Intervention de Frédéric Oudea

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 17 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Frédéric Oudéa président-directeur général du groupe société générale président de la fédération bancaire française et de Mme Ariane Obolensky directrice générale de la fédération bancaire française et de l'association française des banques

Frédéric Oudea, président-directeur général du groupe Société générale, président de la Fédération bancaire française :

Monsieur le président, cette question est fondamentale. Permettez-moi d'évoquer brièvement ce sujet, qui dépasse de très loin la fiscalité, laquelle n'en constitue qu'un élément.

Tout d'abord, il me semble essentiel de souligner que des changements réglementaires majeurs sont en cours et vont continuer à transformer les banques, notamment les banques françaises. Il s'agit en particulier des accords de Bâle III, dont découlent des règles différant très largement des normes jusqu'ici en vigueur en matière de capital et de liquidités, et imposant de réfléchir de nouveau au moyen de financer les économies européennes.

S'il est un élément clef, c'est bien le suivant : sous la contrainte de ces réglementations, qui vont globalement dans le bon sens, celui du renforcement de la solidité du système, nous allons évoluer de facto d'un système bancaire européen finançant pour l'essentiel les économies via des créditas bancaires vers un système plus anglo-saxon dans lequel les activités de financement via les activités de marché ont une place croissante. Ce constat peut sembler paradoxal, mais c'est de facto la réalité.

Au-delà, des questions se posent d'ores et déjà : certes, les banques seront de plus en plus contrôlées, de plus en plus solides, mais parallèlement se développera un secteur de marché qui, lui aussi, méritera d'être mieux réglementé.

Une fois dressé ce constat, lorsque l'on observe l'Europe, il apparaît que la place financière majeure est toujours celle de Londres, très loin devant Paris et Francfort : de fait, la présence de la Banque centrale européenne n'a pas spécialement attiré les activités financières à Francfort.

À cet égard, et malheureusement si j'ose dire, les places continentales, qui auraient pu tirer profit de la manière dont leurs propres établissements financiers ont traversé la crise, par comparaison, ne se sont pas spécialement renforcées. Une des questions clefs, c'est donc bien de déterminer si, à l'avenir, nous aborderons les enjeux de réglementation au niveau domestique, à l'échelle de la zone euro, de l'Union européenne ou du monde tout entier.

Je le répète, de facto, une banque, ce n'est pas une usine avec de grosses machines, ce sont des collaborateurs et des systèmes informatiques. Il est donc certain que l'implantation géographique, en l'occurrence, n'a pas trop d'importance : on peut fabriquer le produit un peu n'importe où. De ce point de vue, ce qui va importer à l'avenir, c'est le critère suivant : les réglementations sont-elles les mêmes partout ? Y a-t-il des réglementations handicapantes sur telle ou telle place financière ?

Voilà pourquoi, concernant Bâle III, nous, banques françaises, disons oui à ces réglementations dès lors que le calibrage n'est pas excessif. Oui, parce que ces évolutions vont renforcer le système et qu'il faut tirer les leçons de la crise, il n'y a aucun doute sur ce point. En revanche, si nous sommes les seuls à appliquer ces règles, quelles en seront les conséquences ?

Par ailleurs, nous ajoutons : « Il est capital de conserver au sein de la zone euro des acteurs spécialisés en matière d'industrie de marché ». En effet, si l'on considère que, dans la zone euro, le financement dépendra davantage des marchés, n'est-ce pas, pour l'avenir, un enjeu majeur de souveraineté que de conserver un certain nombre de banques ancrées dans la zone euro, dont les intérêts seront alignés sur ceux de la zone euro, qui en comprendront intimement les problèmes, par opposition à un système où la zone euro reposerait exclusivement sur des acteurs et des places situés dans le reste du monde ?

Cette situation nous exposerait à des risques, que l'on a bien observés lors de la crise : lorsque la situation devient plus incertaine, le degré de confiance s'érode et, partant, les entreprises ainsi que les particuliers de la zone s'exposent à un problème d'accès au financement via les marchés.

Enfin, concernant la taxation - j'ai conscience qu'il s'agit là d'un problème important pour toutes les questions se rapportant aux transactions financières -, les termes du débat peuvent bien sûr être posés et déterminés par les autorités politiques, mais le constat reste le même : étant donné que la matière bancaire est en mouvement, le même risque demeure ! L'exemple de la Suède l'a bien illustré. Dans les années quatre-vingt-dix, la Suède a instauré une taxe sur les transactions financières, avant de supprimer ce dispositif : les activités de marché avaient déserté le pays ! Or le modèle suédois n'est pas particulièrement libéral, mais plutôt social-démocrate culturellement.

Ainsi, on observe que ces activités peuvent facilement se délocaliser. Je le répète, étant donné les évolutions réglementaires, nous avons besoin d'une activité de marché pour financer l'économie. À cet égard, il importe qu'une industrie financière subsiste dans la zone euro. Or, de ce point de vue, il est vrai que ni la place de Paris ni celle de Francfort ne se sont spécialement renforcées. Il faut donc rester vigilant et éviter que de nouvelles réglementations n'entrent en vigueur sans inclure les autres territoires, devenant plus pénalisantes encore.

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