Unis-Cité a été conçue comme un laboratoire de ce que pourrait être à l'époque, dans les années 1990, un nouveau service national qui soit plus civil que militaire, et qui inclurait tous les jeunes dans un même esprit de diversité. Nos objectifs étaient dont très similaires à ceux assignés aujourd'hui au service national universel (SNU), à savoir créer une étape dans la vie des jeunes qui soit une étape de mixité et de service à la collectivité, où l'on apprend en donnant de soi aux autres. Notre vision fondatrice, qui explique qu'après vingt-cinq ans je sois encore là, c'est que cette étape manque cruellement à notre éducation. Il faudrait que tous les jeunes du monde consacrent une année dans leur vie aux autres, à la société, et à apprendre par l'action citoyenne concrète sur le terrain et par l'expérience de mixité sociale. C'est notre credo et notre motivation. Unis-Cité a été construite comme un laboratoire et une vitrine de cette idée. Unis-Cité n'est pour moi qu'un outil au service d'un service civique universel, intelligent et bien construit, qui changera la société.
S'agissant du profil, je vous ai apporté une ancienne étude sur la base d'un dispositif volontaire. En effet, nous ne sommes pas en mesure, en notre qualité d'acteur associatif, de rendre le service civique obligatoire. Nous sommes partis sur l'ambition, proche de celle du SNU, de constituer une étape de mixité et donc d'aller chercher les jeunes, dans leur diversité, pour y participer. Aujourd'hui dans Unis-Cité, nous avons - et c'est notre volonté - 38 % de jeunes qui n'ont pas le bac, 40 % de jeunes qui ont le bac ou bac+2, le reste ayant fait des études supérieures. Nous avons 19 % de jeunes mineurs en décrochage scolaire ayant quitté l'école avant d'avoir le bac. Environ 20 % des jeunes sont issus de quartiers prioritaires. Nous avons 6 % de jeunes en situation de handicap. Je ne pourrais pas dire que cela vient naturellement, car si nous laissions faire, nous aurions toujours le même profil de jeunes, en l'occurrence des jeunes filles voulant travailler dans le social et des jeunes garçons au chômage - c'est une vision caricaturale, mais qui rejoint partiellement les constats que nous faisons dans la mesure où nous recevons beaucoup de candidatures féminines pour les missions à caractère social et où, parmi les candidats masculins, un nombre important d'entre eux sont au chômage et issus des quartiers prioritaires. Pour éviter ce schéma stéréotypé, nous allons chercher la diversité : nous parvenons à attirer des jeunes filles et des jeunes garçons des quartiers ; nous avons également des jeunes qui ne veulent pas du tout travailler dans le secteur social, qui sont plutôt en questionnement ou en pause dans leurs études supérieures de très haut niveau et qui s'interrogent sur leur place dans la société. La jeunesse dans sa diversité peut donc être intéressée par le service civique, si tant est que nous allions la chercher.
Les jeunes ont besoin de voir le fruit concret de leur engagement, ils ont besoin d'en voir le résultat et ils ont besoin d'un dispositif gagnant-gagnant. Le service civique fonctionne, car les jeunes qui y participent donnent une année de leur vie, mais ils gagnent 580 euros par mois (même si ce n'est pas suffisant selon certains) et une expérience de huit mois qui a de la valeur sur un CV. Ce ne sont pas des jeunes qui ont réussi scolairement qui font un service civique, mais des jeunes dans la diversité, voire majoritairement des jeunes qui ont des difficultés. Cela les amène à s'engager davantage, à voter, à s'intéresser à la chose publique, si ce n'est à la politique. Nous nous interrogeons également pour savoir, d'une part, si le service civique contribue à l'insertion professionnelle et aide les jeunes ayant décroché à rebondir, d'autre part, si ces jeunes aident la société. Nous avons mené ces deux niveaux d'évaluation : sur le premier niveau, le résultat est très convaincant puisque 82 % des jeunes se trouvent, après Unis-Cité, en emploi ou en formation qualifiante choisie, ce qui constitue un meilleur résultat que beaucoup de dispositifs d'insertion. L'année de service civique constitue dès lors une occasion de réflexion des jeunes sur leur avenir professionnel ; un service civique obligatoire après le baccalauréat pourrait également avoir des effets en matière d'amélioration de l'orientation des jeunes. Le service civique n'est pas un dispositif d'insertion mais il est très efficace en effet secondaire induit, car il met les jeunes en situation d'être fiers d'agir concrètement et de produire un service à la société. Le service civique apporte la fierté d'avoir été utile, une confiance en soi, et c'est vrai pour tous les jeunes, quels que soient les milieux et les niveaux d'études. Ceci vaut à la fois pour des jeunes ayant accompli cinq années d'études supérieures et pour des jeunes dont l'estime d'eux-mêmes a été cassée par le système éducatif. Ils développent aussi des compétences transversales, notamment quand ils travaillent en équipe, car vous aurez compris que le modèle qu'Unis-Cité essaie de promouvoir est un service civique collectif pour que ce soit vraiment une expérience de mixité, ce qui était la promesse faite par la loi. C'est aussi la promesse que nous cherchons par le service national en général. Je pense que le service civique devrait être sur deux pieds : une année d'action concrète pour la société, pour les autres, et une expérience de mixité sociale. Les compétences transversales que j'ai évoquées précédemment sont par ailleurs des compétences que les entreprises recherchent. Au-delà d'être un engagement citoyen, le service civique constitue aussi un tournant dans la vie de beaucoup de jeunes.
Le taux de satisfaction se situe à 98 % et il est également très bon dans le service civique au-delà d'Unis-Cité malgré les quelques dérives qui existent à la marge. Dans les évaluations que nous avons pu mener au-delà de l'impact sur l'emploi, il y a l'impact sur la participation citoyenne post-service civique. Nos données sont moins rigoureuses scientifiquement sur ce sujet car il s'agit surtout de déclaratif, mais un jeune sur deux (qui ne s'engageait pas du tout, ne s'intéressait pas aux acteurs associatifs et encore moins aux politiques) continue à s'engager après le service. Plus de la moitié aussi déclare vouloir s'inscrire sur les listes électorales. Les formations civiques et citoyennes que nous expérimentons chez Unis-Cité, nous n'en faisons pas deux jours, mais neuf, pour un service civique de huit mois. Nous consacrons par ailleurs environ six jours à la préparation au projet d'avenir du jeune.
Quand nous avons créé Unis-Cité, cette préparation était encore plus dense, avec un jour consacré par semaine. Nous avons dû élaguer le modèle pour qu'il soit moins exigeant. Il est prévu dans la loi que les jeunes aient le droit à une formation civique et citoyenne de deux jours au moins, à un accompagnement à un projet d'avenir (le nombre de jours n'est pas précisé par la loi) et à un tutorat et un encadrement. Unis-Cité a réduit le temps dédié à la formation citoyenne mais a conservé une formation de neuf jours, car nous considérons que deux jours ne sont pas suffisants. Nous avons quatre grands thèmes qui sont : les institutions de la République française et européennes (à quoi sert le maire, le député, etc.), avec des rencontres avec des élus, voire des simulations ; la transition écologique au quotidien avec les éco-gestes (comment je peux agir à mon niveau) ; les luttes contre les discriminations liées au handicap, au genre, etc. ; les conduites à risques en termes de santé. En parallèle, nous avons des temps dédiés à l'accompagnement au projet d'avenir qui sont des visites d'entreprise et des « tremplins », durant lesquels des acteurs du monde professionnels écoutent un jeune parler de son service civique, de ce qu'il a appris et de son projet professionnel, et lui posent des questions. Ces échanges leur permettent de développer leurs compétences en communication et de clarifier leur projet.
Concernant les missions confiées aux volontaires du service civique dans le cadre d'Unis-Cité, nous en proposons aujourd'hui deux grands types. D'une part, nous avons une partie d'Unis-Cité qui nous sert de vitrine avec tous les jeunes que vous avez vus, sur des missions conçues avec les collectivités (maires, présidents d'agglomération, départements) en fonction des besoins du territoire. Pour ces missions, le financement d'une partie de l'encadrement et des journées de formation est réalisé par l'État pour un cinquième du coût total, le reste étant financé par les collectivités locales, voire par des mécénats d'entreprise.
Certaines autres missions sont conçues sur de grands problèmes de société comme l'isolement des personnes âgées (deux millions de personnes âgées isolées), pour lesquels nous montons des partenariats avec les ministères (le ministère délégué à l'autonomie, les caisses de retraite AGIRC-ARCO, etc.). Certains de nos jeunes participent à ces missions et nous essayons d'inspirer d'autres acteurs pour qu'ils développent leurs propres capacités d'accueil. Les missions d'Unis-Cité sont donc soit construites sur du local en sur mesure, soit sur de grandes causes, avec l'espoir d'inspirer d'autres structures. Il s'agit de montrer que si les jeunes ne peuvent pas remplacer le personnel dans les EHPAD, ils y amènent de la vie, de la jeunesse, de la remise en question, un soutien, un bol d'air ! Nous le prouvons avec des jeunes que nous encadrons et les établissements osent les accueillir parce que nous les soutenons. Notre ambition serait que les établissements demandent ensuite leur agrément et accueillent les jeunes directement.
Au-delà d'être un acteur de la société civile, nous sommes un partenaire privilégié de l'administration, donc de l'Agence du service civique, ce qui constitue la seconde partie de l'activité d'Unis-Cité. Il avait été envisagé à une époque que nous en soyons membre fondateur, mais c'était trop compliqué. Nous ne sommes donc pas membre du groupement d'intérêt public (GIP). J'avais recommandé que l'agence soit un GIP et que les collectivités locales, les associations, les entreprises et les jeunes puissent y être représentés. C'est bien un GIP, mais il est géré comme une administration, sans que la société civile y soit représentée de manière adéquate. Nous sommes parvenus à la mise en place d'un conseil stratégique, qui n'est cependant que consultatif. L'administration reprend le dessus, ce qui est dommage car je pense qu'il s'agit d'un dispositif qui ne pourra se développer qu'avec les collectivités territoriales, les élus locaux, les acteurs de la société civile et les jeunes. Le dispositif est devenu trop administratif, il faut simplifier les choses. Il est vrai qu'il peut y avoir des dérives à la marge, mais parfois elles sont inconscientes, parce que certaines structures n'ont pas compris que le service civique n'est pas d'un emploi aidé et se distingue des emplois jeunes qui ont existé à une époque. L'agence, qui est un peu procédurière, a tendance à mettre du temps à délivrer les agréments car elle a besoin de contrôler les demandeurs, ce qui est légitime. Je pense qu'il faudrait cadrer davantage plutôt que contrôler. Pour être précise, il faudrait par exemple changer deux éléments dans la règle des missions collectives. Premièrement, il faudrait que ces missions soient forcément confiées à deux volontaires au moins - le collectif commence à deux. Il est plus difficile de « remplacer un emploi » avec une mission collective car il ne peut s'agir d'un emploi déguisé, les deux services civiques étant responsables de la mission. En outre, une mission collective permet d'être plus inclusif pour les jeunes en situation de handicap ou qui n'ont pas du tout confiance en eux. Enfin, les jeunes sont plus autonomes lorsqu'ils travaillent par équipe, car ils réfléchissent ensemble avant d'interroger leur responsable. Deuxièmement, il faudrait cinq ou six journées de formation citoyenne et non deux. Cela marque la différence avec un emploi aidé et pourrait contribuer à limiter le risque de dérive.
En ce qui concerne les difficultés administratives, l'agence connaît en effet des délais très longs en ce moment (cela peut aller jusqu'à huit mois), alors que nous voulions faire cent mille missions en plus en six mois. Je pense qu'une telle cible est possible car lorsque nous voyons les expériences de service civique réussi dans les écoles, les EHPAD et les hôpitaux, si nous généralisions le service civique à toute la France, nous aurions de quoi occuper une classe d'âge, j'en suis absolument persuadée. La question de la durée en revanche est majeure car les jeunes sont d'autant mieux acceptés par les structures qui les accueillent qu'ils restent longtemps. En dessous de huit mois, les structures sont plus réticentes à accueillir les jeunes car il faut le temps de les former avant qu'ils soient « efficaces ». L'expérience de toutes ces années me fait dire qu'il faut rester sur une moyenne de huit mois budgétairement, tout en permettant des durées de six à douze mois. Faute d'une telle souplesse, le service civique ne sera pas gagnant-gagnant pour les structures. En revanche, pour développer le service civique, il faut par ailleurs réduire les délais d'agrément ou d'avenant pour accueillir plus de jeunes. L'une des options que nous avons expérimentées, que je recommande vivement et qu'Unis-Cité opère, c'est l'intermédiation, à savoir qu'Unis-Cité prend sur elle juridiquement de mettre à disposition des jeunes auprès de structures n'ayant pas d'agrément (comme une petite mairie ou une collectivité qui expérimente le dispositif). Cette procédure est très efficace et elle facilite le déploiement du dispositif et sa montée en charge. Il y a une espèce de co-encadrement entre la structure accueillante et Unis-Cité. Cette intermédiation permet de massifier. J'avais suggéré que l'agence s'appuie sur quelques acteurs importants, ayant la capacité de porter le service et qui sont contrôlés, afin de démultiplier le nombre de jeunes accompagnés par le dispositif. L'agence a mis du temps à se décider (au moins six mois) et maintenant, il nous est dit que puisque nous n'avons pas atteint la cible de cent mille services civiques de plus, il n'est pas possible de le développer. Il a donc été décidé de faire appel à l'intermédiation d'une multitude d'opérateurs, ce qui était moyennement compréhensible en termes de compétences. Surtout, il reste de nombreuses contraintes administratives (par exemple, une structure agréée ne peut pas accueillir des jeunes « portés » juridiquement par une structure d'intermédiation), raison pour lesquelles nous n'avons pas atteint les cent mille services civiques en plus. Mon message n'est pas de critiquer mais de dire qu'il est possible de développer le service civique plus massivement, en simplifiant et en s'appuyant sur de gros acteurs d'intermédiation qui seront, quant à eux, contrôlés. Il faudrait par ailleurs s'inscrire dans une démarche de recommandation plutôt que d'interdiction. Enfin il faut accélérer l'instruction des demandes d'agrément.
Nous avons une relation respectueuse avec l'Agence du service civique. Unis-Cité assure avec la Ligue de l'enseignement, dans le cadre d'un marché public, la formation de tous les organismes d'accueil et des tuteurs, qui est censée être obligatoire mais qui ne l'est pas complètement. De la même manière, quand il y a eu cette annonce de cent mille services civiques supplémentaires, nous avons proposé à l'agence, si les services déconcentrés de l'État n'étaient pas en mesure de faire de la communication et de l'accompagnement de terrain, de prendre en charge cet accompagnement. Unis-Cité assure donc, en partenariat avec la Ligue de l'enseignement, l'animation territoriale des pôles d'appui au développement du service civique dans les territoires où le service civique est trop peu développé. Ce sont plusieurs exemples de relations formelles avec l'agence, avec laquelle nous travaillons toujours en bonne intelligence.
Les territoires ont été choisis en fonction du taux de pénétration (le développement du service civique par rapport à la population jeune du territoire). La question rurale est majeure. Unis-Cité a développé des programmes spéciaux avec des budgets spéciaux pour intervenir en milieu rural car il y a une très forte demande des maires ruraux - nous avons à ce titre un partenariat avec l'Association des maires ruraux, qui a de nombreux projets auxquels les jeunes pourraient participer, mais qui est confrontée à des difficultés pour trouver des jeunes. Certains jeunes en milieu rural se trouvent dans la même situation de désoeuvrement scolaire, de santé, que dans les quartiers, sauf que personne ne les voit. Nous avons donc un vrai sujet car le dispositif du service civique est monolithique. Le financement est le même pour tous les jeunes, et il n'existe pas de financement de la mobilité par exemple. Nous avons réussi à développer le service civique dans certains territoires grâce à des fonds européens. Nous sommes contraints d'aller chercher des financements au niveau privé ou au niveau européen pour mettre en place ces services civiques dans les territoires ruraux, où l'encadrement manque et où la mobilité est un vrai enjeu. Il faudrait des financements ad hoc pour développer le service civique en milieu rural, pour la mobilité des jeunes (des villes vers le milieu rural et vice-versa).