Intervention de Nikolaus Meyer-Landrut

Commission des affaires européennes — Réunion du 9 juillet 2020 à 8h35
Institutions européennes — Audition de s. e. M. Nikolaus Meyer-landrut ambassadeur d'allemagne en france

Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d'Allemagne en France :

Monsieur le président, merci de l'opportunité que vous nous donnez d'échanger. C'est une bonne tradition de se tourner vers les ambassadeurs des pays qui président le Conseil de l'Union européenne, et une habitude meilleure encore de vous tourner de temps en temps vers l'Allemagne. Je vous suis reconnaissant à tous ces titres.

L'Allemagne a passé environ deux ans à préparer sa présidence, puis tout a basculé en quatre semaines. Nous avons été obligés d'en repenser les véritables priorités en très peu de temps. Cet exercice est parfois salutaire.

La Chancelière l'a dit hier devant le Parlement européen : le moment n'est pas seulement crucial, c'est aussi celui d'organiser la relance économique, la protection sociale et la cohésion de l'Union européenne dans les meilleures conditions. Cela peut nous permettre de nous concentrer tous ensemble sur l'essentiel.

La priorité consiste à faire adopter par le Conseil européen avant l'été, au mieux à la fin de la semaine prochaine, le cadre financier pluriannuel et le paquet de relance. Il est pour nous impératif d'y arriver maintenant pour des raisons politiques : il faut démontrer que l'Union européenne agit rapidement dans cette crise. On ne peut se permettre de continuer ce débat durant des mois.

Cela va nécessiter une certaine souplesse de part et d'autre, mais le projet est très fortement inspiré par la proposition du Président de la République française et de la Chancelière allemande. C'est un point d'équilibre autour duquel un accord est possible.

Un important travail de législation reste à accomplir pour que le cadre pluriannuel puisse entrer en vigueur et que les différents programmes-cadres deviennent réellement opérationnels. Si nous arrivons à conclure un accord politique, une deuxième phase interviendra entre septembre et décembre afin que tout puisse s'enchaîner rapidement.

La deuxième priorité consiste à voir comment apporter une réponse européenne aux crises sanitaires. Cette pandémie a déferlé très brutalement, et les mécanismes de coordination européens n'ont pas été suffisamment robustes. Il faut donc en tirer les conclusions, renforcer les structures, penser aux disponibilités en matière de médicaments, d'équipements, de vaccins.

La pandémie n'est pas encore terminée. Même si la plupart des pays européens la contrôlent, on voit bien qu'elle n'est pas encore finie, et les risques de retour existent.

Nous pensons par ailleurs que les mois de septembre et octobre seront les plus déterminants pour le Brexit. La Grande-Bretagne a laissé passer le mois de juin pendant lequel elle aurait pu demander un allongement de la période transitoire. Ce n'est juridiquement ni politiquement plus possible. La période dans laquelle nous sommes aujourd'hui s'achève au 31 décembre de cette année. Nous souhaitons évidemment aboutir à un accord, mais celui-ci doit être signé avant la fin du mois d'octobre pour que les procédures parlementaires puissent s'appliquer en bonne et due forme.

On n'a pas encore vraiment avancé dans la négociation. Il faut donc continuer à voir si un accord respectant les exigences européennes fondamentales est possible en septembre ou octobre, et se préparer dès maintenant à l'éventualité que la Grande-Bretagne quitte définitivement l'Union européenne sans accord.

C'est un message important pour nos acteurs économiques. Il ne faut pas qu'ils attendent la fin octobre ou le début du mois de novembre, mais qu'ils se préparent aux deux possibilités.

Un troisième domaine va tous nous occuper, celui du rôle de l'Europe dans le monde. La présidence allemande a envisagé un sommet avec la Chine en format complet pour le 24 septembre. Nous l'avons reporté, car nous pensons qu'une réunion de cette nature nécessite de se réunir physiquement, ce qui n'était pas assuré à ce stade.

L'Union européenne et sa présidence s'intéressent également à la protection des investissements européens en Chine et à un accord bilatéral qui traiterait des questions d'accès aux marchés publics ou de protection des appellations régionales.

Au-delà, nous souhaitons faire avancer les discussions avec les Chinois sur le climat, la santé mondiale, la coopération avec l'Afrique. Nous espérons pouvoir tenir un tel sommet durant la dernière partie de notre présidence. La décision sera prise plus tard.

Nous prévoyons aussi la tenue d'un sommet de l'Union européenne avec l'Afrique. Il est important que ce soit l'Allemagne qui l'organise. C'est un continent avec lequel nous avons besoin d'approfondir le partenariat dans beaucoup de domaines, dont la gestion de la pandémie, les relations économiques ou les sujets migratoires.

Vous l'avez dit, nous tenons évidemment aux relations transatlantiques, mais ce n'est peut-être pas le bon semestre pour prendre de grandes initiatives en la matière, dans l'attente des élections présidentielles américaines le 3 novembre. D'ici là, il nous faut essayer de maintenir des relations correctes, tout en demeurant vigilant et en répondant quand c'est nécessaire au plan commercial ou autre.

S'agissant de la politique de concurrence, nous souhaitons, comme la France ou d'autres États membres, que la Commission revoie sa doctrine. Un travail est en cours à ce sujet. Un certain nombre de questions doivent être étudiées, comme celle du marché pertinent ou du temps : quand on prend des décisions en matière de concurrence, on privilégie souvent le statu quo, mais les marchés évoluent vite. On ne prend peut-être pas toujours suffisamment en compte les dynamiques qui se profilent à l'horizon.

Par ailleurs, même si les règles strictes pour le contrôle des aides d'État à l'intérieur de l'Union européenne ont été assouplies durant la crise, prenons-nous suffisamment en compte les aides des États tiers aux entreprises étrangères, chinoises en particulier, souhaitant investir en Europe ?

D'un autre côté, l'instrument de contrôle des positions dominantes nous tient à coeur. Par rapport aux géants du numérique par exemple, ce que fait la Commission avec l'instrument européen de contrôle de la concurrence est très important pour l'Europe. Nous avons besoin de ces instruments efficaces.

Je ne pense pas que l'on puisse affirmer que la Cour de Karlsruhe n'accepte pas la primauté du droit communautaire. La difficulté à laquelle la Cour de Karlsruhe essaye de trouver une réponse entre juridictions européennes et nationale porte sur la délimitation : où s'arrête la compétence juridique nationale, que contrôlent les cours nationales et où commence la compétence de l'Union européenne ? Il n'y a pas de mise en cause de la primauté du droit communautaire là où il s'applique. La vraie difficulté juridique est en partie politique : comment délimiter la frontière entre l'espace juridique national et l'espace juridique européen ? Un arrêt précis a été pris, auquel les institutions allemandes, avec l'aide de la Banque centrale européenne, doivent répondre. Le Parlement allemand et le gouvernement sont satisfaits de l'analyse et des éléments fournis par la Banque centrale sur la proportionnalité de son intervention, il y a cinq ans.

La question plus fondamentale de délimitation de ces deux espaces juridique reste un sujet pour l'avenir.

L'Allemagne a-t-elle évolué ? L'Allemagne évolue constamment, mais je pense qu'elle a mesuré que le financement du budget européen par les budgets nationaux atteint ses limites. Cet instrument n'a pas été capable de répondre au choc auquel nous avons été exposés, d'où l'idée que nous soutenons que la Commission puisse emprunter sur le marché.

Nous avons aussi admis, sans arrière-pensée, qu'on ne peut demander aux États les plus touchés, qui supportent parfois des dettes importantes, de percevoir cette aide sous forme de crédit, qui pèserait sur eux plus qu'il ne les aiderait. Ce soutien doit venir de subventions. Il est extrêmement important de trouver la bonne utilisation de cet argent. Il ne faut pas s'attarder uniquement sur la façon de lever des fonds, mais veiller à ce que cet argent renforce la capacité économique de nos pays, la compétitivité de nos entreprises et l'élan de la recherche.

Ceci doit constituer un investissement dans l'avenir. Nous avons pris d'autres mesures avant ce plan de relance au niveau européen et national pour répondre à l'urgence. Il faut maintenant articuler les mesures prises à plusieurs niveaux et le plan de relance qui doivent nous permettre de sortir renforcés de cette affaire.

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