Intervention de Charles Prats

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 17 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Antoine Peillon journaliste à la croix charles prats magistrat membre du conseil scientifique du conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques et christian chavagneux journaliste à alternatives économiques

Charles Prats, membre du Conseil scientifique du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques, coauteur de « La Finance pousse-au-crime » :

Vous avez évoqué la loi de 1995, monsieur le président. C'est en effet la transcription législative de la possibilité ouverte aux douaniers, notamment par l'arrêté de 1957, de rémunérer les informateurs. Auparavant, lorsque les policiers et les gendarmes voulaient faire rémunérer un de leurs indics, ils demandaient à la douane de l'inscrire comme aviseur, afin que celle-ci rémunère l'opération. Ce processus était un peu complexe et obligeait les policiers à donner l'identité de leur « tonton » au service des douanes, ce qui n'est jamais très facile.

Cela étant, la possibilité de rémunérer les informateurs n'empêche pas d'être confronté à un problème d'utilisation légale des informations recueillies. Ainsi, dans l'affaire HSBC, un « informateur » suisse communique à l'administration fiscale française des données internes qui ont manifestement été volées chez HSBC. Dans le même temps, les Suisses, qui ont déposé plainte pour vol, saisissent la justice française puisque ce monsieur est domicilié dans les Alpes-Maritimes. Le parquet de Nice, qui gère la demande d'entraide pénale internationale, interpelle le citoyen suisse en question, mène des perquisitions et découvre à cette occasion des informations fiscalement intéressantes pour la France. Le procureur de la République applique alors l'article L. 101 du livre des procédures fiscales et transmet l'information à l'administration fiscale. Formellement, la loi est respectée.

Néanmoins, dans deux arrêts du 31 janvier et du 21 février dernier - le deuxième n'a pas été publié -, la chambre commerciale de la Cour de cassation juge que « c'est à bon droit qu'après avoir constaté que des documents produits par l'administration au soutien de sa requête avaient une origine illicite, en ce qu'ils provenaient d'un vol, le premier président a annulé les autorisations obtenues sur la foi de ces documents », en retenant qu'il importait peu que l'administration en ait eu connaissance par la transmission d'un procureur de la République ou par un autre moyen. Cette jurisprudence est confirmée par l'arrêt du 21 février : en l'occurrence, dans le moyen unique de cassation, le premier président de la Cour d'appel de Chambéry reprenait l'argument de la légalité au titre de la transmission par le procureur de la République. La Cour de cassation répond que, en statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés ; elle confirme donc sa jurisprudence du 31 janvier.

En l'espèce, nous sommes donc plus confrontés à un problème de statut de l'information que de statut de l'informateur. En effet, quel qu'ait été le statut de l'informateur, qu'il ait été anonyme ou enregistré avec un numéro, dès lors qu'il était démontré que l'information provenait d'un vol, la Cour de cassation aurait statué de la même manière, selon la jurisprudence civile classique sur la loyauté des preuves. A mon avis, nous avons là un vrai souci, qui appelle une réponse législative, car, sur ce type de dossiers marqués du sceau de l'opacité la plus grande, vous ne pouvez pas intervenir de manière efficace si vous n'avez pas d'informations, et donc pas d'informateurs.

On peut aussi utiliser des moyens techniques, d'où l'importance, me semble-t-il, de la proposition de simplification des règles de la CNIL en matière de lutte contre la fraude aux finances publiques.

La semaine dernière, devant votre commission, la ministre du budget expliquait que les services fiscaux avaient lancé une expérimentation qui consiste à essayer d'identifier, avec le groupement des cartes bancaires, les résidents fiscaux français qui utilisent dans leurs paiements quotidiens des cartes bancaires internationales. A titre personnel, je trouve cette technique particulièrement pertinente, car elle permet aux enquêteurs d'avoir une présomption de détention indirecte d'un compte à l'étranger.

Tout cela est au demeurant assez cohérent avec ce qui a été voté au cours des années antérieures, notamment en matière douanière. Ces évolutions permettent d'obtenir des informations d'origine technique, qui peuvent d'ailleurs être croisées avec les informations issues de TRACFIN ou des échanges automatisés d'informations mis en place avec les banques, pour cibler des personnes qui sont présumées se livrer à de l'évasion fiscale. Ensuite, dans un second temps, les techniques d'investigation des enquêtes répressives peuvent être mises en oeuvre.

Cela étant, ce type de techniques permettra surtout de ramener dans les filets du petit et du moyen fretin. En revanche, les « gros poissons », qui mettent en oeuvre des techniques particulièrement sophistiquées d'évasion, seront beaucoup plus difficiles à attraper de cette manière, car ils ne se feront pas prendre aussi sottement. D'où l'intérêt de travailler sur des incriminations suffisamment larges, mais avec des techniques qui permettent quand même de ramener des fraudeurs dans les filets.

Enfin, je ne vois strictement aucune contradiction entre le refus de la procédure Rubik et la transaction. Les accords conclus par la Suisse ne prévoient aucune sanction, ce qui n'est pas le cas du règlement transactionnel. Bien au contraire, une transaction avec l'administration des douanes ou des impôts se traduit par une sanction rapide et effective.

A l'inverse, il arrive parfois que, en matière de fraude aux finances publiques, la sanction prononcée par le tribunal ne soit pas à la hauteur de l'investissement des agents de contrôle. Ainsi, en matière de travail illégal, un chef d'entreprise qui se fait attraper par les services de contrôle pour avoir oublié de payer 200 000 ou 300 000 euros de cotisations sociales écopera en correctionnelle d'une petite amende et, éventuellement d'une peine de prison avec sursis. En revanche, les membres d'une équipe qui dérobent la même somme en arrachant un distributeur automatique de billets passeront en comparution immédiate et prendront trois ans de prison ferme.

En matière de fraude aux finances publiques, le risque pénal marginal est extrêmement faible quand on passe devant la justice correctionnelle, pour de multiples raisons. Les magistrats du parquet, très sensibilisés, requièrent des peines lourdes, mais les décisions obtenues ne sont souvent pas à la hauteur des enjeux et de la gravité des faits contenus dans les dossiers. Cela témoigne toutefois de l'indépendance des magistrats du siège, ce qui est une bonne chose.

En matière de transaction administrative, il existe en général des barèmes à partir desquels la négociation s'engage. A titre d'exemple, pour un compte bancaire de 1 million d'euros détenu clandestinement à l'étranger, le code des douanes prévoit une sanction comprise entre 660 000 et 3 millions d'euros. On peut dès lors envisager que les personnes mises en cause acceptent des transactions comprises entre 200 000 et 300 000 euros. Ce procédé permet d'obtenir une sanction immédiate et efficace. En revanche, si vous privilégiez la voie judiciaire, vous pouvez certes espérer une sanction de l'ordre de 600 000 euros, mais elle n'interviendra que cinq ou dix ans plus tard, lorsque toutes les voies de recours auront été épuisées.

Il y a donc un arbitrage à faire entre, d'une part, une procédure rapide et efficace, mais non publique, et, d'autre part, une procédure beaucoup plus longue et complexe. On peut dès lors se demander si toutes les affaires de ce genre ont vraiment vocation à être portées devant la justice pénale, sachant que la transaction n'a absolument rien à voir avec l'amnistie fiscale.

Il faut d'ailleurs souligner que, aujourd'hui, la plupart des dossiers de contrôle fiscaux ne vont pas devant les tribunaux. On ne compte qu'un millier de poursuites pénales environ par an en matière de fiscalité, et 90 à 95 % des affaires douanières se transigent. Encore une fois, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de sanction : si vous connaissez des gens dans votre entourage qui ont fraudé et qui ont été attrapés, discutez-en un peu avec eux ; je vous garantis que, généralement, ils s'en souviennent !

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