L'action politique se heurte ici au fait que la conscience des citoyens et la mobilisation des décideurs face aux dangers d'Internet paraissent assez faibles, hormis la sphère assez spécialisée des activistes et des associations de défense des libertés ; la dissémination des données personnelles provoque une faible inquiétude, en particulier chez les jeunes : la génération qui nous suit a un rapport à l'intime très différent de celui des générations précédentes - on parle même de « l'extimité », ce désir de rendre visibles des aspects de soi qui sont considérés comme relevant de l'intimité : la jeune génération accepte une porosité entre l'intime et le public, là où nous voulions précisément une séparation. Des affaires montrent combien les jeunes n'en mesurent pas les conséquences, sur leur vie professionnelle aussi bien que personnelle ; cela pose du reste la question de la durée de vie des données personnelles : avec Bernard Benhamou, nous avons milité pour « le droit à l'oubli », pour que l'individu dispose d'un droit de rectification des données le concernant.
La mobilisation sociale contre les dangers d'Internet paraît donc faible, mais le législateur ne saurait se désintéresser d'un tel sujet - d'autant qu'avec les objets connectés, nous allons franchir un nouveau cap vers des existences complètement numérisées, où les données personnelles et comportementales que nous enverrons en continu aux « big data » dresseront nos sociotypes avec toujours plus de précision, offrant toujours plus de capacité de contrôle aux Etats et d'intrusion commerciale aux entreprises. Le débat, dès lors, paraît opposer ceux qui constatent que la vie privée n'a plus le sens qu'elle a eu jusqu'ici, que ses fondements philosophiques et juridiques n'ont plus cours et qu'il faut s'en accommoder...