Intervention de Baudouin Prot

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 17 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Baudouin Prot président du groupe bnp paribas

Baudouin Prot, président du groupe BNP Paribas :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite vous exposer en quelques mots comment le groupe BNP Paribas exerce son métier, s'agissant en particulier du sujet extrêmement important sur lequel portent les travaux de votre commission d'enquête.

Le rôle de BNP Paribas est avant tout de financer l'économie réelle et d'aider ses clients, entreprises comme particuliers, à concrétiser leurs projets.

En tant que banque de particuliers, notre groupe est très fortement implanté en France, son berceau historique. Nous y servons 6 millions de clients particuliers, auprès desquels nous collectons 115 milliards d'euros de dépôts, lesquels sont intégralement consacrés au financement de l'économie française, puisque nos encours de prêts sur le seul marché français dépassent 150 milliards d'euros.

Au-delà de nos frontières, et pour m'en tenir à la seule Europe, BNP Paribas est la première banque de Belgique, où nous détenons 25 % du marché et servons plus de 3 millions de particuliers, ainsi qu'une banque importante en Italie, où notre clientèle compte 3 millions de particuliers.

Pour la clientèle d'entreprises, BNP Paribas est aujourd'hui la première banque en Europe, grâce à un réseau sans équivalent de 150 centres d'affaires implantés dans pas moins de dix-sept pays européens. Nous jouons donc un rôle décisif dans l'accompagnement et la facilitation des échanges intra-européens, qui représentent 60 % du commerce extérieur de la France.

Nous finançons activement les entreprises par le biais du crédit. Nos encours de crédit aux entreprises en France ont progressé de 3,1 % l'an dernier, soit sensiblement plus que le PIB. Pour leur part, les crédits aux TPE et aux PME ont crû de 4,3 % en un an, soit davantage que la moyenne de nos crédits à l'économie.

Je ne veux pas multiplier les chiffres, mais ceux-ci m'ont paru mériter d'être cités parce qu'ils illustrent une réalité : BNP Paribas a réussi à maintenir le crédit à tous les stades de la crise qui sévit depuis maintenant cinq ans.

Nous jouons également un rôle actif pour aider les entreprises à lever les ressources à long terme dont elles ont besoin.

Notre banque est ainsi le leader européen pour les émissions obligataires en euros, et nous accompagnons un nombre croissant d'entreprises sur les marchés : depuis 2010, pas moins de trente-sept entreprises européennes ont pu accéder pour la première fois au marché des capitaux, sur lequel elles ont levé au total 17 milliards d'euros.

Avant d'aborder plus directement le thème de votre commission d'enquête, je voudrais évoquer le rôle que nous jouons en matière d'emploi.

Notre groupe emploie 200 000 personnes dans le monde, dont près de 60 000 en France. Au cours des cinq dernières années, BNP Paribas a créé plus de 10 000 emplois nets dans notre pays. Nous continuons d'y recruter plusieurs milliers de personnes chaque année sous contrat à durée indéterminée. Notre groupe est le deuxième employeur de l'Ile-de-France, et le premier de la Seine-Saint-Denis.

Ainsi, c'est de façon concrète que notre groupe conçoit son rôle de banquier : il entend être utile à la réalisation des projets de ses clients, apporter son concours au développement et à la croissance des pays où il est présent, au bénéfice de l'activité et de l'emploi.

Par définition, nous accordons une attention particulière à la question de la circulation des capitaux, qui est au coeur de nos métiers, ainsi qu'à la licéité de l'ensemble des opérations que nous réalisons. Comme toutes les institutions financières, le groupe que je préside est soumis à des législations et à des réglementations rigoureuses.

Au-delà de ces obligations, que nous nous attachons évidemment à respecter strictement, l'ensemble des collaborateurs de BNP Paribas partagent une haute conception de l'éthique professionnelle du métier de banquier. La crise financière et ses conséquences sont venues rappeler à quel point les attentes peuvent être élevées à l'égard de notre profession. Notre groupe a pleinement conscience de la légitimité de ces attentes, et nous nous estimons tenus à une double exigence de transparence et d'exemplarité.

Nous avons d'ailleurs récemment réaffirmé tous nos principes, en particulier en matière d'éthique commerciale, dans une charte de responsabilité. Ce document de deux pages intitulé « Notre métier, notre responsabilité », que j'ai cosigné avec le directeur général du groupe, Jean-Laurent Bonnafé, est en train d'être adressé à tous nos clients, notamment par le biais de nos agences et d'internet. Je vous remets d'ailleurs un exemplaire de ce document à l'occasion de cette audition.

Afin de répondre plus directement au questionnaire que vous nous avez adressé, j'évoquerai d'abord le comportement de BNP Paribas dans ses propres opérations, puis dans ses rapports avec ses clients.

S'agissant très concrètement de la question de l'évasion des capitaux et des actifs hors de France, je vais commencer par vous décrire les règles qui régissent la conduite de notre groupe pour ses propres opérations.

En matière d'imposition, nos principes nous font interdiction de procéder à quelque déplacement d'activité que ce soit vers des pays à fiscalité privilégiée. BNP Paribas est une entreprise dont le siège social est en France et qui paie des impôts en France. Pour les deux exercices 2010 et 2011, nous avons acquitté sur le territoire national plus de 800 millions d'euros au titre de l'impôt sur les sociétés et 3,3 milliards d'euros toutes taxes confondues. De ce fait, BNP Paribas est certainement l'un des plus importants contribuables de France.

Notre groupe est aussi présent dans quatre-vingts pays dans le monde. Nos implantations hors de France nous sont indispensables pour servir nos clients locaux, accompagner les entreprises dans leur développement international et répondre aux besoins des grands investisseurs internationaux. Elles n'ont pas pour finalité de nous faire échapper à l'impôt, qu'il soit français ou étranger. La formation de nos résultats hors de France n'est en aucun cas fonction des taux d'imposition des pays où nous exerçons des activités. Ces résultats sont liés à la localisation des équipes et des clientèles qui les ont produits et sont placés sous le contrôle des administrations fiscales concernées. Nos seuls objectifs sont la sécurité fiscale et l'absence de double imposition.

Votre commission d'enquête s'interroge également sur notre éventuelle présence dans des pays qualifiés de paradis fiscaux ou jugés non coopératifs au plan fiscal. Sur ce point aussi, nous estimons qu'il est de notre devoir de faire preuve de transparence et d'exemplarité.

En ce qui concerne la transparence, nous respectons avec la plus grande rigueur l'obligation qui nous est faite de publier dans notre rapport annuel la liste exhaustive de nos implantations dans le monde. Cette année à nouveau, notre document de référence comporte une dizaine de pages consacrées à l'inventaire exhaustif et détaillé des 1500 sociétés que notre groupe consolide.

En ce qui concerne l'exemplarité, notre groupe a pris des mesures strictes à l'égard des activités exercées dans les pays considérés comme non coopératifs au plan fiscal. Ainsi, BNP Paribas a été la première banque française à s'engager, dès la fin de l'année 2008, à ne plus disposer d'aucune implantation dans les paradis fiscaux figurant sur la liste « grise » établie par l'OCDE, répondant ainsi à une demande du G20. Cet engagement a été tenu. En 2009, par exemple, nous avons quitté le Panama. À l'époque, nous avions reçu des lettres du Quai d'Orsay après que le président de la République du Panama fut intervenu pour demander instamment que nous restions dans son pays, où nous exercions le métier de banquier depuis soixante-quinze ans. Je dois dire que nous avons éprouvé une certaine surprise en constatant que nos activités dans ce pays étaient rachetées par une grande banque internationale d'un pays d'Amérique du Nord, pourtant lui aussi membre du G20...

Ce cas illustre l'absence actuelle de consensus sur la définition des paradis fiscaux. Pour sa part, BNP Paribas a décidé d'apprécier cette notion de façon particulièrement rigoureuse, mais, dans ce domaine, nous avons besoin de références claires, précises et partagées par tous.

À cet égard, nous ne pouvons que constater et regretter l'amalgame qui est fait entre des situations très différentes, que je vais m'efforcer de distinguer.

Premièrement, dans sa définition française, la notion de pays à fiscalité faible ou privilégiée recouvre des Etats dont le taux de l'impôt sur les sociétés est inférieur de moitié au moins à ce qu'il est en France, c'est-à-dire 36 %. Autrement dit, tous les pays où le taux de l'impôt sur les sociétés est inférieur à 18 % sont considérés comme des pays à fiscalité faible.

Les pays insuffisamment régulés au plan prudentiel forment une deuxième catégorie.

Une troisième catégorie regroupe les Etats ou territoires non coopératifs au plan fiscal, les ETNC, dont la liste établie par la France est actualisée chaque année par arrêté.

Dans une dernière catégorie figurent les pays dont le système juridique est différent du nôtre, notamment ceux où la common law régit le commerce international.

La confusion qui règne entre ces différentes notions conduit parfois certaines publications à faire état de chiffres que nous estimons totalement fantaisistes à propos des implantations de BNP Paribas dans de prétendus paradis fiscaux. Nous contestons formellement ces chiffres, car nous considérons qu'il n'est pas raisonnable d'assimiler des pays de l'Union européenne à des paradis fiscaux. Les pays en question, qu'il s'agisse du Royaume-Uni, de la Belgique, des Pays-Bas ou du Luxembourg, sont unis à la France de la façon la plus étroite qui se puisse concevoir par des traités économiques et politiques. Nous demander de les boycotter comme s'il s'agissait de zones de non-droit est à la fois dépourvu de sens et contraire à toutes les règles juridiques. La plupart des pays visés par ces listes officieuses et où nous sommes implantés sont en réalité de véritables centres économiques et sont souvent membres de l'Union européenne et de la zone euro. Ils disposent de réglementations analogues aux nôtres en matière de supervision bancaire et de lutte contre le blanchiment.

S'agissant des paradis fiscaux, BNP Paribas se réfère à deux listes : celles qui sont établies respectivement par l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, et par la France.

Nous ne sommes présents dans aucun des pays figurant sur la liste de l'OCDE. Quant à la liste établie par la France, qui a été actualisée par un arrêté du 12 avril dernier, elle comporte désormais huit ETNC. Nous indiquons en toute transparence, y compris dans notre document de référence, que nous exerçons des activités dans deux de ces huit pays : Brunei et les Philippines.

À Brunei, nous proposons uniquement des services de gestion d'actifs au fonds souverain et aux clients institutionnels de ce riche pays pétrolier, à l'exclusion de toute activité avec des clients extérieurs. Brunei est, depuis 1929, le troisième producteur pétrolier d'Asie. Les ressources qu'il tire de ses exportations d'hydrocarbures représentent 95 % de son PIB. Cet Etat peu peuplé dispose d'un fonds souverain qui a des besoins très importants dans le domaine de la gestion d'actifs. La société que nous détenons sur place, issue de Paribas, assure notre présence à Brunei depuis des dizaines d'années.

Aux Philippines, pays important d'Asie qui compte près de 100 millions d'habitants, nous possédons une succursale qui sert uniquement une clientèle locale, ainsi que des groupes français dans le cadre de contrats d'exportation.

Par exemple, un important marché à l'export a récemment été remporté par le groupe Eiffage, allié à une PME qui emploie 250 salariés à Arpajon-sur-Cère, dans le Cantal. Ensemble, ces deux entreprises ont obtenu un contrat de 520 millions d'euros, garanti par la Coface, portant sur la vente de 490 ponts et de 72 débarcadères de ferrys, pour un montant équivalent à la valeur de dix Airbus.

Aux Philippines comme ailleurs, BNP Paribas se consacre au financement de l'économie réelle et à l'accompagnement des exportateurs français. Dans ces conditions, remettre en cause notre présence dans ce pays ne contribuerait en rien à la lutte contre l'évasion des capitaux hors de France. En revanche, notre dispositif d'appui aux exportations françaises s'en trouverait affaibli.

J'aborderai enfin la notion de paradis réglementaire et la possibilité offerte à une entreprise comme la nôtre de localiser ses activités en fonction du caractère plus ou moins accommodant des législations locales.

Pour BNP Paribas, il ne peut pas exister de « paradis réglementaire ». En effet, toutes nos activités dans le monde, sans exception, sont intégralement soumises aux règles prudentielles françaises et au contrôle du régulateur bancaire français.

Cela étant, on ne peut ignorer que la plus grande part des transactions financières et commerciales internationales s'inscrit dans des cadres juridiques différents du nôtre, où la common law anglo-saxonne joue un rôle majeur. Cela explique qu'il soit nécessaire d'utiliser des structures juridiques adaptées à ce contexte, comme les trusts ou les structures dédiées.

Telles sont les informations que je souhaitais vous communiquer au sujet des activités de BNP Paribas en propre. J'en viens maintenant aux rapports entre notre groupe et ses clients.

S'agissant des particuliers, le principal domaine concerné est la gestion de patrimoine, qui est strictement encadrée. J'affirme devant vous que BNP Paribas a pour principe constant de n'encourager en aucune façon les comportements assimilables à de l'évasion de capitaux ou à de la fraude fiscale.

En tant qu'établissement financier, il nous est notamment interdit de réaliser des prestations de conseil fiscal. Bien sûr, dans le cadre de la libre circulation des biens et des capitaux, certains de nos clients peuvent réaliser des transactions internationales. Ces transactions sont soumises à un processus interne de validation spécifique, que je vais rapidement vous décrire.

Nous nous assurons du fondement économique ou patrimonial des transactions et nous vérifions que nos clients n'obtiennent pas un avantage fiscal illicite. Pour cela, nous recueillons, si nécessaire, un avis fiscal externe. Si, pour des raisons personnelles, certains clients optent pour un changement de résidence fiscale, nos experts patrimoniaux les invitent à valider leur situation avec un conseiller fiscal externe.

Les établissements bancaires jouent également un rôle actif en matière de lutte contre le blanchiment. Dans ce domaine, la législation n'a cessé d'être renforcée, ce dont le banquier que je suis se félicite. Certes, cela fait peser sur nous des obligations supplémentaires, mais il est dans notre intérêt de nous y plier, car il y va aussi de notre propre sécurité juridique et financière.

En 2009, à l'occasion de la transposition de la directive européenne du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, la France a introduit de facto la fraude fiscale dans les obligations déclaratives de soupçon de blanchiment.

BNP Paribas respecte scrupuleusement ses obligations en matière de prévention du blanchiment.

D'abord, nous respectons une règle très importante en matière de conformité, dite « know your customer », qui nous fait obligation de connaître nos clients et leurs activités.

Ensuite, nous sommes tenus d'exercer une vigilance constante sur les opérations.

Enfin, nous devons examiner toutes les transactions inhabituelles, ce qui peut conduire à des signalements à TRACFIN, en vertu de nos obligations déclaratives de soupçon de blanchiment.

À cet égard, sachez que notre groupe procède à environ 2 500 déclarations de soupçon de blanchiment à TRACFIN chaque année et que ce chiffre progresse régulièrement.

Pour respecter ces obligations et s'assurer de la conformité des opérations de ses clients, BNP Paribas s'appuie sur un dispositif mobilisant un personnel très nombreux et très expérimenté. En effet, nos équipes dites de conformité comptent près de 2 000 personnes dans le monde. Autrement dit, chez BNP Paribas, 2 000 salariés sont affectés à temps plein aux activités de compliance. Ces personnes sont placées sous la direction de M. Jean Clamon, délégué général et membre du comité exécutif, qui est présent à mes côtés. Ces équipes s'appuient de surcroît sur un réseau additionnel dit de contrôle de premier niveau, qui est lui-même composé de 1 500 collaborateurs répartis dans les différentes entités de la banque.

Au total, ce sont donc plus de 3 500 personnes, au sein de notre groupe, qui travaillent à s'assurer de la légalité de nos opérations, de leur conformité et de l'absence de fraude. Chacune de nos entités dans le monde, sans exception, dispose d'un dispositif de conformité placé sous l'autorité de Jean Clamon, qui lui-même siège au comité exécutif et dépend directement du directeur général du groupe, Jean-Laurent Bonnafé.

En conclusion, nous avons la conviction que notre politique et nos actes en matière de lutte contre l'évasion des capitaux hors de France sont conformes aux objectifs visés par les autorités de notre pays. Le secteur financier joue même un rôle non négligeable dans la détection des transactions suspectes.

Le dispositif réglementaire français est rigoureux, notamment en matière d'obligations déclaratives et de transparence, qu'il s'agisse des activités des établissements financiers pour leur propre compte ou des opérations qu'ils réalisent pour leurs clients.

À cet égard, il convient de veiller collectivement à pouvoir distinguer entre les opérations assimilables à de l'évasion fiscale et les activités légitimes des entreprises françaises, qui contribuent au développement de notre économie grâce à leur présence internationale.

Enfin, m'adressant aujourd'hui au législateur, je voudrais lui dire que seules des règles homogènes au plan international et une juste répartition des obligations entre tous les acteurs concernés peuvent permettre de réduire encore les incidences économiques des pratiques sur lesquelles vous enquêtez et que vous condamnez à juste titre.

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