De nombreux éléments ont déjà été évoqués par mes deux collègues. Je préside la commission d'instruction de la Cour de justice de la République. Je parlerai spécifiquement de cette commission. Je présenterai aussi un avis plus général sur la Cour de justice de la République.
En ce qui concerne la commission d'instruction, celle-ci fonctionne de manière collégiale. Elle est composée de trois magistrats. Nous avons été tous trois élus par nos pairs en assemblée générale de la Cour de Cassation pour une durée de trois ans. Il s'agit pour ma part de mon second mandat. Nous travaillons en complète collégialité. Le point de vue que j'exprime est partagé par mes collègues Bruno Lavielle et Catherine Schneider, conseillers à la chambre criminelle, comme je l'étais jusqu'au mois de décembre 2021.
En préambule, je souhaite indiquer que je serai très prudente et réservée, car je suis avec mes collègues chargée de procédures en cours. A la différence des membres de la commission des requêtes, les membres de la commission d'instruction peuvent faire l'objet d'une procédure de récusation. Je serai très prudente dans mes propos comme peut l'être tout juge, car nous suivons des procédures très sensibles, y compris, et c'est la première fois, contre des ministres en exercice. Vous comprendrez donc mon extrême réserve.
La Cour de justice de la République a été critiquée dès sa création en 1993. Le président Pauthe a rappelé son histoire. Certains affirmaient, dans les milieux politiques et judiciaires, que cette cour ne durerait pas longtemps, car elle posait des difficultés et certains prévoyaient qu'elle serait rapidement supprimée.
De fait, nous sommes toujours là. Est-ce un bien ou un mal ? En 2018, j'ai été entendue par les députés de la commission des lois à l'Assemblée Nationale. J'ai préparé à cette occasion des dossiers et des éléments que je pourrai transmettre au Sénat, car ils sont toujours d'actualité. Les difficultés existent depuis la création de la Cour de justice de la République.
Les juges, en juridiction de droit commun ou devant la Cour de justice de la République, appliquent la loi. La loi organique nous a institués. Elle nous donne des pouvoirs. Elle indique que, la commission des requêtes fait office de filtre et nous saisit. Le parquet doit se plier à la décision de la commission des requêtes. Cette procédure très différente du droit commun est exceptionnelle et très protectrice. Des magistrats du siège prennent la décision des poursuites.
Lorsque nous sommes saisis de dossiers par la commission des requêtes, en passant par le parquet général qui ouvre l'information, nous faisons ce que la loi nous permet de faire. La commission d'instruction applique avant tout le code de procédure pénale. Nous lisons bien entendu toutes les critiques formulées par les uns ou les autres sur les décisions que nous avons prises.
Le code de procédure pénale donne la possibilité à la commission d'instruction d'entendre les témoins, de se transporter dans différents lieux, de faire des perquisitions, de délivrer des commissions rogatoires à la police ou à la gendarmerie pour l'assister dans l'exercice de sa mission. Nous accomplissons les mêmes actes qu'un juge d'instruction de droit commun, car la loi nous le permet.
Je tiens à préciser que tous les actes que nous effectuons, toutes les décisions que nous prenons, peuvent être contestés par la voie d'un pourvoi devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation. Nous sommes donc soumis à un contrôle. Nous ne sommes pas des juges « hors sol » qui n'auraient aucun compte à rendre. Lorsque des personnes sont mises en examen, comme peut le faire un juge d'instruction, en application des critères prévus par le code de procédure pénale, une procédure permet de contester cette mise en examen. Cette procédure existe pour les juges de droit commun et pour la CJR. La commission d'instruction applique la loi et utilise les possibilités que lui donne la loi.
Je souhaite aussi évoquer la question abordée par mes collègues de la double saisine. La plupart des dossiers dont nous sommes saisis, y compris à l'heure actuelle, donnent lieu à une double saisine. Nous travaillons certes en collaboration avec les juges de droit commun mais cette situation est problématique car cette double juridiction, cette double instruction, nous placent dans une situation difficile. Nous avons besoin pour instruire les dossiers aussi bien des éléments de droit commun que des éléments relevant de la Cour de justice de la République.
Le témoignage d'une personne mise en examen devant la CJR pourrait être intéressant devant les juges de droit commun, mais comment demander à une personne mise en examen devant la Cour d'être entendue par la juridiction de droit commun comme témoin, où elle devra prêter serment de dire toute la vérité ? Elle sera obligée, si elle respecte son serment, de s'auto-incriminer, ce qui pourra se retourner contre elle devant la Cour de justice de la République, ou l'inverse. Vous avez compris cette difficulté, ce qui fera l'objet de la proposition que je vous soumettrai en fin d'exposé.
Cette juridiction est souvent critiquée, car elle est lente. Vous avez entendu parler de l'affaire appelée à tort « l'affaire Karachi »...