Intervention de Christopher Mesnooh

Mission commune d'information sur l'accès aux documents administratifs — Réunion du 3 avril 2014 à 10h00
Audition de M. Christopher J. mesnooh avocat aux barreaux de paris new york et washington

Christopher Mesnooh, avocat aux barreaux de Paris, New-York et Washington DC :

Le Freedom of Information Act (FOIA) date de 1966. Il concerne les agences, c'est-à-dire les ministères et les institutions fédérales situées à Washington qui constituent l'infrastructure administrative et Etatique car, lorsque l'on parle du gouvernement, l'on désigne là-bas ce que l'on appelle ici l'Etat.

Cette loi a été imaginée et votée à un moment où il s'agissait de concilier le développement de l'Etat, notamment dans sa dimension militaire, et les principes démocratiques de base que constituent l'ouverture et la responsabilité envers les citoyens. Les débats avaient débuté dans les années 1950, lors de la guerre froide, et ils ont duré une dizaine d'années. Ancien soldat, le président Eisenhower n'y était pas très favorable, estimant que le développement de l'appareil militaire et la sécurité étaient prioritaires. Avec la guerre du Vietnam, une contre-culture s'est développée et le contexte a changé au milieu des années 1960. Finalement voté en 1966, le Freedom of Information Act (FOIA) est entré en vigueur le 4 juillet 1967. Il donne accès, pour le public américain comme non américain, aux documents officiels produits par la seule branche exécutive (la présidence, la vice-présidence, les agences), mais, conformément au principe de séparation des pouvoirs, ni à ceux du Congrès ni à ceux de la justice. Les documents concernés doivent avoir été produits par une agence et être conservés sous le contrôle de celle-ci. Deux mots sont revenus dans les débats parlementaires : openess (ouverture) et accountability (obligation de responsabilité du gouvernement envers les citoyens).

La loi a ensuite été revue en fonction des évolutions politiques. En 1974, après le Watergate et la démission forcée du président Nixon, sa portée a été élargie et certains privilèges et exceptions bénéficiant aux services secrets et à la police ont été supprimés. L'année 1974 a vu l'adoption du Privacy Act, équivalent de la loi française du 6 janvier 1978 créant la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). En 1986 cependant, l'administration de Ronald Reagan, voyant dans cette loi une menace, a renforcé les exceptions dont pouvaient se prévaloir l'Etat et les agences pour restreindre l'accès aux informations. On était alors loin de l'idéologie des années 1960 et 1970... En 1996, Bill Clinton, avocat, plus libéral au sens américain du terme, a pris l'initiative du Electronic Freeedom of Information Act afin de rendre la législation compatible avec les débuts de l'Internet. Cinq ans plus tard, nouveau virage après les attentats du 11 septembre 2001 : le gouvernement républicain de George Bush fils a, sans changer la loi, donné consigne de défendre devant la Justice les agences qui ne communiquaient pas leurs documents. En 2003, l'accès aux documents a été limité pour les associations, les institutions et les gouvernements étrangers. Cette législation, en évolution permanente au gré des alternances politiques, reste cependant à peu près la même depuis 1966 : elle demeure une arme donnée aux citoyens américains pour contrôler leur gouvernement.

A la différence du système français qui a mis en place la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) française, il n'existe pas aux Etats-Unis d'organisme central chargé de faire respecter la loi. Chaque agence dispose d'un bureau chargé de vérifier que la loi est correctement appliquée en son sein et de traiter les demandes du public. Les Américains sont hostiles à une extension des compétences fédérales sur ce sujet. Dès lors, il appartient à chacun de trouver la bonne agence et le bon interlocuteur pour répondre à sa demande. On recense chaque année 600 000 demandes, qui concernent surtout le Department of Homeland Security, créé par Bush après le 11 novembre, puis les départements de la Défense, de la Santé et de la Justice. Au cours des trois ou quatre dernières années, le taux de refus de communication s'est établi à environ 45 %. Chaque agence doit présenter tous les ans un rapport sur les documents demandés, fournis et refusés, ainsi que sur les délais d'accès. En outre, une riche information, notamment juridique, figure sur leurs sites internet. Dès 1966, des reading rooms ou salles de lecture physiques ont été installées pour permettre la consultation des documents non classifiés. En 1996, des salles de lecture virtuelles ont également été mises en place sur internet par chaque agence.

Jusqu'en 2003, il n'y avait aucune restriction liée à la profession, au statut ou même à la nationalité pour l'accès aux informations publiques. En 2003, suite aux attentats de 2001, je vous rappelle que les gouvernements, personnes et institutions étrangères ont été écartés.

Si les demandes n'ont pas à être motivées, elles doivent être écrites, qu'elles prennent la forme d'un courrier adressé sur papier ou par voie électronique : la procédure est plutôt informelle. Les agences doivent fournir un effort « raisonnable » pour, le cas échéant, identifier les documents demandés ; plus la demande est précise, plus la recherche sera facile et les délais de communications seront courts. Les délais de communication, initialement de dix jours ouvrés, ont été portés à vingt jours en 1996. Cependant, si la charge de travail de l'agence est trop importante, celle-ci doit en aviser le demandeur en l'invitant à reformuler sa demande afin de mieux circonscrire la recherche. Au total, malgré sa complexité et le nombre de demandes annuelles, le système fonctionne étonnamment bien. Une procédure accélérée est prévue en cas d'urgence, notamment si la vie ou la sécurité d'une personne est menacée ou si la sécurité publique est en jeu. Dans quelques cas, le traitement des demandes a ainsi été accéléré.

Les agences n'ont pas d'obligation de résultat, mais sont tenues de mener avec diligence les recherches nécessaires. Elles doivent transmettre les documents sur le support demandé. Il est possible de rejeter totalement ou partiellement une demande, sous réserve de motiver cette décision par l'une des neuf exceptions prévues par la loi - informations classées secret-défense ou touchant à la conduite des affaires extérieures ; informations relatives aux règles de fonctionnement interne des agences ; communications internes des agences ou des agences entre elles ; informations protégées par une loi fédérale (notamment dans le domaine fiscal) ; informations protégées par le secret commercial et financier ; informations sur la vie privée ; informations sur la sécurité intérieure et les enquêtes de police ; informations relatives au contrôle des institutions financières. Il existe en outre des exemptions, pour lesquelles le refus de communication ne peut être remis en cause par la voie de l'appel : elles concernent des questions de sécurité, les affaires pénales, le terrorisme, l'intelligence et les renseignements généraux.

En cas de refus de communication, le citoyen peut former un recours gracieux auprès du bureau spécialisé de l'agence concernée, puis, en cas d'échec, un recours contentieux devant les tribunaux fédéraux. Pour 600 000 demandes annuelles, l'on compte 11 000 recours gracieux par an, et seulement 300 à 500 recours contentieux, car il est difficile de remettre en cause une décision bien justifiée par un enjeu sécurité intérieure, par exemple. Avec la multiplication des documents disponibles en ligne, les demandes se font de plus en plus personnelles. Nombre de recours concernent des personnes à qui l'on a refusé l'octroi de la carte verte ou de la citoyenneté américaine. Il arrive souvent également que des journalistes reconnus, qui s'intéressent aux dysfonctionnements gouvernementaux, portent leur demande devant les tribunaux.

Le Privacy Act de 1974, qui donne aux individus accès aux informations les concernant, ne vaut que pour les citoyens américains.

Le président Obama, avocat de formation, est très favorable à l'open society, même s'il en oublie parfois les principes, lorsqu'il s'agit de sécurité nationale ou de politique étrangère...

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