En France, nous avons tendance à tout confier à l'État. J'ai travaillé sur un problème de retombées d'un incinérateur à Bègles. Les habitants étaient inquiets et le site faisait face à des oppositions très fortes. L'opérateur effectuait ses propres contrôles, conformément à la réglementation, mais nous avons lancé un monitoring pour étudier les retombées dans les alentours. J'ai proposé de confier un budget aux associations pour qu'elles contrôlent elles-mêmes en réalisant des prélèvements, à condition de les certifier, et en chargeant un petit comité de définir la stratégie de contrôle.
Pourquoi demander à l'État des contrôles qu'il n'a pas les moyens humains et financiers de réaliser ? À Bègles, ce monitoring représentait 200 000 francs par an sur le budget de fonctionnement de l'incinérateur. Les habitants ont pu effectuer les dosages chez eux et ils ont finalement constaté l'absence de retombées, comme les modèles le prévoyaient. Un an plus tard, plus personne ne parlait des effets de l'incinérateur. Nous avions donné aux citoyens les moyens de contrôler le système par eux-mêmes. Ce budget était accordé par l'opérateur lui-même.
Cette démarche a ensuite été reprise sur l'ensemble des sites industriels autour de Bordeaux. Il faut informer les citoyens et leur redonner la maîtrise. Au lieu de tout confier à un État qui n'en a pas les moyens, il faudrait décentraliser les actions et les confier à des associations partenaires, qui se verraient accorder un minimum de moyens pour fonctionner. Je regrette que les « vieux experts », qui ont l'expérience de toutes les crises, ne soient plus sollicités pour effectuer des prévisions.
En cas de problème, il faut plusieurs semaines pour obtenir le résultat des prélèvements et les envoyer aux agences chargées des études de risque. Pendant ce temps, l'absence de communication laisse la place au fantasme. Nous l'avons vu sur le dossier Lubrizol. Pourquoi ne pas demander aux experts d'effectuer des prévisions pour laisser le temps aux administrations de pouvoir répondre et de réaliser de vraies évaluations de risques ?
L'action du préfet est souvent catastrophique. Sur Saint-Félix-de-Pallières, la situation frôle la caricature. Nous ne pouvons pas gérer une crise environnementale et sanitaire en laissant la responsabilité à des personnes qui se trouvent sous la pression de lobbys économiques locaux. Le management d'une situation, aussi bien en prévision qu'en gestion de crise, doit s'opérer en établissant des partenariats. Pour les abeilles, par exemple, le ministère de l'agriculture a mis en place des observatoires. Il a également demandé la collaboration des associations d'observation de la nature. Plutôt qu'un rapport conflictuel avec les associations, l'État doit nouer de vrais partenariats avec elles, d'autant qu'il n'a ni les moyens humains ni les moyens financiers de tout faire.