La menace ne vient effectivement pas des seuls Etats, mais bien des entreprises elles-mêmes et d'autres acteurs privés : la question n'est pas seulement de souveraineté, mais aussi de régulation économique et sociale pour protéger les libertés individuelles.
Pour compléter le tableau, je soulignerai les aspects culturels du sujet. Quand la consultation d'un moteur de recherche devient le premier réflexe pour connaître quelque chose, le savoir se transforme et l'on doit se poser cette question : qui produit le contenu ? Quelles en sont les procédures de validation ? Ces questions vont prendre de plus en plus d'importance, à mesure que les objets connectés seront davantage utilisés. Dans un musée, par exemple, vous photographiez un tableau avec votre smartphone - demain avec vos lunettes - pour en savoir le peintre et la date grâce au système de reconnaissance d'images de Google : qui a écrit la notice, sinon un opérateur de Google - mais avec quelles compétences ? On verra, progressivement, que c'est notre construction même de la réalité qui en sera affectée ; or, étant donné qu'aucun des opérateurs de contenu n'est européen, ce nouveau filtre d'accès au réel sera composé par des opérateurs qui ne vivront pas dans notre société mais ailleurs, avec peut-être d'autres valeurs : c'est un changement anthropologique de première importance.
Cet aspect motive encore, s'il en était besoin, l'objectif de débats internationaux et d'un accord sur les règles d'Internet, en particulier sur la fabrication des contenus, sur le plan du droit aussi bien que de la culture.