Intervention de Patrick Drahi

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 2 février 2022 à 16h45
Audition de M. Patrick Drahi fondateur et propriétaire d'altice

Patrick Drahi, fondateur et propriétaire d'Altice :

Vous oubliez effectivement la Suisse. C'est là que j'habite. Ces données datent de 2015. Effectivement, en 2015, j'avais une holding à Guernesey. Je ne l'ai plus. Toutes mes sociétés sont basées au Luxembourg. La tête de mon groupe était aux Pays-Bas. Elle ne l'est plus. Je vous ai indiqué que je détenais alors 60 % du capital de mon entreprise. 40 % se trouvaient sur le marché. Nous étions à la bourse d'Amsterdam. J'avais expliqué lors d'une précédente audition pourquoi j'étais à la bourse d'Amsterdam et non à la bourse de Paris. J'ai croisé tout à l'heure un étranger qui m'expliquait que ses enfants, nés en France, pouvaient devenir français mais ne le sont pas devenus parce qu'il est tellement compliqué d'obtenir des papiers qu'ils préféraient rester danois et belge. La seule raison pour laquelle j'ai introduit ma société en bourse aux Pays-Bas est que c'était plus facile qu'à Paris. Les Pays-Bas faisant partie de l'Union européenne, cela ne me semblait pas un gros problème.

Plusieurs choses ont changé par rapport au slide que vous avez projeté. Je n'ai jamais eu de société au Panama. Je sais que je parle sous serment. J'ai intenté une démarche auprès de France Télévisions, que j'ai arrêtée car cela ne sert à rien de perdre son temps. J'étais présenté comme l'ennemi public numéro un alors que je n'ai jamais eu de société au Panama. On a beau expliquer cela aux journalistes, une fois que c'est publié, le mal est fait et il est trop tard. Tout le monde croit ce qui est publié, même si c'est faux. Cela ne sert à rien de lutter ensuite contre des bêtises qui sont dites ou écrites.

Je ne suis plus propriétaire de L'Express et je ne suis plus propriétaire de Libération. Je peux vous expliquer pourquoi. Cela prendrait des heures. Je peux aussi vous expliquer pourquoi j'avais acheté ces journaux. Je l'avais déjà expliqué. Au moment d'acheter SFR, Libération était en dépôt de bilan. Certains disaient, sur France Télévisions, le soir, tard, que j'allais acheter Libération à la barre du tribunal de commerce. J'ai trouvé plus correct d'en prendre le contrôle directement. Cela répondra à l'une de vos questions. Est-il sain que des entrepreneurs détiennent des médias ou des titres de presse ? Cela me paraît extrêmement sain. Lorsque le capital d'une entreprise est fragmenté entre de multiples petits acteurs qui ont peu de moyens pour développer l'entreprise, cela ne pose pas de problème tant que tout va bien. Lorsqu'une vraie difficulté économique ou industrielle se fait jour, ce n'est plus pareil. C'était - et c'est toujours - le problème de la presse. Mieux vaut alors pouvoir s'appuyer sur quelqu'un qui a les moyens de renflouer un journal, plutôt que d'avoir 18 actionnaires dont aucun n'a les moyens de renflouer le journal, et qui se disputent du matin au soir.

J'ai sauvé Libération. On m'avait dit que cela allait me coûter 14 millions d'euros. Cela m'a coûté beaucoup plus, et Libération est toujours vivant. Je pourrais vous dire pourquoi j'ai placé le journal dans une fondation. Cela lui assure une indépendance totale. Je n'ai pas sauvé BFM. J'ai racheté BFM car cela me semblait une bonne affaire, en cohérence avec mes métiers. Cela me permettait de me développer davantage dans le monde rural, comme je l'avais fait avec Canal Coquelicot. Il y avait cette cohérence dans la recherche d'un développement régional, au moment où l'on voulait fibrer la France. D'ailleurs, nous développons des BFM dans toutes les régions de France.

Est-ce pour avoir de l'influence au regard de la commande publique ? Les licences télécom ne se discutent pas dans le bureau d'un responsable politique : il s'agit d'enchères qui sont remportées par le plus offrant, et auxquelles vous pourriez participer. J'ai payé 750 millions d'euros la dernière licence que nous avons obtenue. J'aurais pu la payer beaucoup moins cher si je n'avais pas eu l'État parmi mes concurrents, puisque l'État est au capital d'Orange. Nous participons donc à l'investissement dans les infrastructures et nous payons aussi beaucoup d'impôts, alors que SFR ne payait pratiquement plus d'impôts lorsque je l'ai achetée. Aujourd'hui, elle paie beaucoup d'impôts. Croyez-moi, acheter des médias n'a rien à voir avec une recherche d'influence. J'ai 30 millions de clients chez SFR, c'est-à-dire la moitié de la France. Tout le monde connaît mon entreprise. Je n'ai pas besoin d'avoir une influence sur quoi que ce soit. En outre, je n'ai aucune commande publique.

Je crois qu'une grande problématique a trait à l'avenir économique du métier. Je peux vous faire part de mes vues quant à la façon dont la loi pourrait évoluer. Vous mentionnez la loi de 1986. Mon fils est là. Il n'était pas né en 1986. Les gens qui seront aux commandes bientôt n'étaient même pas nés. Nous pourrions aussi parler de la loi sur la télévision en noir et blanc de 1960 ou 1955. Les lois sont désuètes au regard des technologies existantes. Je pense que la consolidation, dans des secteurs extrêmement fragmentés, est très saine pour l'économie. Tout à l'heure, j'ai pris un café à Paris. J'ai payé 8 euros pour un café et un croissant. Chez SFR, vous pouvez trouver des abonnements à la 5G pour 8 euros. Vous passez cinq heures par jour sur votre téléphone. Vous prenez un café. Cela prend trente secondes et ce n'est pas forcément très bon pour la santé. C'est délirant ! Il n'est pas logique que le café soit aussi cher et que la 5G soit aussi peu chère. Nous n'avons pas de quoi être fiers, en tant que Français, d'avoir des services d'une telle importance et d'une telle utilité bradés à un tel prix.

Résultat des courses, les opérateurs américains sont extrêmement puissants, non parce qu'ils font de la politique mais du fait de leurs résultats économiques. Or ceux-ci ont été permis par leur concentration. Dans l'industrie des médias, les opérateurs de télécom, c'est-à-dire ceux qui ont les tuyaux, ont essayé à plusieurs reprises d'intégrer les médias. Je l'ai tenté également. Dans certains cas, j'ai persévéré, dans d'autres j'ai arrêté. J'ai décidé de sortir de la presse papier car le mécanisme qui était en place ne fonctionnait pas correctement. Pourquoi fait-on de la fibre optique ? Ce n'est pas pour échanger des SMS mais pour permettre de produire une information interactive en vidéo, en lien direct avec la télé. Il est logique que les grandes entreprises - donc les grands entrepreneurs qui les détiennent - soient au capital des entreprises de médias.

Je connais bien le marché américain, dont je suis un petit acteur, à travers une entreprise de la taille de SFR, qui ne détient que 2 % du marché américain. Les grands groupes de médias américains sont contrôlés par des personnes physiques. Il en est de même de Google, Facebook et des autres grandes plates-formes. Est-ce bien pour la démocratie ? C'est fantastique. Je suis issu d'une famille d'enseignants. J'ai eu la chance, grâce au système éducatif dont j'ai bénéficié, de pouvoir me développer en France. Si l'on me dit demain que je ne peux plus rien acheter dans les médias au motif que je suis présent dans les télécom, et réciproquement, ce serait très regrettable. Je cite une anomalie de la loi de 1986.

A l'époque, il y avait une seule chaîne de télé. On passait à trois. On est passé à 250 chaînes de télé. Une, ce n'était pas assez. 250, c'était trop. Lorsqu'il y avait une chaîne, on a voulu ouvrir le système en privatisant et en octroyant une deuxième, puis une troisième fréquence. Une fois atteint le nombre de 250 chaînes, on conserve la loi de 1986, qui vous interdit par exemple de détenir plus de 49 % d'une entreprise qui a une certaine audience en France. C'est totalement ridicule. Je crois que vous allez recevoir M. Bouygues. Il détient 49 % de TF1, qui est la première chaîne privée de France. Pensez-vous qu'il a plus ou moins d'influence en détenant 49 % ou 100 % ? Cela ne change rien. En revanche, aux États-Unis, ses concurrents en rigolent, car avec 49 %, il n'a aucun moyen de développer son entreprise. Il ne s'est d'ailleurs pas développé hors de France. L'Américain qui est propriétaire de son entreprise aux États-Unis peut, fort de ses résultats, investir à l'étranger. Les Chinois font de même. Les Français doivent être extrêmement bons pour se développer à l'étranger, car, dans les médias, dès que nous atteignons une certaine taille, nous ne pouvons détenir plus de 49 % du capital.

Lorsque j'ai repris le groupe BFM, nous avions une audience de 3 %. Nous avons investi. J'ai augmenté les effectifs, recruté des journalistes. Nous sommes aujourd'hui à 7 %. On me dit que si je dépasse une certaine audience, je n'ai pas le droit de détenir plus de 49 % du capital. Il faudrait donc que je revende 51 %. Cela n'a aucun sens ! Cela ne tient pas la route. D'ailleurs, l'ensemble qui sera formé par le rapprochement de TF1 et M6 ne pourra détenir plus de sept chaînes de télévision. Pourquoi sept et non cinq ? D'où sort ce chiffre ? Cela devrait être en rapport avec l'audience et non avec le nombre de chaînes.

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