Intervention de Danielle Bourlange

Mission commune d'information sur l'accès aux documents administratifs — Réunion du 20 février 2014 à 9h30
Audition de Mme Danielle Bourlange directrice générale de l'agence du patrimoine immatériel de l'etat apie

Danielle Bourlange, directrice générale de l'Agence du patrimoine immatériel de l'Etat :

L'Apie est une jeune institution créée en 2007 à la suite de la publication du rapport Jouyet sur l'économie de l'immatériel. Elle est née du constat que, dans les économies modernes, la performance dépend des talents, des idées, des savoir-faire, de la qualité des systèmes d'information, des marques, et que cela est vrai pour les administrations aussi bien que pour les entreprises. Les actifs immatériels constituent un levier d'efficience des administrations et un vecteur de création de valeur. Le rôle dévolu à l'agence a été de développer la prise de conscience des enjeux liés à la valorisation du patrimoine immatériel, c'est-à-dire d'initier un changement culturel. Il lui incombe aussi de promouvoir de nouveaux modes de gestion.

L'Apie entend protéger les actifs immatériels publics. Elle cherche à éviter les appropriations abusives ou les détournements - par exemple l'usurpation de l'identité des collectivités locales - qui pourraient parasiter l'action publique sur le net. Elle veille à l'intégrité et à la disponibilité des actifs immatériels.

Elle s'intéresse également à la valorisation de ces actifs. Cela ne signifie pas nécessairement les vendre ou en tirer des ressources financières mais reconnaître leur potentiel de valeur et en tirer le meilleur parti pour contribuer à la performance de l'action publique et à la satisfaction des usagers. Les actifs immatériels doivent être partagés entre les administrations et mis à la disposition des citoyens. L'agence a une conception ouverte du patrimoine immatériel de l'Etat.

Parmi ces actifs immatériels, les données publiques sont des éléments de premier ordre. Toutes les administrations produisent des données publiques qui sont souvent des données de référence. Au moment de la création de l'Apie, la loi de 1978 avait été modifiée par l'ordonnance de 2005 sur l'ouverture des données publiques mais cette innovation majeure n'était pas connue en dehors d'un petit cercle d'initiés. Il a fallu d'abord sensibiliser les administrations et les utilisateurs à l'existence de ce droit et à ses enjeux : la transparence démocratique, l'enjeu économique, la modernisation de l'administration.

La loi ne suffit pas pour développer un écosystème dynamique autour de la réutilisation des données. Des mesures d'accompagnement sont nécessaires pour la clarifier et apporter une sécurité juridique, pour ouvrir un dialogue avec les utilisateurs et les associations qui s'y intéressaient. En octobre 2008, l'Apie a proposé au ministère en charge de l'économie numérique d'inscrire dans le plan numérique 2012 la conduite de travaux interministériels pour concevoir un portail unique d'accès aux données, ainsi que la conception de licences types contribuant à la sécurisation juridique en matière de réutilisation des données. A l'époque, l'écosystème numérique n'était pas ce qu'il est actuellement. Hormis celle opérée par les éditeurs juridiques, nous manquions alors d'exemples de réutilisation des données en France et à l'étranger. Le cahier des charges du portail unique a été livré au cabinet du Premier ministre en avril 2010. La mission Etalab l'a mis ensuite en oeuvre, à partir de décembre 2011, sur le site data.gouv.fr. Début 2009, des premiers modèles de licence ont été publiés.

L'Apie joue un rôle actif au sein du Coepia auquel elle apporte son expertise. J'ai moi-même été corapporteure de la formation spécialisée sur la mise à disposition des données publiques, de la création du Coepia en 2010 jusqu'à juillet 2013. Dans ce cadre, nous avons formulé un certain nombre de recommandations visant à accélérer le processus d'ouverture des données publiques. L'une de ces recommandations, qui reste d'actualité, a porté sur la nécessité de mettre à disposition les données sous des formats ouverts. Dans une autre recommandation, nous indiquions que le secteur culturel, au-delà de ses spécificités, devait contribuer à une politique active d'ouverture des données publiques. Le Coepia a tenté de donner aux administrations des clefs pour comprendre un dispositif juridique parfois complexe. Pour éclairer l'articulation de la loi Cada et son article 13 avec d'autres lois comme la loi Cnil, nous avons récemment diffusé un memento auprès des administrations.

Nous avons également pris conscience très rapidement que l'ouverture des données devait relever d'une logique de la demande et d'une stratégie de l'offre. Dans ce cadre, une réflexion doit être menée sur les données à fort potentiel de création de valeur économique et sociale - données de santé, de transports, d'environnement. En 2012, une recommandation a été prise sur les référentiels adresses dont les administrations disposaient sous des formes variées : une mise en cohérence de ces différents référentiels s'imposait pour une réutilisation plus efficace de ces données. Cette recommandation a été reprise par le Cimap en décembre 2012. Enfin, une autre de nos recommandations a porté sur les données de santé. Elle a été versée au débat ouvert actuellement sur la réutilisation de ces données.

Nos actions de sensibilisation devaient pouvoir toucher les collectivités locales et les services déconcentrés de l'Etat. Avec la Cada, nous avons organisé des formations en région, en matière de réutilisation des données publiques, au profit de l'ensemble des cadres. Elles ont concerné entre 2010 et 2012, la Bourgogne, l'Ile-de-France, l'Aquitaine, la région Paca et le Nord-Pas-de-Calais. C'est une démarche à poursuivre.

L'Apie a apporté son concours à la mission Etalab lors de sa création, par un transfert d'expertise. Elle a contribué à la rédaction de la licence ouverte qui en est une référence. Elle a également participé activement aux travaux interministériels, sous l'égide du Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), en vue de l'établissement de la nouvelle directive communautaire. Aujourd'hui, l'Apie est en retrait sur ce sujet, laissant Etalab gérer le développement de l'open data. Nous continuons à participer aux travaux du Coepia et nous contribuons en tant que de besoin à ceux d'Etalab. Nous avons également noué des échanges avec les collectivités territoriales, Rennes par exemple qui a été pionnière en matière d'ouverture des données, ou le grand Lyon qui a récemment ouvert des données de transport. Le sujet est fortement évolutif. Nous ne sommes qu'au début du développement de l'écosystème de réutilisation des données. Des défis importants restent à relever.

L'un de ces défis est la mise à disposition des données dans des formats ouverts. Elle représente un coût non négligeable, notamment dans le cas de données anciennes qui nécessitent un travail de transposition. Un autre défi est l'anonymisation des données à caractère personnel. Il faudra également prendre en compte l'ouverture des données à fort potentiel, le financement de la numérisation des données culturelles, la viabilité économique des innovations à l'autre bout de la chaîne de valeur, et enfin la nécessité de faire évoluer les habitudes et d'inscrire dans le temps une nouvelle culture de la donnée dans la culture administrative.

Sur le plan juridique, certaines règles restent à clarifier. Il est important, pour les bases de données créées dans le cadre de marchés publics, qu'il n'y ait pas de frein à l'ouverture. Les données ne sont pas grevées de droits de propriété intellectuelle, mais la structure de la base de données peut l'être. Lorsqu'un prestataire développe une base de données spécifique, adaptée aux besoins de l'administration, il faut veiller à ce qu'il cède les droits de propriété intellectuelle sur cette base pour rendre possible la réutilisation des données par l'administration. Nous avons diffusé une clause type à intégrer dans les marchés publics pour faire en sorte que ces droits soient systématiquement cédés à l'administration.

Deux licences coexistent majoritairement, la licence ouverte d'Etalab et la licence Open Database license (ODbL). Elles sont toutes les deux aisément compréhensibles et interopérables, ce qui permet de croiser les données quand bien même elles proviennent d'administrations différentes, du public ou du privé, des collectivités locales ou de l'Etat. Dans la licence ODbL, la clause dite de share alike, c'est-à-dire du partage à l'identique, pose problème. Elle impose au réutilisateur de mettre à disposition les données qu'il a réutilisées, dans les mêmes conditions que celles dont il a bénéficié, c'est-à-dire une réutilisation libre et gratuite, en pratique. Le principe est séduisant dans une logique de chaîne de valeur collaborative et d'innovation cumulative. Mais le partage à l'identique peut brider l'innovation, car il n'est pas compatible avec tous les modèles économiques. Il faudrait à tous le moins prévoir des modalités d'utilisations commerciales dans ces licences.

La terminologie devrait s'adapter à l'heure du numérique. La nouvelle directive l'a fait puisqu'elle parle de format lisible par des machines, ce qui n'était pas le cas en 2003 ou dans la transposition de 2005.

Nous avons participé activement, sous l'égide du SGAE aux travaux interministériels d'où est issue la nouvelle directive. Une de ses innovations majeures est d'inscrire dans la loi un droit à la réutilisation des données, anticipée par la France dès 2005 alors que ce n'était qu'une possibilité dans le texte de 2003. Elle prévoit aussi l'extension du droit commun aux données culturelles, pour les musées, les bibliothèques et les archives. Elle met en place une instance de recours dont les décisions sont contraignantes, ce qui est nouveau. Enfin, elle généralise le principe de tarification au coût marginal. La question du financement de la numérisation des données culturelles reste posée. La nouvelle directive ouvre à cet égard certaines marges de manoeuvre, en prévoyant des mesures dérogatoires en matière de tarification et en tolérant des accords d'exclusivité limités dans le temps. Dans un contexte de redressement des finances publiques, il est important de disposer de ces marges de manoeuvre. Une réflexion doit cependant être menée sur la possibilité de modalités de financement alternatives à la tarification : crowdfunding, mécénat, services à valeur ajoutée dans une logique freemium... Les oeuvres qui sont dans le domaine public ne doivent en aucun cas être distraites dudit domaine public.

La nouvelle directive prévoit une généralisation de la tarification au coût marginal, ce qui, dans beaucoup de cas, revient à la gratuité. Des exceptions restent possibles, notamment quand des opérateurs doivent financer la diffusion des données par des redevances. La logique d'un tel dispositif repose sur la distinction entre les données brutes qui dépendent directement d'une mission de service publique - les informations juridiques, par exemple - et les données produites par des opérateurs publics dont c'est la mission, et qui doivent inscrire leur modèle économique dans l'économie numérique, mais aussi dans la trajectoire de redressement des finances publiques. Ce principe de gratuité n'exclut pas la mise en place de services à valeur ajoutée : certains utilisateurs auront par exemple besoin d'extractions ou de mises en forme à la demande, lorsqu'ils seront confrontés à des bases brutes désagrégées, dans le respect de la concurrence.

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