Madame Madeleine Mathieu, qui dirige la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), mais nos calendriers ne coïncidaient pas. Notre intervention croisée nous semblait idoine, puisque la prise en charge des mineurs implique un lien structurel très fort entre ma direction et la PJJ, à laquelle incombe l'aspect socio-éducatif de la prise en charge des mineurs ; le service pénitentiaire d'insertion et de probation jouant ce rôle uniquement auprès des jeunes majeurs.
Alors que le nombre de mineurs incarcérés augmente, observe-t-on un phénomène de surpopulation carcérale dans les établissements pour mineurs comparable à celui des adultes ? En dix ans, la population pénale des mineurs a augmenté notablement, puisqu'elle est passée de 724 personnes au 1er janvier 2008 à 772 au 1er janvier 2018, soit une progression de 6,62%. S'agissant de leurs conditions d'hébergement, au 1er mars 2018, 832 mineurs étaient hébergés pour 1 187 places, soit un taux d'occupation de 70%. Cette situation n'est donc en rien comparable avec celle des adultes, avec au 1er mars, 69 879 détenus pour 59 902 places, soit 117% de densité carcérale, avec 141% de sur-occupation dans les maisons d'arrêt et 1 640 matelas au sol. La capacité totale d'accueil des mineurs est 1 187 places théoriques réparties dans 54 établissements, dont six établissements pour mineurs (EPM) et 48 quartiers pour mineurs. Les six EPM, de 60 places chacun, ont été construits à la suite de la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002. Ils offrent un cadre propice à la vie en collectivité et à la préparation à la sortie, dans des lieux de petites tailles et avec des activités adaptées. Chacun de ces établissements est implanté dans une région différente : Quiévrechain (Nord-Pas-de-Calais, 2007), Orvault (Bretagne, 2008), Lavaur (Languedoc Roussillon, 2007), Porcheville (Grand Paris, 2008), Meyzieu (Auvergne-Rhône, 2007), ou encore La Valentine (Paca-Corse, 2007). L'ensemble de ces établissements ont été ouverts entre 2007 et 2008 : avec un taux d'occupation de 86% au 1er mars 2018, et 201 détenus pour 233 places, la situation de la région parisienne est la plus préoccupante, bien que les EPM situés dans le centre de la France connaissent également des taux d'occupation élevés.
S'agissant de la structure de la population pénale, sur les 772 mineurs incarcérés au 1er janvier 2018, 89 ont moins de 16 ans, soit 12% de la population, et 683 ont entre 16 et 18 ans, soit 88% de la population. La population pénale des mineurs est essentiellement masculine : 751 garçons pour 32 filles au 1er janvier 2018, soit 97,28% de la population pénale. Même si les unités sont faibles, l'augmentation réelle de la population des filles est à noter. À la différence de celle des majeurs, la population pénale est massivement composée de prévenus : 601 pour 772 détenus au 1er janvier 2018, soit un taux de 77,85% ; cette tendance s'accentuant durant ces dix dernières années puisqu'au 1er janvier 2008, le chiffre était de 416 pour 727 détenus, soit 52,22 %. Certes, la tendance à l'augmentation du nombre de prévenus en détention s'observe de façon générale, mais sans atteindre le même niveau que pour les mineurs.
Les mineurs sont principalement incarcérés pour des vols autres que criminels ou violents (31%) ; viennent ensuite les violences volontaires (14%) et les vols avec violence (11%). Tels sont les chiffres des personnes qui sont aujourd'hui en détention. Les mineurs non accompagnés (MNA) ne représentent pas, quant à eux, une catégorie statistique. Il n'est donc pas possible à la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) de quantifier leur part dans la population pénale mineure. Cependant, lors d'une enquête DAP-PJJ réalisée sur la population des mineurs détenus au 1er juin 2015, il est apparu qu'un dixième des mineurs détenus étaient des MNA, dont un tiers étaient incarcérés en EPM et les deux-tiers en quartier pour mineurs. 20% étaient incarcérés dans le ressort de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris. Ces personnes sont, la plupart du temps, des filles nées en Europe de l'Est et des garçons venus d'Afrique subsaharienne, dont la situation familiale et le parcours sont mal connus.
En termes de prise en charge et de préparation de la réinsertion, existe-t-il des différences significatives entre les quartiers pour mineurs et les établissements pénitentiaires pour mineurs ? La grande différence réside dans la structure de ces deux types d'établissements : les EPM ont été construits en fonction du projet éducatif à mettre en place, à la différence des quartiers pour mineurs des établissements pénitentiaires, dans lesquels peuvent toutefois être organisées des activités spécifiques. La DAP pense ainsi le bâti en cohérence avec la prise en charge pluridisciplinaire dans ces nouveaux établissements. La prise en charge mobilise l'administration pénitentiaire, la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que l'éducation nationale et le ministère de la santé, et l'ensemble des acteurs intervenant en milieu pénitentiaire, comme les aumôniers et les associations.
L'article 60 de la loi du 24 novembre 2009 prévoit que «les mineurs détenus, lorsqu'ils ne sont pas soumis à l'obligation scolaire, sont tenus de suivre une activité à caractère éducatif» destinée à contribuer au développement de leur personnalité et à favoriser leur insertion sociale, scolaire et professionnelle. Tel est l'objectif assigné à la prise en charge des mineurs en milieu pénitentiaire qui répond également aux principes suivants : l'intervention continue des éducateurs des services de la PJJ auprès des mineurs détenus, la pluridisciplinarité, la possibilité d'activités mixtes pour les mineurs, l'encellulement individuel la nuit - sauf motif médical ou problème de personnalité- la sollicitation systématique de la ou des personne(s) titulaire(s) de l'autorité parentale pour toute décision, le maintien des liens familiaux constituant l'un des leviers fondamentaux de la réinsertion, la possibilité de maintenir un jeune majeur pendant six mois en détention pour mineurs si son intérêt le justifie, et enfin, l'accès à l'enseignement, à la santé, aux activités socio-éducatives, culturelles et sportives.
Trois modalités de prise en charge existent dans les quartiers pour mineurs et dans les EPM afin d'adapter le régime de détention au profil du mineur et à sa capacité à s'intégrer dans le collectif. Il en résulte une baisse significative des tensions et des incidents. Le régime général de cette prise en charge comprend ainsi une réflexion sur l'acte, un travail sur les règles de vie en collectivité ainsi qu'un projet d'insertion et d'autonomisation. Les mineurs ayant une plus grande capacité à l'autonomie font l'objet d'une prise en charge plus collective. À l'inverse, une prise en charge renforcée et individualisée est destinée aux mineurs les plus vulnérables ou qui pose des difficultés en ce qui concerne le respect de l'autorité ou des règles de la vie collective. Au cours de son parcours en détention, le mineur verra sa situation périodiquement réévaluée et se verra proposer, le cas échéant, une évolution de sa prise en charge.
Une enquête conjointe menée par la DAP et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) en 2015 a permis de faire un état des lieux de la prise en charge des mineurs détenus. L'enquête fait état d'une offre conséquente d'activités, mais plus importante encore en EPM qu'en quartier pour mineurs. Ainsi, en EPM, pour 90% d'entre eux, le nombre d'heures proposées d'enseignement hebdomadaire est supérieur à six heures, voire, pour 50% d'entre eux, supérieur à onze heures. Pour la totalité des mineurs détenus, le nombre d'heures d'activités socio-éducatives proposées est supérieur à six heures, et supérieur à onze heures pour 60% d'entre eux. Pour tous, le nombre d'heures d'activités sportives proposées est supérieur à une heure, dont 60% supérieur à six heures. Dans les quartiers pour mineurs, pour 75% d'entre eux, le nombre d'heures proposées d'enseignement hebdomadaire est supérieur à six heures, et pour 30% d'entre eux, ce nombre est supérieur à onze heures. Pour 95% d'entre eux, le nombre d'heures d'activités socio-éducatives proposées est supérieur à six heures ; 30% bénéficiant d'un nombre supérieur à onze heures. Enfin, pour 95% d'entre eux, le nombre d'heures d'activités sportives proposées est supérieur à une heure, avec 25% supérieur à six heures.
Dans le cadre du programme de construction d'établissements pénitentiaires, l'administration pénitentiaire envisage-t-elle de construire de nouveaux EPM ? La construction de nouveaux établissements n'est pas une priorité en soi ; en revanche, la qualité de la prise en charge, alliée à la saturation en région parisienne, va nous conduire à ouvrir deux nouveaux établissements pour mineurs d'ici à 2022 : l'un à Meaux et l'autre à Fleury-Mérogis où 120 places pour mineurs remplaceront les 115 places affectées dans l'une des ailes de la maison d'arrêt des hommes, alors que le centre des jeunes détenus est actuellement fermé pour travaux et devrait devenir prochainement un centre de détention accueillant des condamnés. Certains projets immobiliers, programmés dans les cinq ans à venir, pourraient par ailleurs prévoir des places pour mineurs à Lutterbach et à Lille-Loos. Notre voeu le plus cher est toutefois de ne pas accroître la population carcérale des mineurs !