Intervention de Charles Prats

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 17 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Antoine Peillon journaliste à la croix charles prats magistrat membre du conseil scientifique du conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques et christian chavagneux journaliste à alternatives économiques

Charles Prats, membre du Conseil scientifique du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques, coauteur de « La Finance pousse-au-crime » :

C'est assez complexe à expliquer, mais, encore une fois, je le redis : aussi bizarre que cela puisse paraître, je ne vois pas de malice politique ou politicienne dans ces choix, qui me semblent plutôt être le reflet de cultures administratives bien ancrées.

Si certains d'entre vous ont déjà été ministres, ils savent sans doute que les administrations ont souvent un fonctionnement relativement autonome par rapport à leur ministre de tutelle. Nous sommes en France et, Dieu merci, l'Etat est impartial et fonctionne de manière continue.

Tous les spécialistes de science administrative vous diront que les administrations, surtout celles qui ont une forte culture, n'aiment pas que l'on vienne marcher sur leurs plates-bandes et défendent leur pré carré. On rejoint un peu l'idée de « guerre des polices » dont nous parlions tout à l'heure. Les policiers n'aiment pas que les gendarmes viennent dans leur jardin. De même, les services fiscaux n'aiment pas que les douaniers, les policiers ou les magistrats empiètent sur leur chasse gardée.

En France, les administrations ont réellement une culture de protection de leur domaine de compétence. C'est ici l'ancien syndicaliste qui vous parle, mais, par expérience, les administrations et leurs agents ont le sentiment que, lorsqu'on commence à s'intéresser de près à leur champ de compétences - comme le faisait par exemple votre collègue tout à l'heure, à travers sa question -, cela annonce de très mauvaises nouvelles pour l'avenir.

J'ai le sentiment que ces phénomènes d'évasion fiscale ont fait l'objet d'un traitement purement fiscalo-fiscal, alors qu'ils auraient pu être appréhendés d'une autre manière, par la voie douanière ou par la voie pénale. Ainsi, il me semble que le dossier des quotas carbone, l'affaire BlueNext, aurait pu être traité très en amont par la voie pénale. L'enquête judiciaire ne sera déclenchée qu'en février ou en mars, alors qu'il aurait fallu, me semble-t-il, ouvrir une information judiciaire pour association de malfaiteurs dès le mois de novembre, comme je l'avais à l'époque indiqué à un enquêteur.

Nous sommes vraiment là au coeur de la culture administrative française, avec ses bons et ses mauvais aspects. On a parfois l'impression que, au lieu d'utiliser intelligemment la diversité et la richesse des compétences et des procédures, en étant capable de changer au besoin de paradigme et, par exemple, d'aborder un dossier fiscal sous l'angle pénal ou douanier, chaque administration s'arcboute sur ses propres compétences et s'efforce de conserver le traitement du dossier.

Les différentes options envisagées à l'occasion du débat sur la création de la police fiscale ont été, à l'époque, assez révélatrices de cette opposition des cultures administratives. Fallait-il un seul service regroupant, à Bercy, la douane judiciaire et la police fiscale, un service autonome placé auprès de la direction générale des finances publiques ou encore un service police-impôts rattaché au ministère de l'intérieur ?

J'ai déjà eu l'occasion, l'an dernier, à l'occasion des Assises stratégiques qui se tenaient à Paris, de communiquer sur ces méthodes alternatives de traitement des dossiers. La présente commission d'enquête parlementaire sur l'évasion fiscale devrait permettre de leur assurer une plus large publicité. Peut-être pourrons-nous alors faire en sorte que toutes les bonnes volontés et compétences présentes dans les différents services soient mobilisées au profit de la lutte contre les fraudes.

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