Pourquoi changer ? Il s'agit plutôt d'une conjonction de circonstances, qui ne sont d'ailleurs probablement pas indépendantes chronologiquement. Le système a quarante ans ; il a donc techniquement vieilli. On pourrait le faire durer encore quelques années, comme on le fait depuis dix ou quinze ans, mais il sera de plus en plus difficile à contrôler.
Ceci induit également une certaine complexité. On fait de plus en plus de patchs pour tenir compte de tel ou tel besoin, ou de telle ou telle déficience, dans tel et tel domaine. On cherche sans cesse à se protéger contre les nouvelles failles de sécurité, créant ainsi de nouvelles faiblesses. Ceci devient ingérable !
On compte en second lieu de plus en plus d'utilisateurs - peut-être 2,5 milliards. On n'est pas très sûr du chiffre exact, faute de moyens de comptage. Tout ce que l'on sait, c'est qu'il existe environ 5 milliards d'utilisateurs de téléphones mobiles, dont le nombre a augmenté bien plus rapidement que celui des utilisateurs d'Internet via un ordinateur, le téléphone mobile étant aujourd'hui de plus en plus un moyen d'accès à Internet...
Le fait que l'on enregistre un accroissement considérable d'utilisateurs signifie que l'on ne peut plus fonctionner avec les acquis ou les conventions établies. L'ICANN est ainsi un ensemble de conventions, une façon de gérer le réseau, mais qui arrive manifestement à un point d'éclatement.
Il faut également tenir compte des mentalités. Les utilisateurs d'Internet estiment qu'on ne peut plus continuer ainsi pendant dix ans, sans sécurité, surtout lorsqu'on veut mener des opérations sur lesquelles repose la vie d'une compagnie ou de personnes, étant donné les risques de piratage ou de détournement de trafic que fait peser la NSA sur le système. On a désormais pris conscience que la situation est devenue insupportable, un peu comme le fait de vivre derrière une digue qui va sauter d'un jour à l'autre. C'est peut-être un problème psychologique, mais il n'est pas prêt de disparaître.
On a pourtant les moyens de changer, en particulier grâce à la fragmentation, qui existe depuis longtemps. Google, Facebook, Twitter, reposent sur ce principe. Ils sont chacun propriétaire de leur système, qui est opaque. Comment gèrent-ils la protection des données personnelles ? C'est la bouteille à l'encre, et tout change sans qu'on le sache. Ce sont de toute façon des passoires. Pour les experts, ce n'est pas sérieux !
Cette fragmentation va augmenter. C'est aussi le cas en Chine, avec Baidu, même si ce système ne correspond pas du tout au même que le nôtre.
La diversification des usages explose donc, ce qui peut être bon, mais demeure incontrôlée, et sous la coupe de géants qui font ce qu'ils veulent. Il n'existe aucune normalisation, ni aucun accord commercial précis entre les différents pays. On se dirige vers le chaos !
Ce qu'on ne peut pas fragmenter, ce sont les adresses IP, auxquelles on ne touche donc pas. Les seuls qui le fassent sont les réseaux privés des entreprises, qu'on appelle souvent « Intranet », qui ont leurs propres systèmes d'IP, qu'on ne voit pas de l'extérieur. Lorsqu'on veut passer de l'intérieur à l'extérieur, il faut traduire ces numéros, et la traduction n'est pas forcément autorisée pour tous les numéros. Une certaine protection naturelle est assurée par les traducteurs de numéros, les Network address translators (NAT).
Quant au réseau public IP, il doit rester homogène, mais compte peut-être 100 000 réseaux, qui fonctionnent correctement, ayant le même protocole de base TCP/IP, déjà « surpatché ». Ces réseaux sont donc naturellement incités à rester compatibles, comme pour les compagnies de téléphone. Cela ne changera donc pas.
Ce qui va changer, ce sont les noms de domaine. Les noms de domaine uniques au monde n'ont pas de sens. Quelqu'un qui, en Afrique, veut faire du e-commerce dans son pays, et dans les quelques pays autour du sien, n'a aucun besoin d'avoir des noms de domaine uniques au monde, alors qu'il ne veut pas faire de commerce avec l'Amérique du Sud ! C'est une donnée économique.
Il n'existe pas un seul annuaire du téléphone : on trouve des annuaires de métiers, de médecins, de professeurs, de commerces, etc. Cela ne gêne personne : les numéros sont les mêmes, mais le nom est différent. Ce sont en fait des « Who's Who » particuliers... C'est ce qui devrait exister dans le cadre de la concurrence entre l'ICANN et les autres sociétés spécialisées dans les noms de domaine. Ceci permettrait une diversification actuellement absente. Plus il y aura de noms de domaine uniques, plus il y aura de tentations de piratage...
La norme serait donc de dire que chaque société offre les noms qu'elle souhaite, chaque nom ayant une adresse bien précise, choisie en fonction de l'activité. C'est à l'utilisateur de choisir les noms, et non aux réseaux. Il faut, en plus du nom de domaine, un annuaire qui permette de trouver les personnes auxquelles on veut s'adresser, même s'il existe une duplication - ce qui est normal. Il n'y a aucune raison que ces noms soient uniques !
Si l'on ne connaît pas le chinois, à quoi cela sert-il d'avoir un annuaire unique ? Il suffit qu'il soit unique pour les Chinois, mais non pour les Européens !
Ce sont là de faux problèmes, qui nécessitent de s'adapter. Chaque fois que l'on introduit de la diversification ou du choix, on complique la situation. Lorsqu'on introduit la concurrence entre opérateurs téléphoniques, les choses se complexifient mais, sans concurrence, les choses stagnent, et l'on se fait exploiter par le système dominant !