La situation allemande se caractérise d'une part par un éclatement des mécanismes d'accès entre l'Etat fédéral et les Länder, et, d'autre part, par un retard assez prononcé en matière d'accès aux documents administratifs, notamment par rapport à la France. Les raisons en sont assez anciennes. Je l'avais dit dès 2003, lors d'un colloque organisé à l'occasion des 25 ans de la Cada : l'expérience des années 1930 a marqué les esprits, ainsi que la guerre froide des années 1950 avec la dictature communiste à l'Est. Ces expériences ont laissé des traces douloureuses quant à la question du contrôle public sur l'individu. Certes, il y a eu des effets positifs, comme des lois précoces en la matière : la Hesse a adopté en 1970 la première loi au monde sur ce sujet ; la loi adoptée en 1977 au niveau fédéral concerne surtout la protection des données.
D'un point de vue organique, ce sont les mêmes institutions qui garantissent les droits des individus et l'accès aux données, une ambivalence qui a pu constituer un frein au développement d'une législation sur l'accès aux données publiques.
La sensibilité héritée de l'histoire s'est manifestée en 1983, quand une levée de boucliers a obligé à renoncer à réaliser un recensement. La Cour constitutionnelle fédérale allemande a développé à cette occasion un droit à l'autodétermination des données, dans des considérants qui ont eu une résonnance certaine au niveau européen. Plus récemment, l'Allemagne s'est très fortement opposée au programme Street View de Google. Certains Länder ont d'ailleurs engagé des poursuites à l'encontre de cette société, qui a interrompu son programme à la suite d'un accord avec le gouvernement.
La réticence à la collecte et à la rediffusion des données vont de pair en Allemagne. Le droit d'accès des personnes parties à une procédure est bien sûr garanti mais, pendant longtemps, l'ordre juridique allemand n'avait qu'une vision réduite de l'accès aux documents administratifs.
Une législation a été développée relativement tard. La loi de 1977 s'apparentant à notre loi de 1978, il a fallu attendre la pression communautaire pour aller plus loin, dans les années 1990, avec la transposition de la directive sur l'accès aux documents relatifs à l'environnement. Le Land de Brandebourg a reconnu en 1998 un droit d'accès plus général ; Berlin a suivi l'année suivante, puis le Schleswig-Holstein en 2000, la Rhénanie du Nord-Westphalie en 2002. La législation fédérale n'est entrée en vigueur que le 1er janvier 2006, soit près de trente ans après la France. L'expérience de l'Allemagne de l'Est a-t-elle joué un rôle ? Lors de la réunification, un droit d'accès aux documents de la Stasi avait été accordé, ce qui explique peut-être les initiatives de Berlin et du Brandebourg. Toutefois, les exemples du Schleswig-Holstein et de la Rhénanie du Nord-Westphalie plaident pour une évolution des esprits.
Cependant, sur 16 Länder, seuls 10 ont mis en place un droit d'accès aux documents administratifs ; or, la législation fédérale ne s'applique qu'aux données de l'administration fédérale. 10 % des fonctionnaires allemands étant des fonctionnaires fédéraux, les dossiers sont essentiellement aux mains des Länder. Les communes ont été nombreuses à prévoir un droit d'accès, notamment en Bavière. Il est intéressant de noter que le terme utilisé est celui de « liberté d'information ».
Une volonté d'aller plus loin dans la transparence s'exprime parfois : à Brême et à Hambourg, une obligation de publication a été prévue. La loi du 13 juin 2012 votée à Hambourg oblige à publier toutes sortes de données, des contrats de concession aux subventions, en passant par les expertises et les permis de construire, afin d'offrir plus de transparence aux citoyens. Ce mouvement trouve un certain relais au niveau fédéral. En 2013, un portail fédéral a été mis à disposition pour diffuser toutes sortes de données, même si la publication reste facultative.
L'éclatement des législations entre Länder et Etat fédéral se retrouve dans les modalités du droit d'accès. Une conférence des commissaires à la protection des données et à l'accès aux documents se réunit deux fois par an.
Au total, le droit d'accès reconnu est assez similaire à celui prévu par notre loi de 1978. Les demandes n'ont pas à être motivées ; elles ne peuvent porter sur un processus décisionnel en cours ; les données personnelles sont exclues, tout comme les données concernant les entreprises ou les documents parlementaires et judiciaires.
Les textes étant récents, des ministères tentent d'obtenir des dérogations : ainsi en 2008, le président du conseil des ministres d'un Land a tenté, en vain, d'exclure de ce régime les institutions chargées du contrôle bancaire. Plus récemment, le ministère fédéral de l'économie a souhaité en exclure les documents de l'agence de contrôle du marché dans le domaine de l'énergie. En 2008, 1 548 demandes d'accès ont été formulées ; en 2009, 1 358 ; en 2010, 1 557 mais 3 280 en 2011. C'est encore peu, mais le mouvement est clairement ascendant.
S'agissant des structures, la compétence du commissaire chargé de la protection des données, équivalent de la Cnil, a l'avantage d'éviter les conflits mais peut conduire à une auto-restriction. Au niveau fédéral, le commissaire chargé de la protection des données existe depuis 1977 ; en 1996, il a également été chargé de la protection du droit d'accès. Sa nomination est proposée par le gouvernement fédéral et le Bundestag la confirme, ce qui lui confère une double légitimité démocratique. Nommé pour cinq ans, il est renouvelable une fois. En Allemagne, à la différence de la France, le recours aux autorités administratives indépendantes (AAI) est plus limité et plus encadré. L'actuelle commissaire allemande a été nommée le 19 décembre 2013. Juriste de formation, avocate, cette ancienne députée CDU était une élue du Brandebourg. Il n'y a pas de saisine obligatoire en cas de refus de transmission, car c'est le juge qui est compétent. Le commissaire, lui, joue un rôle de médiateur. Outre ses fonctions de conseil, il publie un rapport, qui constitue un instrument de pression.
La jurisprudence, quoique peu fournie, joue un rôle essentiel. De même que la doctrine, elle témoigne d'un intérêt pour la protection des données. En 2011, la Cour administrative fédérale a refusé de voir une forme d'acte de gouvernement dans l'avis du ministère de la justice sur une pétition adressée par des citoyens au Parlement : l'exception n'étant pas expressément prévue par la loi, elle a obligé le ministère à le transmettre. De même, concernant le contrôle des institutions, la cour d'appel administrative de Berlin-Brandebourg a considéré que la liste des invités au dîner organisé par la Chancellerie pour les 60 ans d'un banquier célèbre était communicable : elle a relevé que les invités l'avaient été en raison de leur situation et que les invitations avaient été envoyées à leur adresse professionnelle. Enfin, alors que le Bundestag avait refusé de communiquer des documents relatifs à un rapport de 2009 sur les Ovni et les formes de vie extraterrestre, la cour de Berlin a fait prévaloir le critère matériel sur le critère organique, considérant qu'il s'agissait là d'une activité de nature administrative, et a donné tort au Parlement. La jurisprudence a en outre considéré qu'un délai de transmission de dix-huit mois était excessif. Au total, au niveau fédéral comme au niveau des Länder, sous l'effet également de la jurisprudence, le droit d'accès se généralise progressivement.
Sur le droit de réutilisation également, le droit allemand évolue en réaction au droit communautaire, dans le cadre de la transposition des directives. Le texte du 17 décembre 2006 a complété la règlementation antérieure. En l'occurrence, la fédération a adopté une législation d'application complète, pour les Länder également, en utilisant les facultés de l'article 72 de la loi fondamentale sur la compétence législative concurrente. Cet article prévoit en effet que les Länder légifèrent tant que la fédération n'est pas intervenue. Leurs droits sont toutefois restreints, entre autres, dans le domaine de l'économie, tel que le définit l'article 74. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale contribue à expliquer la relative centralisation de l'ordre juridique allemand en la matière.
Voilà le cadre dans lequel la directive de 2003 a été transposée par un texte entré en vigueur le 19 décembre 2006. La loi sur la réutilisation des données n'ouvre pas un droit d'accès nouveau, mais complète les textes déjà existants sur la protection des données : elle fixe un cadre. Pour le reste, elle se borne à transposer la directive qui prévoit la compétence du juge administratif : le délai de réponse imparti aux autorités administratives est de 20 jours ou 40 en cas de difficulté particulière ; la redevance est fondée sur le coût d'établissement des données ; le principe est celui de l'égalité de traitement entre les entreprises qui souhaitent avoir accès aux données et les autorités publiques.
Contrairement à ce qui se passe en Autriche, la doctrine allemande s'est peu intéressée à cet enjeu. Une décision commentée concerne néanmoins l'accord passé en 1991 avec un éditeur privé par la Cour constitutionnelle fédérale pour assurer la diffusion de ses données. Les documentalistes de la Cour rédigent des résumés des décisions selon des modèles fournis par l'éditeur privé qui revend ensuite l'accès à ces textes. Un éditeur concurrent a demandé à avoir accès aux résumés des décisions de la Cour, en arguant qu'il s'agissait d'un document administratif. Dans un premier temps, le tribunal administratif de Karlsruhe a confirmé le refus de la Cour constitutionnelle fédérale, au nom de la propriété intellectuelle. La Cour d'appel du Land a retenu quant à elle que, ces résumés étant élaborés dans le cadre d'une fonction publique, il s'agissait de documents administratifs. En outre, un mauvais fonctionnement du marché ne justifiait pas un monopole. La Cour fédérale a fini par considérer que les dispositions constitutionnelles allemandes garantissaient déjà l'égal accès.
Ainsi, le caractère fédéral de l'organisation juridique allemande conduit à une approche segmentée de la question de l'accès aux documents administratifs. Si l'Allemagne n'a pas un rôle d'avant-garde, le droit communautaire y fait sentir son influence. Les résistances sont moins fortes et l'open data rencontre une adhésion importante jusque dans la société civile. Certains mouvements citoyens militent en effet pour une transparence totale de la société, au point de mettre sur internet les photos de façade que leurs propriétaires avaient voilées dans le service Street view. Enfin, les institutions chargées de la protection des données personnelles et de l'accès aux documents administratifs ont publié le 4 novembre dernier une déclaration appelant à une constitutionnalisation au niveau fédéral du droit d'accès aux documents administratifs.