Merci beaucoup, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs pour cette audition.
Nous devons avoir une vision d'ensemble de l'enjeu de l'éducation citoyenne et une philosophie. Je vous rejoindrai pour affirmer que nous avons encore des progrès à faire en la matière. La comparaison internationale nous permet d'identifier des pistes pour évoluer. Nous n'avons pas de culture de l'engagement suffisante, et l'éducation civique est peut-être perçue comme trop désincarnée et trop austère, en raison d'une distance trop importante entre la théorie et la pratique. Les renforcements à souhaiter doivent aller dans les directions que vous avez indiquées : renforcement des contenus théoriques, mais aussi des engagements pratiques.
Je partage les conclusions de la Cour des comptes, quand elle affirme que l'école et la scolarité obligatoire jouent un rôle de premier ordre dans la formation à la citoyenneté, et qu'il convient donc de conforter cette dernière. Cependant, l'éducation civique est aussi la résultante des autres enseignements. Surtout, il est difficile d'imaginer une éducation civique réussie si les savoirs fondamentaux ne sont pas ancrés. La formule « lire/écrire/compter/respecter autrui » le traduit. Le niveau de lecture et de vocabulaire, ainsi, a un impact sur ces sujets. Ce qui se joue à l'école primaire et même dès l'école maternelle, en termes de sociabilité, d'apprentissage de droits, de devoirs et de respect d'autrui, est décisif si nous souhaitons que la suite soit réussie, -les éléments d'engagement se retrouvant à l'âge du collège.
Les leviers d'action, comme vous l'avez indiqué, sont du côté du renforcement des enseignements, mais aussi de la meilleure formation des professeurs ainsi que de la stimulation de la démocratie scolaire.
Nous n'avons pas été inactifs sur ces questions, et je souhaiterais passer en revue nos actions tout en dessinant des pistes de progrès. D'abord, nous sommes fortement mobilisés autour de la formation des enseignants et de la création de ressources pédagogiques. Nous avons également travaillé sur la clarification, la précision et le renforcement de l'EMC. Enfin, nous considérons que le SNU renvoie à un rayonnement en amont et en aval.
S'agissant d'abord de la formation et de la création de ressources, un module minimal de 36 heures est désormais intégré à tous les masters MEEF (métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation), dans le cadre de la préparation aux concours de recrutement. Nous estimons donc que les professeurs seront mieux formés sur ces questions. Une innovation de la rentrée de septembre 2021, qui a vocation à se déployer dans les années à venir, réside en outre dans le parcours préparatoire au professorat des écoles (PPE), qui consiste en une classe préparatoire renouant avec l'identification de jeunes étudiants, titulaires du baccalauréat, et se destinant à devenir professeurs des écoles. Ils peuvent ainsi se préparer à un parcours équilibré, entre français et mathématiques, auquel s'ajoutent les valeurs de la République. Ce sont les « nouveaux hussards du XXIe siècle ». Nous attendons beaucoup de cette innovation, qui porte des enjeux en termes d'éducation civique. Un spectre large de compétences est attendu des enseignants qui ne peut pas s'acquérir en deux ans seulement.
Par ailleurs, à compter de la session de recrutement 2022, une nouvelle épreuve d'entretien est intégrée à la deuxième partie des épreuves d'admission des candidats, qui doivent démontrer leur aptitude à s'approprier les valeurs de la République et à les partager. Cette innovation a fait débat. Pour moi, un professeur a en effet des compétences de savoir et de transmission, mais il est aussi porteur des valeurs de la République au quotidien.
S'agissant de la formation continue, nous avons un plan de formation à la laïcité et aux valeurs de la République de « mille formateurs ». Il s'agit de formateurs de formateurs. Cette mission a été confiée à l'inspecteur général honoraire Jean-Pierre Obin. Au final, 250 000 personnels seront formés par an, à raison de 9 heures par personne. Ces formations ont déjà débuté. Un parcours de formation en ligne sur les valeurs de la République est en outre mis à disposition de l'ensemble des partenaires. Les ressources sont élaborées grâce au Conseil des sages de la laïcité, présidé par Dominique Schnapper, que j'ai souhaité créer dès mon arrivée. Trois livres ont été produits pour la rentrée dernière : L'idée républicaine (composés d'extraits de textes de la littérature française), La laïcité à l'école (dernière version actualisée du vademecum de la laïcité) et La République à l'école (valant de la maternelle au lycée).
De nombreuses ressources sont également destinées à accompagner les professeurs sur l'enseignement moral et civique, mais aussi sur l'éducation aux médias et à l'information (EMI), sujet intimement lié à ces enjeux sur lequel Gérald Bronner a remis un rapport au président de la République il y a deux semaines. Nous avons en outre réalisé un vademecum intitulé Respecter autrui à l'école élémentaire, qui paraîtra prochainement. Nos travaux et réflexions ont également porté sur les moyens de clarifier et préciser l'éducation morale et civique, mais aussi de renforcer l'éducation aux médias et à l'information et de mieux les valoriser.
En ce qui concerne l'EMC et l'EMI au collège, l'EMC a vocation à faire comprendre ce que sont la République, ses valeurs, les droits et les devoirs de chaque citoyen ; l'EMI vise quant à elle l'éducation aux médias, et donc une forme de citoyenneté vis-à-vis d'internet. J'ai participé hier, avec Brigitte Macron, à un déplacement sur la lutte contre le harcèlement. Selon nos études, trois heures quotidiennes sont passées en moyenne sur les réseaux sociaux. La citoyenneté s'exerce donc en grande partie sur les réseaux sociaux. Nous présentions hier le numéro de téléphone 3018 et sa déclinaison en application sur le téléphone portable, qui permet d'alerter immédiatement en cas de cyberharcèlement.
En 2018, nous avons révisé les programmes d'éducation morale et civique - avant l'assassinat de Samuel Paty. La nécessité de les revisiter à nouveau peut tout à fait se concevoir. Nous avons cherché à ce que l'apprentissage des institutions soit complet et à ce que l'EMC reste une véritable discipline, prise en compte dans le brevet et lors de l'examen du baccalauréat. S'agissant de l'éducation aux médias et à l'information, j'ai pris plusieurs mesures, en cohérence avec le rapport Bronner : la nomination dans chaque académie d'un référent sur le sujet, sous l'autorité du recteur, la création dans chaque académie d'une cellule d'éducation aux médias et à l'information pilotant cette politique pour le 1er et le 2d degré, un renforcement des moyens dévolus au coordonnateur académique, un vademecum de référence élaboré avec le ministère de la culture, et un vademecum pour la mise en oeuvre de projets de web-radio dans les établissements, notamment dans les collèges. Cela rejoint les sujets de participation et d'engagement.
La démocratie scolaire est un sujet très important pour notre institution, qui a connu plusieurs innovations visant à mieux prendre en compte les différentes formes d'engagement. Dans nos sociétés sécularisées, il n'y a plus de temps d'initiation de l'enfant. Celui-ci entre dans l'adolescence sans rituel ou moment solennel, ce qui laisse place à des initiations négatives : gangs, fondamentalismes, etc. Le collège doit ainsi proposer des engagements positifs. Nous devons multiplier les raisons de s'engager, au titre de la participation à la vie collective ou de l'engagement pour l'intérêt général. Nous avons donc fortifié les instances de vie collégienne et lycéenne. Je me suis d'ailleurs beaucoup appuyé sur le Conseil national de la vie lycéenne, dans le contexte de la pandémie. Je souligne le caractère très utile de ces instances, avec des délégués élus, qui ont un discours extrêmement construit et s'initient à la décision. Une des principales innovations du quinquennat aura en outre été la création des écodélégués. En 2019, à l'occasion de la marche pour le climat, nous avions demandé aux lycéens de se rassembler pour formuler des propositions. Nous en avons déduit une feuille de route en huit points, dont la création de ces écodélégués, en charge des enjeux d'environnement dans les établissements. Nous considérons que le sujet du développement durable est un sujet d'approfondissement des connaissances scientifiques des élèves et de leur participation enjeux environnementaux. Les élèves sont particulièrement en phase avec ce discours. Les écodélégués sont ainsi acteurs de l'accélération de mesures en lien avec cette thématique, comme les cantines scolaires à circuit court, la création de potagers, l'amélioration de la biodiversité par des nids d'oiseaux, le nettoyage de forêts alentour, etc. Certains écodélégués contribuent à diviser par deux la facture énergétique d'un établissement par des mesures du quotidien.
Autre exemple, le déploiement du programme pHARe (programme de lutte contre le harcèlement à l'école) dans tous les établissements de France qui se parachèvera en septembre prochain, a été inspiré par les pays scandinaves les plus avancés en la matière et vise à responsabiliser les élèves dans la lutte contre le harcèlement. Il s'agit d'une mesure luttant non seulement contre le harcèlement, mais pour le bon climat scolaire.
Le conseil d'évaluation de l'école, qui existe depuis la loi pour l'école de la confiance, contribue à une évaluation de l'établissement et de son climat scolaire, qui est d'une même importance que la transmission des savoirs.
Nous pouvons également citer le développement du tutorat et des associations sportives. Le conseil de santé et de citoyenneté a en outre été vivifié, intégrant désormais la dimension environnementale. Il s'agit d'un lieu de discussion et de proposition pour les sujets qui ont trait au civisme et à l'environnement.
L'ensemble de ces mesures contribue au renforcement de l'éducation civique concrète des élèves. Il faut continuer ces efforts.
S'agissant de la valorisation de l'engagement des jeunes, nous avons envisagé, dans les travaux préparatoires à la réforme de baccalauréat, que des engagements puissent être pris en compte dans le cadre de l'examen. Le grand oral du baccalauréat doit être l'occasion de valoriser ce que l'élève a pu accomplir en la matière.
Sur la question de l'année de césure après le baccalauréat, ceci me semble être une bonne idée, que beaucoup de jeunes envisagent. Il ne me semble pour autant pas souhaitable de le préconiser de façon systématique. Nos propositions en la matière se sont renforcées, avec 230 000 services civiques environ, dont un certain nombre se déroulent pendant cette année de césure.
S'agissant des élèves de moins de 16 ans exclus de leur établissement, l'éducation nationale n'a bien entendu aucune doctrine visant à les exclure. Pour les réinclure, nous avons des stratégies complémentaires, à commencer par la personnalisation de la réinclusion. Il s'agit d'un point de continuité pour la France, qui était un mauvais élève en 2007 sur la lutte contre le décrochage. Nous sommes à présent parmi les meilleurs à l'échelle européenne. Nous sommes en effet davantage capables de mieux les repérer, par la coopération des différentes instances et par des outils numériques, puis de leur proposer des solutions personnalisées, qui consistent souvent en des coopérations entre l'éducation nationale et d'autres structures, comme les missions locales. La réintégration d'un établissement se fait parfois par des classes relais ou des structures ad hoc que nous avons développées, telles que les micro-lycées - nous avons fixé le principe d'un micro-lycée par académie, et si possible un par département - pour les jeunes sortis du système scolaire après 15 ans. Enfin, une évolution législative très importante a affirmé notre obligation d'État à ne pas laisser un seul jeune entre 16 et 18 ans sans solution d'emploi ou de formation. Nous avons ainsi déployé des dispositifs de « raccrochage » scolaire.
Vous m'avez également interrogé sur le rôle de la réserve citoyenne. Nous y avons fait appel dans différentes circonstances, y compris dans le cadre de la crise Covid. J'ai fait appel aux jeunes retraités pour remédier aux problèmes de remplacement pendant la dernière phase de l'épidémie. Les retraités représentent 30 % des 6?670 réservistes inscrits (plus ou moins actifs), les cadres de la fonction publique 17 %, les cadres supérieurs 15 %, les étudiants 6 % et les chefs d'entreprise 5 %. Nous pouvons aller plus loin sur ce sujet.