Intervention de Charles Prats

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 17 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Antoine Peillon journaliste à la croix charles prats magistrat membre du conseil scientifique du conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques et christian chavagneux journaliste à alternatives économiques

Charles Prats, membre du Conseil scientifique du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques, coauteur de « La Finance pousse-au-crime » :

magistrat, membre du Conseil scientifique du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques, coauteur de « La Finance pousse-au-crime ». - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer devant cette commission d'enquête parlementaire sur l'évasion fiscale, non pas en tant que magistrat chargé de la coordination de la lutte contre la fraude aux finances publiques au ministère du budget, mais en tant que membre du conseil scientifique du CSFRS, me permettant par ce biais d'accomplir la mission de prospective qui a été donnée à ce conseil, créé voilà trois ans.

Mon propos sera précisément de tenter de vous donner des pistes de réflexion pour que votre commission puisse en tirer des enseignements pratiques et que vous puissiez exercer votre mission de législateur à l'issue de vos travaux. C'est en effet votre vocation d'élus de la nation et de législateurs de traduire les constats que vous êtes amenés à faire en mesures législatives directes pour résoudre les problèmes.

Je commencerai par faire un cadrage macroéconomique, C'est un aspect qui a certainement été abordé dans les auditions antérieures, mais, s'agissant du montant de la fraude fiscale, les chiffres diffèrent.

Dans les comptes rendus qui ont été mis sur internet était citée une évaluation du Syndicat national unifié des impôts (SNUI).

Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires relatif à la fraude fiscale de mars 2007, dernier rapport disponible de cette institution associée à la Cour des comptes, chiffre la fraude à environ 25 milliards d'euros par an.

Ces chiffres valent ce qu'ils valent. Ce sont des évaluations, faites selon des méthodes statistiques.

Bercy a fait dernièrement une évaluation de la fraude à la TVA, qui se chiffrerait à une dizaine de milliards d'euros, évaluation qui a été confirmée par la Cour des comptes dans un très récent rapport pour l'Assemblée nationale.

La fraude à la TVA, escroqueries comprises, représente donc pratiquement la moitié de la fraude fiscale. Pour le reste, la fraude se répartit sur l'impôt sur les sociétés, sur l'impôt sur le revenu et divers autres impôts.

Bien évidemment, l'évasion fiscale et la fraude fiscale internationale représentent une part importante de la fraude et du coût de celle-ci pour les finances publiques.

Le coût de la fraude doit être rapporté au montant du déficit budgétaire : même si ce dernier a connu en 2011 une réduction historique, il reste de l'ordre d'une centaine de milliards d'euros annuel ; le coût de la fraude est donc loin d'être négligeable. Si on le rapportait aux déficits sociaux, mais je sais que ce n'est pas l'objet de votre commission d'enquête, on constaterait que la situation est encore pire.

A l'extérieur de nos frontières, c'est l'exemple grec qui me frappe le plus. Il faut appeler un chat un chat : la situation de la Grèce s'explique par le fait que c'est un pays qui a été historiquement dans l'incapacité de maîtriser ses finances publiques et de sécuriser ses recettes fiscales. Peut-être n'a-t-il pas non plus maîtrisé ses dépenses, mais c'est d'abord un pays qui ne sait pas et qui n'a jamais su sécuriser ses recettes fiscales. A cet égard, la situation de l'Italie n'est pas très éloignée de celle de la Grèce.

La lutte contre la fraude fiscale internationale est une nécessité de justice sociale en même temps qu'une nécessité budgétaire. En tant que législateurs vous le savez, nous avons un véritable problème de financement public et nous ne pouvons donc plus nous permettre de ne pas être très sévères envers la fraude.

Lutter contre cette fraude fiscale internationale, qui concerne principalement les « gros », les « riches », est également une nécessité pour légitimer l'ensemble de la politique de lutte contre la fraude aux finances publiques, laquelle concerne non seulement le volet fiscal mais aussi, je le disais, le volet social. On ne peut pas légitimer aux yeux de nos concitoyens la lutte contre toutes les fraudes si on ne lutte pas aussi contre cette fraude-là.

J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt la présentation de M. Chavagneux, présentation très technique axée sur l'évasion internationale de capitaux, notamment par le biais des transferts au sein des grandes multinationales, plus peut-être que sur l'évasion des fortunes placées à l'étranger par des particuliers.

Pour ma part, en tant que professionnel, je vois deux dénominateurs communs aux différents types d'évasion fiscale : l'opacité et la clandestinité.

Il y a également une constante : la difficulté à récupérer les sommes fraudées quand on les découvre. Je vous renvoie à ce propos à une affaire qui a défrayé la chronique récemment, car il s'agit manifestement de la plus grosse escroquerie à la TVA - en l'espèce sur les échanges de quotas carbone - à laquelle la France ait été confrontée : l'affaire BlueNext. Le préjudice s'élève à 5 milliards d'euros pour l'Europe selon les estimations d'Europol et à 1,6 milliard d'euros pour l'Etat français selon la dernière évaluation de la Cour des comptes.

Il serait intéressant de connaître le montant des sommes d'ores et déjà recouvrées, mais je ne pense pas m'avancer beaucoup en pariant sur zéro... C'est une des réalités de la lutte contre l'escroquerie à la TVA.

Je souhaiterais donc vous soumettre quelques propositions opérationnelles pour mieux lutter contre la fraude fiscale internationale et vous démontrer qu'il est possible d'aller plus loin que ne permet de le faire toute la série de mesures qui, depuis quelques années, sont prises en ce sens, mesures qu'en tant que sénateurs vous avez examinées dans le cadre des lois de finances successives.

Je pense notamment aux mesures relatives à la répression des manipulations des prix de transfert, à la lutte contre l'économie souterraine ou à la transmission d'informations entre l'administration fiscale et les services de police.

Je crois cependant, je l'ai dit, que l'on peut aller plus loin - et je vais vous expliquer comment, à mon humble avis, on peut le faire - tant dans la recherche des comptes bancaires à l'étranger et la répression de la détention de ces comptes, domaine qui est au coeur de vos investigations, que dans la lutte contre les escroqueries à la TVA, lesquelles ont, dans 99 % des cas, une composante internationale et constituent, on l'a vu, la principale fraude fiscale en France.

On peut aller plus loin soit en instituant de nouvelles procédures, soit en adaptant les procédures existantes, notamment par le biais de mesures législatives que vous pourriez être amenés à proposer et à voter. Cependant, en matière de répression de la détention de comptes bancaires à l'étranger comme de lutte contre les escroqueries à la TVA, on peut aller plus loin à droit constant, c'est-à-dire dès aujourd'hui.

La législation en vigueur, grâce aux quelques adaptations qui lui ont été apportées - pour les dernières, il y a moins d'un an -, nous permet en effet déjà d'être beaucoup plus efficaces que nous ne le sommes.

Sur la détention des comptes bancaires à l'étranger, qui est notamment l'objet du livre de M. Peillon, en cas de fraude, vous le savez, la législation fiscale s'applique, mais il est également possible d'utiliser la législation douanière, notamment la législation des relations financières avec l'étranger, dont, à l'heure actuelle, il n'est pas fait usage. Pourquoi ?

La détention d'un compte bancaire à l'étranger doit faire l'objet d'une déclaration à l'administration fiscale ; c'est l'article L. 152-2 du code monétaire et financier, qui renvoie lui-même à l'article 1649 A du code général des impôts.

Vous avez voté un durcissement des sanctions pour non-déclaration de compte bancaire à l'étranger, et l'amende forfaitaire prévue a été transformée en une amende proportionnelle de 5 %. Parallèlement à cette disposition, le code monétaire et financier prévoit une amende de 750 euros pour la même infraction. Il y a donc là un petit conflit de textes.

D'autres dispositions légales en la matière figurent dans le code des douanes. Par combinaison du code des douanes et du code monétaire et financier peut être appréhendée l'infraction de détention d'un compte non déclaré à l'étranger ; les dispositions de l'article 459 du code des douanes répriment le non-respect des obligations déclaratives qui sont elles-mêmes prévues dans le code monétaire et financier.

Cet outil de répression qu'est le code des douanes a un poids beaucoup plus important que les dispositions prévues dans le code général des impôts puisqu'il prévoit une peine de cinq ans d'emprisonnement pour la non-déclaration d'un compte bancaire à l'étranger. Cette peine peut être assortie d'une amende comprise entre une et deux fois le montant des sommes détenues sur le compte, ainsi que la confiscation des sommes en jeu.

On entre là dans le cadre de la répression douanière classique, qui est beaucoup plus dure.

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