Intervention de Charles Prats

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 17 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Antoine Peillon journaliste à la croix charles prats magistrat membre du conseil scientifique du conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques et christian chavagneux journaliste à alternatives économiques

Charles Prats, membre du Conseil scientifique du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques, coauteur de « La Finance pousse-au-crime » :

Je vais répondre sur la problématique des transactions.

Avant cela, je me permettrai une incidente sur le statut des informateurs : le code de procédure pénale prévoit déjà le statut de témoin protégé, dans le cas où la vie ou l'intégrité physique de la personne entendue serait menacée, et si la procédure porte sur une infraction punie d'au moins trois ans d'emprisonnement, ce qui est le cas de la fraude fiscale. On peut donc recourir au statut de témoin protégé, dans le cadre d'une enquête pénale. Il ne s'agit certes pas exactement d'un statut de l'informateur.

Il me semble au demeurant que le principal problème réside dans le statut de l'information. En effet, dans ce type d'enquêtes et sur ce type d'affaires, on devra se résoudre, à un moment donné, à recueillir des informations qui peuvent avoir une provenance douteuse. Quand vous enquêtez sur du trafic de stups, en général, le bonhomme qui vous passe l'information, il est lui-même impliqué dans le trafic. Les services sont donc quotidiennement amenés à traiter avec des gens qui ne sont pas forcément « blancs-bleus ». Peut-être vaut-il mieux taire cette réalité, mais c'est ainsi.

Il ne me semble donc pas inutile de réfléchir à un statut de l'informateur, et surtout de l'information, pour la légaliser et éviter les déconvenues que l'on a connues voilà quelques mois.

Je reviens sur la faculté de transaction : je ne pense pas qu'il faille l'interdire. Il faut trouver une manière de combiner à la fois la possibilité, pour l'autorité judiciaire, d'être saisie et la possibilité, pour l'autorité administrative, de transiger.

A cet égard, il est très intéressant de se livrer à un petit historique de la douane judiciaire, parce qu'elle est à bien des égards un laboratoire très intéressant. En 1999, des pouvoirs de police judiciaire sont attribués aux douaniers, ce qui correspond à une vieille revendication. En 2002, le service national de douane judiciaire, le SNDJ, est créé. Les officiers de douane judiciaire étaient initialement regroupés dans un service de douane administrative, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières - mon ancien service. Après, il a été décidé de créer un service vraiment indépendant, à savoir le SNDJ.

Il s'agit d'un service judiciaire, une espèce d'office central, mais il est intéressant de constater qu'il est administrativement dirigé par un magistrat, ce qui constitue un cas unique en France pour un service de police judiciaire.

Notez aussi que, à l'époque, lorsque ces pouvoirs de police judiciaire ont été conférés aux douaniers, la loi a expressément prévu que l'administration perdait son pouvoir de transaction, que ce soit en matière douanière ou de contributions indirectes.

Toutefois, depuis lors - dans la dernière loi de finances, me semble-t-il -, Bercy a proposé au législateur de revenir sur ce point. On s'est en effet rendu compte à l'usage que beaucoup de dossiers étaient menés judiciairement et que, même si cela permettait de profiter des pouvoirs d'enquête du code de procédure pénale, plus étendus que ceux du code des douanes, la finalité répressive du dossier ne justifiait pas forcément d'en renvoyer tous les protagonistes devant une juridiction correctionnelle, et que l'on pouvait tout à fait utiliser la souplesse du règlement transactionnel.

La loi a donc été modifiée, justement pour permettre désormais à l'administration de transiger sur un dossier mené par la douane judiciaire, avec l'accord de l'autorité judiciaire, bien entendu. Si l'on veut aller dans la même direction en matière fiscale - il faudrait pour cela que la CIF soit supprimée et que la justice pénale puisse s'autosaisir et déclencher les poursuites comme en matière de droit commun -, il faut prévoir une possibilité de règlement transactionnel, avec l'accord de la magistrature, bien évidemment.

Il existe déjà des exemples, y compris quand les poursuites sont déclenchées. Je me souviens ainsi, quand j'étais douanier, d'une affaire impliquant un réseau de vente aux enchères avec des prête-noms : nous avions trente commissaires-priseurs et une cinquantaine de prête-noms devant la XIe chambre correctionnelle. Les poursuites pénales avaient été déclenchées, les prévenus convoqués. Et, entre l'audience de fixation et l'audience de plaidoirie, tout le monde a transigé. Croyez-moi, tout le monde y a trouvé son intérêt. Le tribunal de grande instance de Paris évitait d'avoir à organiser un mini-procès du Sentier à la XIe chambre - parce que soixante-dix prévenus, cela représente un peu d'occupation et quelques journées d'audience ! Quant aux prévenus, ils étaient évidemment très contents de ne pas voir leurs noms cités dans la presse et de ne pas être condamnés par le tribunal correctionnel. Enfin, l'administration a pu immédiatement encaisser les fonds issus de la transaction.

La transaction présente donc un véritable intérêt.

Mes propos vous choqueront peut-être, ou vous paraîtront politiquement incorrects, mais, en matière fiscale, une procédure non publique et plutôt secrète s'avère parfois beaucoup plus efficace qu'un procès. Quand vous attrapez quelqu'un pour fraude fiscale ou évasion internationale de capitaux, si vous lui expliquez que le dossier est vraiment solide et que vous lui laissez le choix entre le tribunal correctionnel et la transaction, il préférera très souvent la transaction et réglera immédiatement.

Il convient ensuite de mettre en balance l'efficacité et l'exemplarité des poursuites. Il faut toujours conserver un petit taux de poursuites, pour l'exemple, mais, croyez-moi, en termes d'efficacité, le règlement transactionnel est souvent beaucoup plus efficace.

Le fraudeur s'est fait taper sur les doigts, il a payé son amende et ses pénalités ; en principe, il n'y reviendra plus !

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