Il est une certitude, au-delà de cette mission d'information, le Sénat porte un attachement singulier à la commune et à son avenir, aux femmes et aux hommes qui président aux destinées de cette entité. À la suite des différentes réformes territoriales qui ont permis de renforcer l'intercommunalité, il importe de s'interroger.
S'interroger sur l'avenir de la commune et du maire, c'est engager une réflexion prospective. Certaines orientations, certaines déclarations récentes de la Première ministre sur le renforcement du lien entre les préfets et les présidents d'intercommunalité, certains travaux de la Cour des comptes sur le fléchage de la dotation globale de fonctionnement (DGF) nous invitent à nous poser une question claire et directe : la commune a-t-elle encore un avenir ? À quoi doit ressembler l'organisation communale dans dix ans ? Quels doivent être le rôle du maire dans ce cadre, ses pouvoirs ou ses moyens ?
Mais avant d'engager la réflexion, une question se pose : pourquoi s'interroger aujourd'hui sur l'avenir de la commune et du maire ?
J'y vois trois raisons.
La première, c'est l'inquiétante crise des vocations des maires.
En 2018, déjà, plus de la moitié des maires en exercice n'envisageaient pas de se représenter lors des élections municipales de 2020 ; à cinq mois de ces élections, seuls 48,7 % avaient décidé de briguer un nouveau mandat ; 28,3 % avaient définitivement renoncé et 23 % hésitaient encore. Depuis cette élection et les années difficiles que les maires ont traversées, notamment avec la crise sanitaire, 55 % d'entre eux indiquaient en novembre dernier ne pas souhaiter se représenter au prochain renouvellement.
Ce désamour contraste avec l'attachement de nos concitoyens à leur commune et la bonne image qu'ils ont généralement de leur maire. On peut faire l'hypothèse - qu'il nous appartiendra de vérifier - que ce désamour témoigne du divorce entre les aspirations des maires et leurs possibilités d'action, entre les attentes - nombreuses - qui pèsent sur eux et les réponses qu'ils peuvent y apporter. Entravés par la multiplication des normes, les maires auraient le sentiment de ne plus avoir les moyens financiers et juridiques d'agir ni les compétences pour mener à bien leur mandat et conduire une politique locale autonome.
L'érosion de la participation aux élections municipales, que nous avons tous constatée lors des dernières élections, doit également nous interpeller. Elle n'est pas seulement imputable aux conséquences de la crise sanitaire. Faut-il y voir les prémices d'un désinvestissement de certains de nos concitoyens à l'égard de l'institution communale ? Ce serait grave, alors que la commune est, par excellence, la cellule de base de la démocratie locale et qu'elle doit, au contraire, permettre, par les services de proximité qu'elle offre, de conforter et de retisser le lien entre le territoire et ses habitants.
La deuxième raison, c'est que nous sortons de plusieurs années de réformes territoriales à jet continu qui se sont concentrées sur l'architecture territoriale et l'articulation entre les différents niveaux de collectivité, et qui ont, parfois, délaissé l'approche centrée sur la seule commune.
Or, le moment est propice pour réfléchir à la place des communes au sein du bloc communal. En effet, le précédent mandat municipal a été celui de l'achèvement de la carte intercommunale et de la prise de compétences des intercommunalités. L'intégration intercommunale, lancée depuis plus de trente ans, est aujourd'hui arrivée à maturité, et nous pouvons - nous devons, oserai-je dire - en évaluer les effets. Certains maires n'ont-ils pas le sentiment de ne plus avoir de prise sur la décision intercommunale ? Ne convient-il pas de revaloriser la place de la commune et de conforter le caractère « associatif » de l'intercommunalité, dans la ligne qu'a suivie le Sénat lors de lors de l'examen de la loi Engagement et proximité et de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), afin d'apporter tous les assouplissements nécessaires à ces coopérations locales ? Ne faut-il pas conforter la commune dans son rôle de proximité et permettre aux élus de proposer ensemble des solutions différenciées à l'organisation du bloc local en fonction des réalités de leur territoire ?
La troisième et dernière raison tient au fait que les nombreux travaux de contrôle que le Sénat a récemment conduits ou engagés sur les questions locales ont plutôt abordé des thèmes communs à toutes les collectivités, ou ont évoqué certaines structures communales spécifiques en mesure de rivaliser avec les autres échelons territoriaux - Paris-Lyon-Marseille (PLM), métropole -, ou certains aspects de l'exercice du mandat du maire. En revanche, aucune réflexion n'a été spécifiquement menée sur la question du modèle communal à promouvoir à l'horizon 2030 : des communes, pour quoi faire ? Un maire, pour quelles fonctions ? Quel doit être le rôle d'une commune en milieu rural, en milieu urbain ?
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, notre mission doit avoir pour ambition de voir s'il est possible de rassembler tous les acteurs des territoires autour d'une vision partagée de l'avenir de la commune et du rôle des maires dans la vie locale.
Pour ce faire, nous vous proposons trois pistes de travail.
Il nous faut, tout d'abord, prendre la mesure du malaise grandissant des maires. Nous pourrons interroger plusieurs maires ayant abandonné leur mandat ou décidé de ne pas se représenter sur ce qui les a conduits à prendre cette décision. Nous pourrons aussi nous déplacer sur le terrain, afin de poursuivre l'investigation sur ce sujet et d'examiner les conséquences pour les territoires et les citoyens de ces communes sans exécutif ou avec des conseils municipaux incomplets.
Ensuite, il nous faudra recueillir le point de vue des représentants des élus locaux et des différents niveaux de collectivités territoriales, ainsi que des représentants de l'intercommunalité. Partagent-ils le même diagnostic sur la situation des communes et des maires et sur les contraintes qui pèsent sur leur action ? Et, surtout, quelle est leur vision de l'avenir de la commune et du rôle du maire ?
À cet égard, il ne faut pas oublier, me semble-t-il, le point de vue du citoyen, que nous pourrions recueillir par un sondage ou une consultation. Qu'attendent nos concitoyens de leur commune et de leur maire et que souhaitent-ils pour l'avenir ?
Enfin, il nous faudra examiner ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. D'ores et déjà, à l'occasion de chaque réforme territoriale, le Sénat a cherché à doter les communes d'une certaine souplesse d'organisation. Nous pourrions voir ce qui a fonctionné et ce qui doit encore être renforcé. Nos déplacements nous permettront également d'identifier les bonnes pratiques qui permettent aux communes de reprendre en main leur destin.
Nous devrons toutefois nous garder des approches uniquement techniques et institutionnelles : penser l'avenir de la commune, c'est s'attacher à une vision politique et fonctionnelle de cet échelon local élémentaire. Pour quelles actions la commune sera-t-elle la bonne échelle en 2030 ? À quels besoins de la population doit-elle répondre ? À quelles conditions pourra-t-elle le faire efficacement ?
Voilà quelques premières pistes. Elles doivent encore être enrichies des réflexions et propositions qui vous sembleront pertinentes. Vous pourrez également, si vous le souhaitez, nous transmettre vos suggestions par écrit, d'ici à notre prochaine réunion, pour que nous complétions le programme de nos travaux.
En effet, lorsque nous évoquons la question de la différenciation, il importe de prendre en compte les différentes spécificités des territoires. Aussi, nos travaux pourront s'enrichir des expériences que vous, élus locaux, vivez ou que vous avez vécues. Nous souhaitons que notre démarche soit la plus pragmatique possible. Il n'est pas question d'opposer, au sein du bloc intercommunal, l'intercommunalité à la commune, notre objectif est d'essayer de définir, d'une part, les conditions de nature à conforter la commune et, d'autre part, les outils nécessaires qui lui permettront de jouer son rôle de proximité, échelon de base de la démocratie locale à l'horizon 2030.
L'engouement de tous nos collègues pour participer à cette mission d'information nous oblige à être à la hauteur des espérances de la représentation sénatoriale et, au-delà, des Français qui croient encore - c'est ma conviction profonde - en l'échelon communal.