Intervention de Henri Sterdyniak

Commission spéciale sur le PJL croissance et activité — Réunion du 18 février 2015 à 15h05
Audition de M. Pierre Cahuc professeur à l'école polytechnique membre du conseil d'analyse économique M. Jean Pisani-ferry commissaire général de france stratégie M. Henri Sterdyniak directeur du département économie de la mondialisation de l'ofce et M. David Thesmar professeur à hec membre du conseil d'analyse économique

Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation de l'OFCE :

Je vous remercie de votre invitation. Permettez-moi de prendre, pour commencer, un peu de recul. L'économie française a été frappée, avec l'ensemble de l'économie européenne, par deux catastrophes macroéconomiques. En premier lieu, l'impasse du système du capitalisme financier, qui s'est soldée par la crise de 2007, avec les conséquences que l'on sait, en particulier la croissance massive du chômage. En second lieu, notre engagement dans une zone euro dont la gouvernance n'est pas assurée et qui s'est lancée dans une stratégie de réformes structurelles assortie d'une politique d'austérité qui s'est révélée ravageuse. Nous n'avons pas su trouver de stratégie cohérente à l'échelle européenne : la croissance très faible, l'augmentation du chômage, les déséquilibres persistants, les conflits entre pays, les pressions à la mise en oeuvre de réformes structurelles et à la diminution de la dépense publique nous placent dans l'impasse.

La France, face à cela, a le choix entre deux stratégies. Soit être aussi bête que les autres, si je puis ainsi m'exprimer, et accepter sans broncher l'augmentation à tout prix de la rentabilité des entreprises, fût-ce au prix d'effets négatifs sur la demande, et le creusement des inégalités, fût-ce au prix de la cohésion sociale. La loi Macron n'emprunte heureusement pas ce chemin. Soit entreprendre de changer l'Europe, pour mettre en place une autre stratégie à l'échelle de l'Union européenne, défendant le modèle social européen et engageant la transition écologique. Malheureusement, nous n'avons pas su le faire, si bien que nous en sommes réduits à prendre une série de mesures hétéroclites qui ne sont pas du tout à la hauteur du problème. Ce n'est pas la création des quelques 20 000 emplois qu'on en attend qui nous sortira de l'impasse.

Cette loi est, de fait, un patchwork de mesures disparates, les unes dirigistes, et qui entrent même dans un détail risible ne relevant en rien de la loi - créer des parkings à vélos dans les gares routières, augmenter le nombre d'inspecteurs pour réduire les délais de passage du permis de conduire -, les autres marquées du sceau d'une inspiration libérale très contestable. J'ajoute que ce texte, qui touche à des domaines très variés, depuis le travail jusqu'à l'écologie, est porté par le seul ministre de l'économie, ceux du travail, de la justice, des transports, du commerce restant en retrait. Si bien que l'on peut craindre que les préoccupations économiques ne l'emportent sur les autres.

Sans doute est-il utile de libéraliser le transport en autocar, mais il ne faut pas en attendre des miracles. Souvent, les lignes transversales ne sont pas rentables ; les régions les subventionnent déjà. Quant au développement des grandes lignes comme Paris-Strasbourg ou Paris-Lille, il signe un retour en arrière : ceux qui n'ont pas les moyens de prendre le TGV seront transportés dans de moins bonnes conditions. Mieux vaudrait, à mon sens, remettre à plat la politique tarifaire de la SNCF.

Étendre les missions de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires en en faisant une Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières est sans doute une bonne chose, mais la question reste posée des contrats passés avec les sociétés d'autoroutes. On peut s'interroger sur la capacité de l'État, des collectivités territoriales, des hôpitaux à signer des contrats avec de grandes entreprises dont les compétences juridiques, fiscales et techniques sont bien supérieures aux leurs. J'en veux pour preuve cette clause stupéfiante qui protège les sociétés d'autoroutes des évolutions de la législation fiscale. Comment les services de l'État ont-ils pu signer un tel accord ?

L'injonction structurelle à renforcer la concurrence dans le commerce est bienvenue, mais il aurait fallu renforcer corrélativement, en amont, les moyens de l'Autorité de la concurrence, pour contrer la concentration des centrales d'achat qui pèse sur les producteurs.

Il est légitime de s'attaquer aux rentes professionnelles réglementées et aux inégalités de revenu qui se sont récemment aggravées en France, et qui affaiblissent la demande, nourrissent la volatilité financière, favorisent des activités parasitaires dans la finance et le droit au profit de l'optimisation fiscale et des montages financiers qui nuisent à l'activité productive. Mais le projet ne va sans doute pas assez loin ; beaucoup dépendra des décrets. En ce qui concerne les professions réglementées, la question n'est pas tant de la concurrence que de la fixation des tarifs par les pouvoirs publics. Et contrairement à ce qu'avance le ministre, je ne pense pas que ce soit dans ce secteur que l'on développera massivement l'emploi des jeunes. Il y a quelque contradiction, au reste, à vouloir tout à la fois y réduire les coûts et en faire des secteurs porteurs pour l'emploi des jeunes. Il est des activités juridiques parasitaires, touchant, notamment, à l'optimisation fiscale, qu'il faut s'employer à réduire plutôt qu'à y attirer les jeunes. Les professions de notaire, de mandataire social, de greffier sont loin, de mon point de vue, d'entrer dans la catégorie des professions d'avenir.

L'article sur la vente à la découpe est particulièrement préoccupant. On comprend mal que cette disposition fasse figure de priorité pour le Gouvernement et les parlementaires. Au lieu d'aller vers la suppression des niches fiscales et sociales, voilà qu'on en reconstitue ! Ainsi des dispositions relatives à l'attribution d'actions gratuites. Alors que le dispositif fiscal en vigueur, qui sépare clairement le régime qui s'applique à la rémunération du travail et celui qui s'applique aux plus-values, est satisfaisant, voilà que l'on mélange les deux en prévoyant que les gains sur ces actions seront taxés comme des plus-values mobilières. C'est une niche difficilement acceptable. De même pour certains plans d'épargne salariale, qui bénéficieront d'un taux réduit de forfait social, au rebours de la logique qui était suivie jusqu'à présent d'élargir ce forfait pour en arriver à taxer toutes les rémunérations extra-salariales à 20 %.

Autre sujet d'étonnement, la privatisation de Giat Industries, qui deviendra une société franco-allemande... à statut néerlandais. C'est encourager les pays qui offrent, en Europe, des statuts particuliers, quand il faudrait, au rebours, militer en faveur d'une harmonisation des règles.

J'en viens au travail du dimanche, dont tout le monde a ici reconnu qu'il ne créera guère d'emplois. Il perturbera, en revanche, la vie familiale. Les travailleurs du commerce sont pour beaucoup des femmes qui élèvent seules leurs enfants. Comment prétendre que tout se passera sur la base du volontariat ? Qui ira déclarer, face à un employeur, qu'il ne souhaite pas travailler le dimanche, sachant que cela peut nuire à son embauche ? En tout état de cause, il est clair que ce n'est pas cette mesure qui fondera la croissance. Elle justifierait, en revanche, un haut niveau de compensation salariale. Si une entreprise estime qu'il est rentable d'ouvrir le dimanche, elle devrait augmenter la rémunération de ces journées de moitié. Je regrette que le texte écarte la question.

En ce qui concerne les Prud'hommes, on sait qu'une grande partie des délais tient au fait que les entreprises font systématiquement appel. C'est contre cette tendance à freiner la procédure qu'il conviendrait de lutter. J'ajoute que l'introduction d'une procédure participative par laquelle le salarié renoncerait à une action aux Prud'hommes ne va pas dans le bon sens.

Dernier sujet d'insatisfaction, enfin : alors que de plus en plus d'entreprises sont intégrées à des groupes, il est regrettable que lorsqu'une entreprise est en difficulté et met en place un plan de sauvegarde de l'emploi, son groupe soit exonéré de toute obligation de lui porter secours. Il eût fallu réaffirmer la responsabilité du groupe au lieu de la dégager, comme le fait ce texte.

Au total, ce projet de loi comporte bien quelques éléments positifs : amélioration de la concurrence dans le commerce, possibilité de contraindre les actionnaires qui ne souhaitent pas s'engager dans la sauvegarde d'une entreprise de vendre leurs actions, notamment. Reste que l'on est loin du texte historique qui répondrait aux besoins de l'économie française en l'acheminant vers la transition écologique et la mobilisation pour le made in France cher au ministre de naguère. Je terminerai en disant qu'il faut certes rassurer les investisseurs, mais aussi les salariés, en leur donnant plus de place dans la décision.

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