Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 janvier 2023 à 10h35
Audition de M. François Villeroy de galhau gouverneur de la banque de france

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui et je formule tous mes voeux pour vous, et pour notre cher pays éprouvé, comme toute l'Europe, par la guerre à ses portes et la crise énergétique qui en découle. Ce contexte génère beaucoup d'incertitude. J'essaierai néanmoins dans ce propos introductif de donner trois séries de repères pour l'année qui s'ouvre : sur la conjoncture et l'inflation, sur le financement de l'économie et sur l'adaptation durable à cette nouvelle donne.

Je commencerai par la conjoncture et l'inflation. Si je devais résumer d'une phrase, je dirais que, jusqu'à présent, l'activité a plutôt surpris en bien, et que l'inflation a plutôt surpris en mal. L'économie française a résisté, avec une croissance qui devrait s'établir à 2,6 % en 2022. Cette résilience meilleure que prévu vaut également pour la zone euro : la BCE a relevé en décembre sa prévision de croissance 2022 à 3,4 %. Selon nos prévisions publiées en décembre, l'année 2023 devrait marquer un fort ralentissement, mais échapper à « l'atterrissage brutal » redouté il y a quelques mois : la croissance devrait être faiblement positive l'an prochain, avec un scénario central de croissance de 0,3 % en France, et de 0,5 % en zone euro. Notre dernière enquête mensuelle de conjoncture, que nous avons publiée ce matin, illustre encore une fois cette résilience meilleure que prévu, et conforte notre prévision pour 2023. L'année 2024 marquerait la reprise, avec une croissance de 1,2 % en France.

Mais après une décennie d'inflation trop basse, et même un risque de déflation en 2020, l'inflation est revenue. Si elle a légèrement diminué en France en décembre à 6,7 % en indice harmonisé européen, et à 5,9 % en indice national, son niveau reste néanmoins beaucoup trop élevé : les ménages et les entreprises le ressentent fortement. L'inflation en France devrait atteindre son pic au cours de ce premier semestre, avant de redescendre vers 4 % en fin d'année.

Je veux redire ici ce qui est à la fois notre engagement et notre prévision : nous allons ramener l'inflation vers 2 % d'ici à 2024 ou à la fin 2025. C'est notre mandat, et l'inflation est aujourd'hui la première préoccupation de nos concitoyens. En outre, une inflation qui s'installerait durablement serait le pire ennemi de la confiance, et donc de la croissance.

Nous entendons parfois des questions, légitimes dans notre débat démocratique : pourquoi remontez-vous les taux d'intérêt ? En quoi est-ce efficace alors que l'inflation est d'abord née des prix de l'énergie ? Mais, malheureusement, l'inflation s'est propagée à la généralité des biens et services : l'inflation sous-jacente, hors énergie et alimentation, que nous estimons autour de 4,2 % en décembre, est également nettement au-dessus de la cible de 2 %, et elle ne baisse pas. Or c'est sur cette inflation « générale » que la politique monétaire est pertinente, et nous avons la responsabilité de ne pas la laisser s'installer.

Le Conseil des gouverneurs de la BCE a donc décidé d'augmenter les taux directeurs de la BCE à rythme accéléré, de 250 points de base au total en 5 mois. Ce faisant, nous avons atteint la « zone de normalisation », dans laquelle la politique monétaire ne stimule ni ne restreint l'inflation. En 2023, de nouvelles hausses de taux seront très probablement nécessaires dans les prochains mois, à un rythme pragmatique, pour faire revenir l'inflation vers 2 % dans les deux ans qui sont le délai d'action de la politique monétaire. Cette dernière est toujours et partout - nous commençons à le voir aux États-Unis ou au Canada ces derniers mois - efficace pour maîtriser l'inflation, et non pas, j'insiste, pour provoquer une récession.

J'en viens au financement de l'économie. Le relèvement des taux d'intérêt, après plusieurs années où ils ont été anormalement bas, se transmet aux conditions de financement de l'économie, mais de façon progressive et ordonnée. Parmi les grands pays européens, le crédit à l'immobilier est en France à la fois le moins cher (avec un taux moyen de 1,9 % en novembre, en-deçà de la moyenne de la zone euro de 2,8 % et plus encore de l'Allemagne à 3,6 %), le plus abondant (avec une croissance des encours de 5,7 % sur un an) et le plus sûr (avec plus de 97 % des encours à taux fixe, alors que la plupart de nos voisins ont des taux variables). L'encours des crédits bancaires aux entreprises progresse plus fortement encore, de 7,7 % en novembre. Globalement, les besoins de financement de l'économie réelle restent largement satisfaits, grâce à la solidité des banques.

Le relèvement des taux de l'épargne réglementée sera décidé vendredi prochain. Ma recommandation au ministre devra prendre en compte, dans ses quelques possibilités d'ajustement, le bon équilibre entre la juste rémunération de l'épargne populaire et la préservation d'un coût de financement raisonnable de notre économie, dont le logement social en particulier. À cet égard, il me paraît probable et souhaitable que le relèvement du taux du livret d'épargne populaire (LEP) soit encore plus significatif que celui du livret A. Il faut d'ailleurs se féliciter que l'année écoulée ait vu un nombre record d'ouvertures de nouveaux LEP, de plus de 2 millions, et que le nombre total de détenteurs approche désormais les 8,5 millions.

Largement touchée par la crise énergétique, la trésorerie des entreprises s'est dégradée, en particulier dans l'industrie, comme le confirme notre dernière enquête mensuelle de conjoncture. Il existe en fait de grandes variations entre les secteurs, et même entre les entreprises d'un même secteur, plus encore qu'en fonction de la taille des entreprises. L'allongement des délais de paiement aux PME et TPE de la part de certaines entreprises de plus grande taille n'est évidemment pas acceptable. Selon nos estimations, ce sont 16 milliards d'euros de trésorerie qui seraient indûment captés par ces grandes entreprises. À l'occasion de la mise en place de notre nouvelle échelle de cotation, nous avons commencé à surveiller ces comportements de paiement pour les filiales d'ETI et de grandes entreprises financièrement solides. Pour 10 % d'entre elles, nous avons dégradé leur notation d'un cran en conséquence. En 2023, cette opération visant à dégrader éventuellement la cotation pour mauvais comportements de paiement sera élargie : ce sont trois fois plus d'entreprises qui seront ainsi examinées.

S'agissant des prêts garantis par l'État (PGE), une hausse modérée des demandes de restructuration a été observée fin 2022 ; nous avons reçu, en 2022, 598 demandes, portant donc sur seulement moins de 0,1 % du nombre total des PGE. Sur les 143 milliards d'euros qui ont été versés pour aider près de 700 000 entreprises, 40 milliards ont déjà été remboursés, et plus de 95 % des entreprises remboursent correctement leur prêt. Par conséquent, cela ne justifie pas un rééchelonnement généralisé ; la médiation du crédit de la Banque de France reste cependant mobilisée, dans chacun de vos départements, pour traiter les cas les plus difficiles.

Comment passer de la gestion de crise à une adaptation durable à la « nouvelle donne » ? La gestion de crise a été et reste évidemment nécessaire. L'État peut amortir temporairement le choc énergétique, mais ne peut cependant le faire disparaître. Ce n'est pas seulement un mauvais moment à passer, c'est une nouvelle donne économique à laquelle nous devons nous adapter. Il faut progressivement, d'ici deux à trois ans, ramener vers zéro les subventions budgétaires à l'énergie, et répartir plus efficacement la facture entre entreprises et ménages, en veillant à l'équité envers les ménages - par des mesures mieux ciblées vers les plus touchés - et tout autant à la compétitivité des entreprises. Les décisions du Gouvernement d'augmenter les tarifs du gaz et de l'électricité de 15 % dans les prochaines semaines et de remplacer la ristourne sur l'essence par une indemnité carburant de 100 euros ciblée selon les revenus vont dans le bon sens, y compris pour inciter à la sobriété énergétique.

À terme, la clé est bien sûr de muscler notre capacité productive par les trois grandes transformations de l'offre : la transformation énergétique ; la transformation numérique ; et la transformation du travail, qui doit être à la fois plus abondant et plus qualifié. Notre croissance y gagnera, et notre inflation en sera mieux maîtrisée. L'arme de la victoire durable contre l'inflation n'est pas budgétaire, elle est d'abord monétaire et ensuite structurelle. Cela ne sera possible que si nous préservons notre capacité à investir dans la décarbonation et l'innovation : la dette publique atteignant désormais 114 % du PIB, nous ne pouvons pas nous permettre un nouveau « quoi qu'il en coûte », et nous devons mieux maîtriser les dépenses courantes. Nous devons en outre développer des financements privés, notamment en réalisant enfin en Europe une Union verte des marchés de capitaux.

J'en reviens, pour terminer, à mes voeux initiaux. La France et l'Europe peuvent, en ce début d'année, avoir sans doute davantage confiance en leur capacité à affronter cette crise. Soyez assurés en tout cas que la Banque de France sera totalement mobilisée pour cela, à votre service et à celui de nos concitoyens.

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