Intervention de Alain Martin

Mission d'information sur les toxicomanies — Réunion du 9 mars 2011 : 1ère réunion
Audition de Mme Dominique Le boeuf présidente du conseil national de l'ordre des infirmiers et M. Alain Martin président du conseil régional de lorraine de l'ordre des infirmiers

Alain Martin, président du conseil régional de Lorraine de l'ordre des infirmiers :

Une trentaine d'années d'activité au sein de structures publiques de prise en charge de patients toxicomanes m'a permis de voir évoluer les concepts et les pratiques en la matière. Au début de ma carrière, on parlait de drogués, voire de marginaux, alors qu'on parle aujourd'hui de conduites addictives. L'évolution ne se réduit cependant pas à un changement terminologique. Dans les années 1970, le professeur Claude Olievenstein, pionnier dans la prise en charge des patients dépendants de produits illicites, a ouvert le centre de Marmottan.

La loi du 31 décembre 1970, loi prohibitionniste, pénalisant l'usage de ces produits, fut une révolution dont nous sommes les héritiers. Il s'agissait alors d'accompagner les patients vers l'indépendance, voire l'abstinence, celle-ci étant le seul outil à notre disposition pour traiter cette pathologie.

L'autre évolution majeure a eu lieu dans les années 1984-1985, quand l'émergence du syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA) vint changer la donne. Les toxicomanes injecteurs constituant une population à risque, l'épidémie nous a contraints de revoir complètement la prise en charge de ces patients. Alors qu'on considérait jusqu'ici la toxicomanie comme un symptôme de mal-être plus que comme une maladie, on en est venu à médicaliser le traitement des dépendances et à mettre de plus en plus l'accent sur la réduction des risques. La première à s'engager dans cette voie fut Mme Michèle Barzach qui autorisa la vente libre des seringues, mais c'est au nom de la même politique de santé publique qu'ont été ensuite autorisés les traitements substitutifs aux opiacés. Il a néanmoins fallu attendre l'année 1995 pour que la méthadone bénéficie d'une autorisation de mise sur le marché.

Sans vouloir opposer des pratiques qui ont toutes leurs vertus, la politique de réduction des risques me semble plus pragmatique que les excès du « tout psy » qui l'avaient précédée. Reste que nous avons tous, soignants, sujets dépendants et familles, été victimes d'une illusion partagée : celle de penser que les traitements de substitution aux opiacés étaient « le » traitement de la toxicomanie. Il est vrai qu'ils nous donnent du temps, élément essentiel dans la prise en charge de toxicomanes qui sont, eux, dans l'immédiateté et le « tout, tout de suite ». Mais s'ils permettent le sevrage des produits illicites, les traitements de substitution aux opiacés entraînent une dépendance majeure et il s'avère extrêmement difficile de se débarrasser de la « béquille ». Il serait peut-être temps de dresser le bilan de ces traitements, avant de lancer le débat sur les salles d'injection supervisées.

Force est de constater que nous sommes désormais engagés dans des prises en charge longues de patients sous traitements de substitution aux opiacés. Si ces traitements sont assez confortables pour les sujets, qui ne souffrent plus du manque, ils font problème en ce qu'on n'en voit pas la fin. Disant cela, je ne cherche pas à nier leurs bienfaits du point de vue de la santé publique : ils ont permis notamment de réduire considérablement le nombre des surdoses. Je pose simplement la question : et après ? Que faire de toutes ces cohortes de patients qui se retrouvent en médecine de ville, puisqu'il est hors de question qu'ils deviennent dépendants de structures spécialisées, forcément stigmatisantes ? Je persiste à penser, en effet, qu'aussi longtemps qu'on vient chercher son produit de substitution dans un centre de soins, on reste un toxicomane dans sa tête.

Je voudrais également évoquer la question des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie qui regroupent moyens et personnels en addictologie, qu'il s'agisse d'alcoologie, de tabacologie ou de toxicologie. Certes, on manque encore du recul suffisant pour évaluer les résultats de ces centres, d'autant qu'il n'y en a pas sur tout le territoire. Mais l'idée d'instaurer une porte d'entrée unique pour toutes les formes de dépendance est une bonne idée : ce guichet unique doit permettre de traiter les polytoxicomanes qui nous échappaient jusqu'ici. Si l'avantage est incontestable pour les patients, les équipes devront avoir à coeur d'établir un projet de soins très clair afin que chacun trouve sa place dans le dispositif.

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