Je vous remercie pour cette invitation à intervenir sur ce sujet important, et de plus en plus vaste puisque, il y a encore quelques années, il n'aurait été question que de biocarburants et non d'hydrogène ou de carburants de synthèse.
Je commencerai par un panorama général, avant de dresser une cartographie des leviers de décarbonation en fonction des usages et des types de transports. Tous les vecteurs énergétiques peuvent avoir des rôles à jouer, mais sont plus ou moins adaptés pour certains secteurs. Je présenterai enfin de manière plus précise les biocarburants, les carburants de synthèse et l'hydrogène.
L'objectif de réduire de 55 %, par rapport à 1990, nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, puis d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, constitue un objectif très exigeant et concerne tous les secteurs.
Les transports constituent la première source d'émission de gaz à effet de serre en France - autour de 30 % de nos émissions. Une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) a été adoptée. Le Gouvernement a défini une stratégie nationale bas-carbone (SNBC) qui repose sur un effort de sobriété et d'efficacité énergétiques, afin de réduire la consommation, et sur la décarbonation des énergies utilisées, grâce notamment à l'électrification.
Pour réduire durablement les émissions de gaz à effet de serre dans les transports, on devra agir sur plusieurs leviers : améliorer l'efficience générale des transports, optimiser l'utilisation des véhicules, favoriser le report vers les modes de transport les moins émetteurs et les plus faciles à décarboner, développer d'électrification, mais cela ne suffira pas, d'où l'importance de travailler sur de nouveaux carburants liquides ou gazeux. Il convient de prendre aussi en compte la demande croissante de mobilité. À défaut de pouvoir la réduire, il est nécessaire de rendre les transports plus efficaces.
Les enjeux énergétiques et climatiques se conjuguent. Il faut aussi articuler les dimensions européenne, nationale et territoriale : rien ne sert de lancer un plan Vélo s'il ne donne pas lieu à des déclinaisons sur tout le territoire. Bref, ce problème appelle une approche systémique, en particulier pour les transports : il faut réfléchir à la fois à leur organisation, à leurs interconnexions et au lien entre les motorisations et les infrastructures de ravitaillement.
En fait, pour chaque type de transport - routier léger, routier lourd, ferroviaire, aérien, fluvial, maritime -, un ensemble de contraintes et de solutions se dessinent qui rendent plus ou moins facile le recours aux énergies bas-carbone.
Pour les véhicules légers - véhicules particuliers et utilitaires légers -, la mobilité électrique apparaît comme une solution de long terme, compte tenu des faibles émissions du mix énergétique français. L'hydrogène n'a que peu d'intérêt pour la mobilité légère : la transformation de l'électricité en hydrogène à partir de l'électrolyse de l'eau induit des pertes d'énergie de 30 % à 40 %, là où le rendement d'un moteur électrique est proche de 100 %. À moyen terme, avec le renouvellement du parc des véhicules légers, les biocarburants, qu'ils soient de première génération ou plus récents, ont un rôle non négligeable à jouer dans la transition. Les études menées sur le cycle de vie des véhicules légers montrent que l'électrification permet une importante réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il convient donc de développer le réseau de bornes de recharges, tant dans les espaces privatifs résidentiels, des collectivités ou des entreprises, que sur la voie publique : on comptait 85 000 bornes accessibles au public au 31 janvier, et plus d'1 million de bornes privées. Malgré le début de la massification de la production des véhicules électriques, des mesures d'accompagnement restent nécessaires pour soutenir leur développement, comme les primes à la conversion, les bonus ou les aides à l'implantation des bornes.
En ce qui concerne les véhicules routiers plus lourds, qui transportent des marchandises ou qui sont amenés à faire de plus longues distances, les navires ou les avions, l'électrification ne sera pas une solution à court terme, ni même sans doute à plus long terme. Néanmoins, les déterminants technologiques et économiques ne sont pas figés. Les bus électriques commencent à se répandre, mais l'offre de cars et de poids lourds électriques, qui voyagent plus et ont besoin de davantage d'autonomie, est plus restreinte. Toutefois, un grand nombre de constructeurs de poids lourds, considérant qu'ils ne peuvent viser toutes les technologies, annoncent l'électrification de l'ensemble de leur gamme. La propulsion au gaz ou au biogaz reste cependant privilégiée ou incluse dans leur gamme. Certains constructeurs envisagent également des poids lourds à hydrogène ; les poids lourds ont davantage la possibilité qu'une voiture d'emporter une grande quantité d'hydrogène dans le réservoir, ainsi qu'une pile à combustible, ce qui permet d'atteindre une autonomie conséquente. Une autre perspective est la décarbonation des carburants liquides par le recours aux biocarburants, actuels ou futurs.
En ce qui concerne la mobilité aérienne, les ministres de l'énergie, de l'industrie et des transports ont installé ce matin un groupe de travail réunissant tous les acteurs : les fabricants d'avions, les énergéticiens, les compagnies aériennes et les aéroports. À ce jour, l'électrification n'apparaît pas tellement envisageable. Même si des recherches ont lieu, elle concernerait probablement principalement les petits avions. L'hydrogène est qualifié de solution potentielle à long terme pour des court et moyen-courriers ; des travaux de R&D ont lieu, mais cela reste compliqué. Finalement, comme dans tous les secteurs, il convient d'accroître l'efficacité énergétique en développant des avions qui consomment moins parce qu'ils sont plus légers, plus aérodynamiques, ou parce que leurs trajectoires sont optimisées ; mais, sauf rupture technologique majeure, les experts considèrent que la réduction des émissions de gaz à effet de serre passera par l'emploi en forte proportion de carburants liquides décarbonés - biocarburants ou carburants de synthèse.
Entre la demande et l'offre de ces carburants, c'est, à court terme, la question de la poule et de l'oeuf : par où commencer ? La demande commence à émerger. Les biocarburants sont progressivement incorporés dans les carburants pour avion. Les règlements européens vont aussi stimuler le développement de l'offre. Il est souhaitable qu'une offre industrielle émerge sur le sol européen ou national, et non dans d'autres pays où la réduction réelle des émissions de gaz à effet de serre serait plus difficile à contrôler. On doit donc s'attendre, au moins dans une première phase, à ce que ce secteur soit guidé par l'emploi de biocarburants ou de carburants de synthèse à faibles émissions, même si des projets de R&D sont menés, en particulier sur l'utilisation directe de l'hydrogène pour les vols court et moyen-courriers.
Pour les mobilités maritime et fluviale, la logique est semblable, même si les motorisations sont plus flexibles. Les moteurs de bateaux sont moins complexes que les moteurs d'avion et il est possible d'envisager un rétrofit pour les faire fonctionner à partir de biocarburants. L'utilisation de l'hydrogène est également envisagée. Elle suppose l'usage d'une cuve spécifique et d'une pile à combustible, ce qui pose évidemment des questions de sécurité. On attend la réalisation de prototypes. Certains armateurs étudient également l'utilisation de dérivés de l'hydrogène comme le méthanol et l'ammoniaque - il n'y aurait pas alors de pile à combustible mais un moteur thermique. Les navires devant en général couvrir de longues distances, en dépensant de grandes quantités d'énergie, le moteur électrique resterait cantonné à certaines niches. L'électrification a toutefois un rôle à jouer dans les secteurs aériens et maritimes pour décarboner les activités de proximité dans les ports et les aéroports, pour ravitailler les navires ou les avions par exemple. Il est plus intéressant pour l'environnement de les raccorder au réseau électrique que de faire tourner les chaudières diesel.
Les biocarburants, c'est-à-dire les liquides à part biologique, sont utilisés principalement aujourd'hui dans la propulsion routière, mais leur usage est amené à se développer. Nous n'en sommes plus au stade des balbutiements. Ils jouent déjà un rôle non négligeable puisqu'ils sont incorporés à hauteur de 8 % dans les essences et les gazoles routiers. Ils présentent un certain nombre d'avantages. Ils peuvent ainsi être distribués sans modifier en profondeur l'infrastructure logistique et de distribution. On distribue déjà sans problème du diesel ou de l'essence comportant une part de biocarburant, ainsi que le superéthanol-E 85.
Après une phase initiale qui avait nécessité un fort soutien financier à la production de biocarburants, les dispositifs ont été simplifiés, mais les incitations restent fortes. La taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants (Tirib), devenue la taxe incitative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans le transport (Tiruert), vise à inciter les producteurs de carburants à incorporer une part de plus en plus élevée de carburants verts dans les carburants d'origine fossile. Elle n'est pas due dès lors que certains seuils d'incorporation sont atteints. Comme peu de redevables potentiels la paient, on peut penser qu'elle remplit ses objectifs. Son périmètre a évolué pour prendre en compte des biocarburants de nouvelle génération, comme ceux qui valorisent des déchets par exemple. Cette incitation, légèrement coercitive, est nécessaire, car les biocarburants restent plus coûteux à produire que leurs équivalents fossiles, et la tendance ne devrait pas s'inverser dans les prochaines années. Les biocarburants sont majoritairement produits à partir de ressources agricoles et de différents intrants dont les prix sont partiellement dépendants du pétrole.
La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), adoptée en 2020, vise à soutenir le développement de biocarburants de deuxième génération produits à partir de matières qui n'entrent pas en concurrence avec la production alimentaire. Les débats ont été vifs lors des derniers projets de loi de finances et sont techniquement complexes. L'objectif est que ces biocarburants aient un impact global meilleur que les carburants fossiles, en termes d'émissions de gaz à effet de serre en analyse de cycle de vie : le but est que cette amélioration soit de l'ordre non pas de 10 %, mais de plus de 50 %, voire plus. Dans l'analyse du cycle de vie, il faut prendre en compte les effets indirects, comme la déforestation importée. La législation française exclut du comptage, dans les objectifs d'incorporation, les biocarburants à base d'huile de palme et, progressivement, ceux de soja. Les directives européennes relatives aux énergies renouvelables, dites RED (Renewable energy directive), ainsi que le règlement européen sur la lutte contre la déforestation importée vont dans le même sens.
J'en viens aux carburants de synthèse, qui sont fabriqués à partir de la recombinaison d'hydrogène et de carbone, produit à partir de monoxyde de carbone ou de dioxyde de carbone, et non d'énergies fossiles. L'intérêt est de recycler le carbone émis dans les fumées industrielles, d'aciéries ou de cimenteries par exemple. Le rendement du procédé de fabrication est encore limité. La production nécessite des quantités d'électricité importantes. Si le carburant est renouvelable, il faut que l'hydrogène soit produit de manière renouvelable ; si l'on veut qu'il soit bas-carbone, il faut que l'hydrogène soit bas-carbone. D'où l'importance pour la France de pouvoir utiliser son électricité décarbonée pour produire de l'hydrogène décarboné.
En captant le gaz émis par des procédés riches en monoxyde de carbone (CO) et dioxyde de carbone (CO2), on n'a pas besoin de l'épurer. C'est comme à chaque fois en chimie : lorsqu'un produit est très dense et riche, il y a moins de coûts d'épuration.
De même, en général, le CO2 capté est d'origine fossile. Mais on peut utiliser du CO2 d'origine biogénique, capté dans les éthanoleries ou dans certaines usines de biocarburants avancés. On voit émerger des carburants de synthèse, de type méthanol, utilisables dans le secteur maritime et dans une moindre mesure dans le secteur routier - qui dispose d'autres solutions. Leur rendement est plus intéressant, car le méthanol est la molécule la plus simple à obtenir par recombinaison de carbone et d'hydrogène.
L'aviation a plutôt besoin d'un carburant de type kérosène, ce qui nécessite de produire des carburants de synthèse plus complexes.
C'est pourquoi le Gouvernement a soutenu des projets dans ce domaine, dès le programme des investissements d'avenir (PIA). Puis 200 millions d'euros ont été prévus dans le cadre de France 2030 pour soutenir des études et des démonstrateurs de carburant aérien durable, et quatre projets en ont bénéficié. Nous souhaitons lancer un deuxième appel à projets pour soutenir des phases d'industrialisation à plus grande échelle des biocarburants avancés et des carburants de synthèse.
Un autre sujet de votre mission d'information est l'hydrogène, qui n'est pas seulement un carburant pour les transports. La stratégie hydrogène adoptée en 2020 est assez proche de celles d'autres pays. Comme il faut le produire, qu'il n'est pas gratuit et qu'il faut un bon rendement, nous visons en priorité les usages où il est le plus pertinent pour la décarbonation : l'industrie et les mobilités les plus intensives en énergie.
Dans l'industrie, on utilise surtout de l'énergie fossile. L'hydrogène utilisé est produit à partir de 900 000 tonnes environ d'énergie d'origine fossile, avec 9,5 millions de tonnes de CO2 émises, soit 2,5 % de nos émissions. C'est cela qu'il faut décarboner. Avant d'inventer de nouveaux usages de l'hydrogène, il faut déjà produire de l'hydrogène durable.
Il peut y avoir aussi des procédés industriels nouveaux utilisant entre autres de l'hydrogène, notamment en sidérurgie, qui peuvent remplacer des étapes utilisant du charbon ou du gaz pour la réduction des minerais.
Ensuite, il y a la mobilité lourde. Le train est électrifiable, mais lorsque la ligne ne peut pas être électrifiée, on retombe soit sur des diesels de synthèse, soit sur de l'hydrogène. L'État soutient, avec le co-financement de plusieurs régions, des projets de démonstrateurs portés par Alstom et de premiers trains à hydrogène pour les lignes non électrifiées. Ce n'est pas la seule solution, il existe aussi des hybrides électriques chargeant des batteries utilisées pour rouler sur les portions non électrifiées.
Nous voulons plus d'hydrogène décarboné. L'électrolyse de l'eau est un procédé prometteur, et les nouveaux électrolyseurs sont améliorés pour atteindre un plus haut rendement, et donc être plus efficaces énergétiquement, mais aussi économiquement. Pour 1 TWh d'hydrogène, il faut 1,7 TWh d'électricité. Si on peut améliorer les rendements, il y aura moins d'électricité à produire, et ce sera bénéfique non seulement pour le producteur d'hydrogène, mais pour l'ensemble du système.
Nous ne fermons pas la porte à des procédés à partir de biomasse pour capter l'hydrogène du méthane, et capter le CO2. Mais ces projets, encore à l'étude, ne sont pas encore industrialisés.
L'hydrogène peut donc servir à l'industrie, à la mobilité lourde, comme soutien à la production, mais aussi à toutes les technologies. Nous développons des technologies d'électrolyse, mais aussi les technologies d'utilisation de l'hydrogène. La pile à combustible n'a pas encore tout cet historique de perfectionnement, même si nous sommes loin de la préhistoire ; nous pouvons encore bien progresser.
Depuis 2020, les plans gouvernementaux soutiennent des phases de recherche-développement et des démonstrateurs pour de grandes usines de production à partir d'électrolyse. Il y a également des projets de piles à combustible ou de production massive d'hydrogène. La stratégie vise une production de 6,5 GWh d'électrolyse installée en 2030. Nous devrions disposer rapidement de plus de 2 GWh soutenus par des appels à projets. Certains projets sont cofinancés par l'Union européenne dans le cadre de projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), dont des projets de production d'hydrogène.
Nous avons aussi travaillé sur divers mécanismes de soutien, dont certains à moyen terme, tant que les prix des technologies d'électrolyse n'auront pas atteint le prix de l'hydrogène fossile, à travers un soutien à la production. Un peu comme pour les énergies renouvelables, nous apportons un soutien par appel d'offres, en retenant les projets présentant le meilleur rapport qualité-prix, où l'on compenserait le coût de la production vis-à-vis du prix nécessaire et acceptable pour permettre le développement de la filière. Cela fait l'objet d'un mécanisme notifié à la Commission européenne. Nous espérons une approbation cette année pour lancer ces appels à projets.
Nous soutenons aussi le développement d'écosystèmes territoriaux, au-delà des grands démonstrateurs, combinant une production et une utilisation locales dans l'industrie et la mobilité lourde. Cette stratégie est amenée à évoluer. Le Président a demandé de la revoir cette année au vu de la demande croissante d'hydrogène dans les stratégies de décarbonation de l'industrie. Nous devrons nous interroger sur l'infrastructure hydrogène en France et en Europe. Nous privilégions les bassins locaux, pour que la consommation soit proche de la production, mais nous envisageons aussi de grands centres de production reliés à des lieux de consommation par un réseau qui se développerait progressivement. Nous traiterons ce sujet dans la prochaine PPE. Quel réseau d'infrastructures, quel modèle économique voulons-nous ? Un réseau régulé comme celui de gaz ou d'électricité, ou un mélange de réseau régulé et un réseau d'initiative privée au moins pour les petits réseaux ? Il se posera également la question des importations, à la fois au niveau européen et national. Les ambitions européennes du programme REPowerEU évoquent une consommation européenne de 20 millions de tonnes à horizon 2030, dont 10 millions de tonnes fabriquées en Europe, et le reste importé. En France, nous devons d'abord faire émerger notre production, mais soyons réalistes : il nous faudra aussi importer.
Des projets de règlements européens sont en cours de négociation. Les définitions d'hydrogène renouvelable ou bas-carbone ne convergent pas encore. Mais un consensus émerge sur le fait que l'hydrogène importé, pour être qualifié de bas-carbone, devra avoir les mêmes performances et une capacité à suivre cette même performance d'émissions de CO2 par kilo d'hydrogène. Cet approvisionnement européen devra être de qualité, durable, mais aussi encadré et diversifié pour éviter de retomber dans des dépendances excessives envers un seul producteur d'hydrogène, comme cela a pu être le cas pour le gaz naturel. Nous nous interrogerons aussi sur d'autres usages de l'hydrogène comme moyen de stockage de l'électricité. Le sujet est large...