Intervention de Frédéric Oudea

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 17 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Frédéric Oudéa président-directeur général du groupe société générale président de la fédération bancaire française et de Mme Ariane Obolensky directrice générale de la fédération bancaire française et de l'association française des banques

Frédéric Oudea, président-directeur général du groupe Société générale, président de la Fédération bancaire française :

Monsieur le rapporteur, je reviendrai dans quelques instants sur la question des financements, mais je répondrai tout d'abord à votre question : oui, nous sommes présents à la fois en Suisse, au Luxembourg et à Jersey. Ainsi, au Luxembourg, nous assurons une série d'activités : banque privée, métiers titres et, plus marginalement, banque de financement et d'investissement. En Suisse, nous sommes présents en banque privée, en banque d'investissement et de financement, notamment pour ce qui concerne les matières premières. De fait, les grands négociants de matières premières sont installés en Suisse, et la place y est très établie. Quant à Jersey, à ma connaissance, notre présence y est beaucoup plus modeste, et avant tout au titre de nos fonctions de banque privée.

Ma réponse est donc claire : oui, nous sommes présents au sein de ces territoires, que nous ne qualifions pas de paradis fiscaux ; mais il s'agit bien évidemment d'une question de définition.

Plus généralement, pour ce qui concerne le financement et les produits dérivés, permettez-moi d'apporter quelques brèves précisions, que mon collègue Baudouin Prot a déjà dû vous communiquer.

Observons la situation : depuis trois ans, le secteur bancaire français a plus financé l'économie « réelle » que n'importe quel autre secteur bancaire européen ; je souligne ce constat ! C'est encore le cas à la fin de février 2012, avec une croissance des crédits de l'ordre de 5 %, et cela concerne tant les particuliers que les entreprises. À ce titre, je précise que les PME ne subissent pas la moindre discrimination !

Certes, tout n'est pas parfait - d'ailleurs, je ne connais guère de systèmes industriels sans le moindre défaut, nous sommes tous d'accord pour le dire - mais, à mes yeux, tant les statistiques que les enquêtes menées régulièrement par la BCE, d'après un panel de 5 000 PME en Europe, permettent de l'observer : le système bancaire français a fait mieux que les systèmes bancaires allemand, italien ou espagnol.

En outre, si, en 2009, un contrat gagnant-gagnant a permis aux banques françaises de continuer à financer l'économie, en dépit de toutes les incertitudes qui pesaient alors sur les liquidités, nous pouvons nous accorder à reconnaître que toutes les créances ont été remboursées très vite, et que l'opération s'est plutôt soldée par un bénéfice pour le budget de l'Etat et pour l'économie française. A contrario, dans de nombreux pays, des banques sont encore nationalisées et les États concernés risquent toujours de subir des pertes in fine.

Deuxième point, il faut nous en convaincre, si certaines activités de marché sont déconnectées des besoins de la clientèle - et il est possible de travailler sur ce dossier - les émissions d'actions, d'obligations, mais aussi les produits dérivés -je reviendrai sur ce sujet dans un instant - sont aujourd'hui des instruments utiles à nos clients. Certes, ces outils induisent des risques, c'est inévitable, mais, en définitive, ce qui importe c'est que les risques encourus dans un domaine déterminé ne soient pas trop élevés.

À la base, qu'est-ce qu'un produit dérivé ? C'est un contrat d'assurance qui permet à telle ou telle entreprise d'éviter un risque, par exemple concernant l'évolution du cours des monnaies, des taux d'intérêt et des matières premières. Une entreprise produit en euros et vend en grande partie en dollars : elle souhaite se couvrir. Une entreprise souhaite passer d'un taux d'emprunt variable à un taux fixe ou couvrir ses achats de pétrole sur une durée de dix-huit mois : elle conclut alors un contrat dérivé avec une banque.

En signant un tel contrat, la banque décharge l'entreprise du risque et l'assume elle-même ! Le point important, c'est que, derrière, elle ne cumule pas tous ces risques. Son rôle, c'est donc précisément aussi de localiser, au sein du marché, des intérêts allant à l'inverse du risque que l'entreprise n'a pas souhaité courir. De fait, d'autres investisseurs, d'autres entreprises existent, dont les intérêts peuvent êtres différents : certaines veulent de l'euro, d'autres du dollar...

Certes, ces activités doivent faire l'objet d'un contrôle et je rappelle que Bâle III se fonde notamment sur l'idée que, pour conduire de telles activités, il faut avoir beaucoup plus de capital qu'auparavant. Le capital, je le décris souvent comme l'airbag d'un véhicule : c'est ce qui protège les passagers d'un accident. Lorsque l'on prend le volant de sa voiture, on ne se figure pas subir un accident, mais il peut hélas arriver ! Dans ces situations, l'airbag nous protège. De même pour une banque : normalement, il n'y a pas de problème, les revenus suffisent à absorber les petits risques, mais, lors des gros accidents, c'est le capital qui peut être amené à jouer.

Bâle III exige beaucoup plus de capital : quatre à cinq fois plus pour ce qui concerne les activités en question. Toutefois, à mes yeux, il faut rester conscient de l'alternative face à laquelle nous sommes placés : soit on laisse tous ces risques aux entreprises en admettant que la volatilité du dollar, du pétrole, des taux d'intérêt doit être supportée par elles seules ; soit on se dit qu'il n'est finalement pas idiot que des banques spécialisées dans la gestion de ces risques puissent mutualiser ces derniers, gérer des intérêts différents et continuer à offrir ce type de protection.

A mon sens, il importe que ce débat ait lieu, pour que l'on garde en mémoire que tous les produits dérivés ne sont pas mauvais et que beaucoup d'entre eux peuvent même présenter une véritable utilité. Je rencontre chaque jour des clients qui ont recours à ces produits de manière très concrète. Je ne citerai pas de noms mais, vous l'aurez compris à travers les problématiques que j'ai évoquées, nombreuses sont les entreprises industrielles qui cherchent à sécuriser leurs marges et à éviter la volatilité.

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