Intervention de Anne Bérard

Mission d'information réinsertion des mineurs enfermés — Réunion du 18 avril 2018 à 14h45
Audition de Mme Anne Berard adjointe au directeur de l'administration pénitentiaire au ministère de la justice

Anne Bérard, adjointe au directeur de l'administration pénitentiaire :

Nous nous inscrivons en effet dans cette démarche, car les mineurs sont des « poly-fracturés de la vie » qui requièrent la mobilisation de l'ensemble des compétences disponibles pour assurer une prise en charge efficace.

Concernant les coûts relatifs à l'incarcération d'un mineur, je peux vous indiquer que le coût d'une journée de détention pour mineur s'élève à 532,48 € en 2016. Ce coût se décompose de la façon suivante : d'une part, 433,99 € de dépenses de personnel, dont 282,62 € à la charge de l'administration pénitentiaire et 151,37 € à la charge de la PJJ ; d'autre part, 98,48 € de dépenses d'exploitation dont 92,38 € à la charge de l'AP et 6,10 € à la charge de la PJJ. Ces coûts sont élevés, rapportés aux dépenses que nous consentons pour nos populations pénales mais demeurent moyens par rapport à ceux observés dans les pays voisins. Il est difficile d'évaluer le coût de la journée de détention en quartier pour mineurs. On peut cependant indiquer que, en 2016, le coût d'une journée de détention en maison d'arrêt s'élevait à 89,40 €, auquel s'ajoute le coût de l'action éducative, de l'ordre de 34,5 € par jour. Ces dispositifs ne sont pas de même nature que les prestations dispensées dans les EPM.

S'agissant de l'articulation des interventions de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, la loi du 9 septembre 2002 définit les grands principes du suivi des mineurs incarcérés en quartier pour mineurs et en EPM : la pluridisciplinarité de leur prise en charge et l'intervention continue des éducateurs des services de la PJJ. Le travail partenarial repose sur plusieurs actions : d'une part, la rédaction d'un rapport de régulation au terme de réunions quotidiennes associant les membres de la PJJ, de l'AP, les officiers de surveillance et le personnel de santé, qui favorise les prises de décisions partagées et la diffusion des informations et instructions ; d'autre part, la réunion d'équipe pluridisciplinaire (REP), sur une base bihebdomadaire, destinée à favoriser la prise en charge partenariale des mineurs ; celle-ci réunit la direction de l'administration pénitentiaire, le référent de l'éducation nationale, un cadre PJJ, le personnel de santé, les surveillants, les éducateurs et la psychologue de la PJJ. A ces deux instances, s'ajoutent la commission de suivi, qui examine, une fois par mois, la situation des mineurs détenus avec un éclairage des magistrats présents, et la commission d'incarcération des mineurs détenus, sur une base trimestrielle qui détermine les orientations de politique locale en matière de détention des mineurs et qui aborde les problèmes institutionnels.

S'agissant de la répartition des tâches, les personnels de surveillance participent à l'encadrement permanent des mineurs et le binôme enseignant-éducateur contribue à la mise en oeuvre du parcours éducatif du mineur. L'enseignement et la formation, y compris professionnelle, des mineurs relèvent de l'éducation nationale. Le cadre pénitentiaire référent pour l'enseignement travaille en lien étroit avec le directeur du service d'enseignement ou l'enseignant référent mineurs. Les professeurs techniques de la PJJ interviennent en coordination avec les enseignants de l'éducation nationale. Les surveillants moniteurs de sport assurent également la prise en charge, l'encadrement et la surveillance des mineurs durant les activités sportives, en lien avec les professeurs techniques de la PJJ, les enseignants et des partenaires associatifs locaux. À ceux-ci s'ajoutent les visiteurs et les aumôniers intervenant suivant les modalités définies par l'AP, les associations socio-éducatives, les équipes de santé, ainsi que les services de la PJJ qui assurent la mise en oeuvre des activités socio-éducatives.

Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) conduisent une action spécifique auprès des jeunes majeurs qui cumulent souvent le plus de fragilités. Leurs problèmes concernent la scolarisation, l'échec scolaire, le manque de qualification, des difficultés à être mobilisés sur des activités, d'éventuelles addictions, des problématiques liées à la citoyenneté, induisant un manque de repères, ou à la parentalité. Différentes actions sont ainsi conduites sur l'ensemble du territoire en faveur des 18-21 ans ou des 18-25 ans, parfois en lien avec les missions locales.

Nous sommes satisfaits de notre partenariat avec l'éducation nationale. Sachant que 80% des mineurs sont déscolarisés lors de leur incarcération, le travail pédagogique porte autant sur les apprentissages que sur la remise en place de comportements et de capacités à suivre des situations collectives de formation. L'enquête nationale de l'administration pénitentiaire en 2016 a confirmé un taux de scolarisation de 100% des mineurs enfermés. Si l'action pédagogique est contrainte par des durées de détention variables et généralement très courtes, elle est néanmoins diverse, allant de l'alphabétisation à la préparation des diplômes du second degré, comme le brevet, le CAP ou le BEP, auxquels s'ajoutent le suivi de cours du second cycle et la préparation du diplôme d'accès aux études universitaires et du baccalauréat. L'encadrement dans les EPM permet plus d'actions au niveau du second degré que dans les quartiers pour mineurs. La scolarisation des mineurs est assurée, comme celle des majeurs, par des professeurs de l'éducation nationale. En 2016, les mineurs représentaient 1,1% de la population pénale, bénéficiant de 16% de l'encadrement pédagogique total en milieu carcéral, les EPM concentrant 40% du total d'heures hebdomadaires consacrées aux mineurs.

L'administration pénitentiaire ne travaille pas avec les services sociaux des départements à la prise en charge des mineurs isolés : ce public relève de la compétence de la PJJ qui est également l'interlocuteur des missions locales dans les établissements habilités à accueillir des mineurs.

La grande majorité des mineurs qui entrent dans un parcours professionnalisant reçoivent des enseignements dispensés par des enseignants de l'éducation nationale. En revanche, s'agissant de la formation professionnelle des majeurs, confiée aux régions depuis la loi de décentralisation du 5 mars 2014, l'administration pénitentiaire est en contact régulier avec l'Association des Régions de France (ARF). En effet, les régions doivent être davantage mobilisées pour soutenir la formation professionnelle des détenus qui a régressé au cours des quatre dernières années. Nous souhaitons que les collectivités s'impliquent dans la prise en charge et la réinsertion de l'ensemble des personnes détenues et nous espérons que vous pourrez, en tant que parlementaires, appuyer cette démarche. À cet égard, l'article 2.1 de la loi pénitentiaire précise que la mission de réinsertion incombe à l'administration pénitentiaire, avec le concours des services de l'État, des collectivités territoriales, des associations et de la communauté tout entière. L'administration pénitentiaire ne saurait ainsi réinsérer toute seule !

La violence en prison est une réalité. Les personnes qui s'y trouvent sont souvent intolérantes à la frustration et en manque de repères. Faute de pouvoir s'exprimer et d'entrer en relation avec autrui, elles agissent de manière violente. D'ailleurs, l'incarcération de ces mineurs intervient au terme de l'échec de nombre de mesures d'abord éducatives puis pénales. Nos personnels ont une appétence particulière pour ce type de prise en charge et les réponses à cette violence doivent consister en une meilleure formation des personnels et en un meilleur accompagnement des mineurs.

Durant l'année 2017, 8 883 faits de violence ont été constatés entre personnes détenues et 815, soit 9,17%, concernaient des mineurs. S'agissant de la violence exercée sur les personnels, incluant les violences verbales, leur total s'élève à 21 546 faits et 1 256 dans les établissements accueillant les mineurs, soit 5,83%.

En matière de discipline, le régime est distinct pour les mineurs, avec des sanctions adaptées à leur âge. La PJJ intervient dans ces procédures disciplinaires pour apporter un éclairage sur la personnalité et le parcours du mineur. Tous les mineurs peuvent faire l'objet d'un avertissement, d'une privation de cantine, où il est possible d'acquérir des biens, d'une privation de télévision, d'une activité de réparation, d'une privation d'activité socio-culturelle ou d'un confinement. Les mineurs de plus de seize ans peuvent, quant à eux, être sanctionnés par la mise à pied, soit d'un emploi - situation exceptionnelle puisque l'administration pénitentiaire souhaite plutôt privilégier l'éducation et la formation professionnelle - soit d'une activité de formation, ou par un placement en quartier disciplinaire pour les fautes du premier et du deuxième degré, le quantum maximum étant de sept jours pour les premières et de cinq jours pour les secondes. Le formalisme qui encadre la procédure disciplinaire ne permet pas d'apporter des réponses immédiates aux actes transgressifs, ce qui, s'agissant des incivilités du quotidien, peut faire perdre son sens et son efficacité à la sanction. Les « mesures de bon ordre », instaurées par une note DAP/DPJJ du 19 mars 2012, permettent d'apporter, en tant que mesures d'ordre intérieur non soumises en tant que telles à un contrôle juridictionnel, une réponse immédiate aux actes de faible gravité, comme des cris aux fenêtres, des dégradations légères ou encore le refus de participer aux activités obligatoires. Les sanctions peuvent ainsi aller d'une lettre d'excuse à diverses mesures de médiation.

Sur la radicalisation des mineurs, six mineurs sont aujourd'hui incarcérés pour une incrimination en lien avec le terrorisme islamiste, alors qu'ils étaient dix-huit il y a un an. Ce chiffre doit être comparé avec le total de 509 personnes écrouées au 9 avril 2018, contre 421 il y a un an, pour des faits de radicalisation. On constate donc une augmentation de la population pénale générale pour ce motif, tandis que le nombre de mineurs diminue. Près de 76% des terroristes islamistes écroués ont entre 18 et 35 ans et un tiers est âgé de 18 à 25 ans. Cinq mineurs incarcérés pour des faits de droit commun sont également identifiés comme susceptibles d'être radicalisés, sur un total de 1 118 personnes. Une note conjointe DAP-DPJJ du 13 janvier 2017 organise la coordination de l'action de la PJJ et de l'AP dans le suivi de ces publics et vise à la conclusion de protocoles spécifiques de coopération en matière de prévention des phénomènes de radicalisation et de prise en charge des mineurs ou jeunes majeurs radicalisés ou en risque de radicalisation. Ainsi, des protocoles interrégionaux ont été signés entre juillet et décembre 2017 et se déclinent à l'ensemble des différentes collectivités locales. Cette prise en charge globale, comme vous l'évoquiez Madame la Présidente, implique des regards croisés afin d'assurer un suivi individualisé.

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