Je suis le président de l'association Toxicologie-Chimie. Les mines n'étaient pas vraiment notre spécialité de départ. Voilà trente ans, avec Henri Pézerat, j'ai interrogé des mineurs et constaté leurs conditions de travail catastrophiques.
Depuis, nous avons été sollicités par trois régions de France. Saint-Félix-de-Pallières continue de nous préoccuper fortement, tout comme Salsigne, où les médecins ignorent quelle conduite à tenir face aux patients touchés par l'arsenic. Nous pouvons d'ailleurs nous interroger sur la formation en toxicologie des médecins. Nous avons également été sollicités en Bretagne, en particulier dans les Monts d'Arrée, à Lopérec. Grâce à notre intervention et celle de la population, la société franco-australienne Variscan a abandonné le projet. Cet exemple montre que le travail d'une association peut produire un résultat positif. Enfin, notre collègue Annie Thébaud a travaillé sur la mine de tungstène de Salau en Ariège. Cette intervention a également eu un résultat positif, puisque ce projet est pour l'instant laissé un peu en sommeil.
Jean-François Narbonne. - Je suis professeur de toxicologie. Après l'université de Bordeaux, je travaille désormais à l'université Saint-Joseph de Beyrouth avec une équipe de bio-monitoring chargée d'étudier les pollutions au Liban et en Syrie, avec les bombardements.
J'ai longtemps siégé au Conseil supérieur d'hygiène publique de France. J'ai participé à la fondation de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) avec Martin Hirsch, puis de l'agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) pour l'environnement du travail. Dans mon enseignement, je traite à la fois de l'environnement et de l'alimentaire, en particulier le transfert des polluants de l'environnement à l'homme via l'alimentation. J'ai aussi beaucoup travaillé sur les pollutions marines. J'ai été l'un des pionniers du bio-monitoring et de la biosurveillance. Je siégeais au comité scientifique de l'institut national de veille sanitaire (INVS) lors du lancement des premières études d'imprégnation aux dioxines.
Dans notre association, nous avons une vision particulière des choses. Nous ne sommes pas centrés sur la défense des populations, nous nous préoccupons surtout du management des risques. Durant 28 ans, j'ai travaillé comme expert dans les différentes agences. J'ai notamment participé à l'expertise sur le chlordécone en Martinique. En tant que professeur, j'expliquais à mes étudiants comment évaluer les risques et comment les gérer avec des procédures de dépollution des sols. Durant trois ans, j'ai ainsi dispensé à Abu Dhabi des cours sur la réhabilitation et la dépollution des sols dans un master international avec des étudiants venant de tous horizons, ce qui permettait d'appréhender les approches des différents pays en la matière.
Saint-Félix-de-Pallières constitue un véritable cas d'école. Rien n'y est réalisé convenablement, comme si les administrations n'avaient jamais suivi un seul cours de management de risque et de communication sur les risques. Le problème vient du fait que la pollution est abordée du point de vue de la santé en premier alors que cet aspect devrait passer à la fin. Une crise de pollution des sols ne doit pas être gérée par des médecins. Ces derniers n'interviennent qu'en fin de course.
J'ai participé à l'élaboration de la réglementation sur la présence de métaux lourds dans les légumes. Si les légumes de votre jardin sont pollués, vous n'avez pas le droit de les vendre, mais vous avez le droit de les manger. L'approche de l'évaluation des sols repose sur les modèles de l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). Ces modèles peuvent ressembler parfois à une usine à gaz, mais ils expliquent bien que les sites doivent être à usage commercial. Le Stade de France, par exemple, est construit sur un site qui a été mal dépollué, mais personne n'y vit. Il est interdit d'y construire des habitations, des zones récréatives, des jardins.
Tout ceci figure dans la réglementation. Or celle-ci n'est pas appliquée ; elle est même niée. Dans les DOM-TOM, parce qu'il existe une sensibilité colonialiste très forte, l'État mobilise des moyens colossaux pour la réhabilitation des mangroves. En métropole, en revanche, rien ne se fait.
Nous dispensons des cours aux médecins et aux équipes des ARS pour essayer d'élever leur niveau de connaissance sur ces sujets. La pollution des sols dépasse aujourd'hui le seuil de compétence des ARS, car elles n'ont aucune formation dans ce domaine. Pour gérer une catastrophe, la première action à mettre en oeuvre consiste à étudier le comportement des animaux. Or les ARS ne comptent même pas de vétérinaires. Pour la pollution des sols, elles auraient besoin d'hydro-géographes. La pollution des sols et le management des crises ne doivent pas être vus uniquement par le prisme de la santé publique, car cela revient à occulter un grand nombre d'aspects essentiels.
Le code minier traite de la partie physique, mais il ne faut pas oublier l'industrie chimique qui extrait et purifie. Souvent, les trous dans les galeries servent à stocker des déchets radioactifs ou des fûts de polychlorobiphényles (PCB) et de dioxine, et le problème ne vient pas de la pollution de la mine, mais de tous les déchets toxiques industriels stockés depuis les années 70.