Les entreprises adaptées ont été instituées par la grande loi « Handicap » du 11 février 2005, en lieu et place des anciens ateliers protégés. Leur mission est de promouvoir un environnement économique favorable aux femmes et aux hommes en situation de handicap. Elles sont à ce titre tenues d'employer une proportion minimale de salariés reconnus travailleurs handicapés, fixée à 55 %.
Il est important de garder à l'esprit que les entreprises adaptées sont des entreprises à part entière, qui s'inscrivent dans le champ concurrentiel. Elles permettent de proposer une « voie moyenne » entre l'hébergement en ESAT, qui s'accompagne d'un suivi médico-social permanent, et l'emploi dans les entreprises « classiques ».
Le soutien apporté à ces structures participe ainsi pleinement de la réponse de l'État aux difficultés d'accès à l'emploi des travailleurs handicapés, qui constituent l'un des publics prioritaires de la politique de l'emploi. Pour mémoire en effet, le taux de chômage des personnes en situation de handicap s'élevait en 2020 à 14 %, contre 8 % pour l'ensemble des actifs. L'ancienneté moyenne de leur inscription sur les listes de Pôle emploi, qui atteint presque deux ans et demi, est également préoccupante.
Le soutien financier apporté par l'État à ces structures qui passe principalement par le financement d'aides au poste, représentait un total de 411,4 millions d'euros en exécution 2021, pour un total de 37 325 salariés éligibles à ces aides. Entre 2016 et 2021, on constate même une progression de 15 % de ces crédits alors même que le nombre de salariés éligibles a stagné et que la mission « Travail et emploi » a fait l'objet d'importantes mesures d'économies sur la période.
Depuis 2019, les entreprises adaptées ont été l'objet de réformes de grande ampleur.
Avant de faire un état des lieux de leur avancement et de leurs réalisations, un mot sur le sentiment général que je retire de mes travaux et en particulier des auditions que j'ai conduites. De manière générale, le dispositif « entreprises adaptées » donne satisfaction, aussi bien du côté du ministère du travail que de celui des associations représentant les personnes en situation de handicap. Bien sûr, tout n'est pas parfait et des améliorations sont nécessaires, j'en proposerai quelques-unes. Mais, dans l'ensemble, l'action des entreprises adaptées en faveur de l'insertion des travailleurs handicapés est saluée par l'ensemble des acteurs, et les orientations données à la politique de soutien de ces structures vont selon moi dans le bon sens.
Cela ayant été dit, force est de constater que les réformes engagées depuis maintenant près de quatre ans sont à ce jour inabouties.
L'engagement dit « Cap vers l'entreprise inclusive », signé entre l'État, l'Union nationale des entreprises adaptées (UNEA) et plusieurs associations en 2018 avait posé trois ambitions structurantes. Sur le plan législatif, une bonne partie d'entre elles ont trouvé une traduction dans la loi dite « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018.
La première de ces ambitions était de transformer le modèle des entreprises adaptées, en posant le double objectif d'accroître la mixité dans leurs effectifs, selon une logique d'inclusion, et de réduire leur dépendance aux financements publics, selon une logique de performance.
Elle s'est d'abord traduite par une réforme de l'agrément des entreprises adaptées, avec un seuil plancher de salariés reconnus travailleurs handicapés passé de 80 % des effectifs de production à 55 % des effectifs totaux à compter de 2019.
Les modalités de financement des entreprises adaptées ont également été revues, afin de s'aligner sur les objectifs posés par cette ambition de transformation. Cette réforme complexe, est encore à ce jour difficilement appréhendée par les entreprises adaptées. Ce constat plaide pour une meilleure structuration de la coopération, aujourd'hui insuffisante, entre l'Agence des services et de paiement (ASP), la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et l'UNEA, pour assurer le pilotage du système de paiement des aides. Il faudra bien sûr également évaluer l'impact de ces réformes sur la composition des entreprises adaptées et sur leur financement. C'est le sens de mes recommandations n°1 et 2.
Certaines tendances à l'oeuvre témoignent cependant du fait que les entreprises adaptées sont bel et bien engagées dans cette logique de transformation, avec de nettes augmentations de la part des entreprises adaptées constituées sous un statut de société commerciale ainsi que de la part des salariés « valides » en leur sein.
La seconde ambition est celle de moderniser l'offre d'accompagnement, en proposant notamment une série d'expérimentations innovantes. Deux expérimentations ont été lancées à ce jour.
En premier lieu, les « CDD Tremplin », qui consistent en la signature de contrat de deux ans maximum en entreprises adaptées et permettent de bénéficier en parallèle d'un accompagnement, dans le but de s'insérer plus facilement par la suite dans le milieu « ordinaire ».
En second lieu les entreprises adaptées de travail temporaire (EATT), qui seraient spécialisées dans l'intérim.
Si des premiers résultats encourageants remontent s'agissant du déploiement CDD Tremplin, globalement, les deux dispositifs peinent fortement à monter en puissance. La crise sanitaire est passée par là, bien sûr, mais l'écart entre les cibles fixées et les réalisations est tel qu'elle ne peut pas tout expliquer. La capacité des entreprises à s'engager si rapidement dans des dispositifs demandant des transformations organisationnelles importantes a été surestimée.
Le troisième projet d'expérimentation, les entreprises adaptées « pro inclusives », qui devaient employer une proportion de travailleurs handicapés comprise entre 40 et 50 %, n'a tout simplement pas vu le jour.
La priorité est selon moi de donner leur chance aux expérimentations engagées en les prolongeant d'un an, comme le propose d'ailleurs le PLF 2023 et de les évaluer, avant de décider de l'opportunité de relancer ou non ce projet d'expérimentation. C'est ma recommandation n°3.
Le déploiement du PIC dans les entreprises adaptées n'a pas non plus rencontré son public, avec seulement 5 millions d'euros engagés sur une enveloppe de 50 millions d'euros pour soutenir des actions de formations dans les entreprises engagées dans les expérimentations. Je considère que si l'effort en faveur de la formation dans les entreprises adaptées doit être maintenu, il convient d'ajuster le dispositif d'aide. Cela passe notamment par une meilleure connaissance du recours à la formation dans ces entreprises. C'est ma recommandation n°4.
La troisième et dernière ambition de l'engagement « Cap vers l'entreprise inclusive » est celle du « changement d'échelle », des entreprises adaptées. Il était prévu de doubler le nombre de salariés éligibles aux aides au poste, pour les porter à 80 000 à l'horizon de la fin de 2022.
De ce point de vue, il faut admettre que le résultat n'est pas là, puisque le nombre de salariés visés est resté stable sur la période - voire a légèrement fléchi. La cible a certes été révisée à 53 000 en cours de route, mais elle n'a guère plus de chance d'être atteinte.
Les causes de cet échec sont multiples, et la crise prend là encore sa part. Dans ce débat, la problématique des difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises adaptées a été portée avec force par l'UNEA. En 2021, 75 % d'entre elles déclaraient rencontrer de fortes difficultés de recrutement, et elles étaient 51 % à avoir déposé une offre sur les plateformes du service public de l'emploi sans jamais avoir été recontactées. Ce constat plaide pour une intensification des relations entre l'UNEA et l'ensemble des opérateurs du service public de l'emploi : Pôle emploi, Cap emploi, mais aussi les missions locales, encore trop peu mobilisées. C'est le sens de ma recommandation n°5.
Manifestement, les entreprises adaptées étaient dans les faits loin d'être prêtes pour un tel changement d'échelle, à plus forte raison dans un contexte de transformation de leur modèle.
Quand de tels objectifs sont posés, encore faut-il d'ailleurs que les réalisations puissent être connues et transparentes. J'ai été étonné de la faiblesse de la donnée publique disponible quant à la politique de soutien aux entreprises adaptées et à l'évolution des effectifs éligibles aux aides au poste. Leur publication transparente se justifierait pourtant pleinement eu égard à l'enveloppe budgétaire conséquente consacrée à cette politique, qui représente je le rappelle plus de 400 millions d'euros par an. C'est le sens de ma sixième et dernière recommandation.