Sur l'essentiel, je suis d'accord avec mes collègues : les curseurs vont dans le bon sens, mais le texte n'agira qu'à la marge.
Il penche parfois du côté de l'ultra-réglementation, qui peut se révéler contre-performante. Un exemple : les actionnaires qui ne voudraient pas remettre au pot pour la sauvegarde de l'entreprise pourraient être obligés de vendre - mais à quel prix ? Quand on entre ainsi dans le détail, on comprend que l'on s'engage dans une surréglementation de nature à figer les choses.
Faut-il voir dans cette loi une réforme pédagogique qui enclenchera un processus vertueux ou un texte qui voudrait que l'on puisse s'en tenir là au motif que l'on a coché les bonnes cases, et préparerait donc l'immobilisme ?
La vérité est que sans mandat présidentiel, on ne fait pas de grandes lois. Sous la précédente mandature, le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, le bouclier fiscal ont été votés parce qu'il s'agissait d'engagements de campagne.
Ici, on s'en tient à des modifications cosmétiques, faites pour servir une entreprise de communication politique. Une parodie de libéralisation, servie par des figurants de tous poils. Le recours au 49-3 est, de ce point de vue, une aubaine pour le Gouvernement, qui cimente la posture réformatrice qu'il entend se donner. Une posture qui prépare l'immobilisme, car c'est simplement le moyen de relâcher la pression de Bruxelles sur la procédure de réduction des déficits. Il n'y aura pas, autrement dit, de réforme de l'État, donc de la fonction publique, qui restera pléthorique et paupérisée. Et le président-candidat pourra, en 2017, annoncer aux électeurs de centre-droit qu'il a changé et qu'il est à la tête d'un parti de réformateurs libéraux.
Il me semble difficile que le Sénat se rende complice d'une réforme de ce genre. Le Gouvernement déclare s'engager dans la réforme libérale ? Prenez-le au mot, nous avons des propositions à vous faire. Il faut le pousser à aller plus loin. Jean Pisani-Ferry n'a pas dit autre chose.
Nous avons trois séries de propositions à vous soumettre. La première a trait à l'emploi. Alors que la France compte entre 3,5 et 5,5 millions de chômeurs, jeunes et vieux, pour l'essentiel non qualifiés, il est clair que le retour à l'emploi passe par une action sur le coût du travail. C'est là ce qu'attendent les entreprises. Il s'agit de réfléchir à des dispositifs autorisant des rémunérations plus flexibles. La régionalisation du Smic, comme cela était le cas jusqu'en 1968, fait partie des pistes. Avec un même montant, on vit chichement à Paris, beaucoup mieux dans le Limousin. Autre piste : approfondir le statut d'auto-entrepreneur, très populaire, et qui permet à des jeunes d'entrer sur le marché du travail.
Notre deuxième série de propositions a trait à la réforme de l'État. Avec Augustin Landier, nous avons mené, pour l'Institut Montaigne, un travail analogue à celui qu'avait conduit Thomas Piketty dans les années 1990 (M. Jean Desessard s'amuse). Il s'est agi de mesurer ce que seraient les gisements d'emplois en France si sa structure de coûts était celle des États-Unis. Moyennant quoi il apparaît, comme cela était déjà le cas dans le travail de Thomas Piketty, que l'hôtellerie-restauration et le commerce pourraient constituer d'énormes gisements d'emploi. Si le ratio par habitant était le même qu'aux États-Unis, nous aurions 2,5 millions d'emplois en plus. La différence est évidemment liée au coût du travail. L'autre écart significatif réside dans les domaines de la santé, de l'action sociale et de l'éducation : un gisement de 1,2 million d'emplois supplémentaires. Nous sommes là dans le périmètre d'action de l'État. Si la France ne s'appuie pas sur ces leviers, cela tient au monolithisme hérité du passé : le privé est réduit à la portion congrue pour laisser sa place au public.
Notre troisième série de propositions a trait aux politiques industrielles. On peut être libéral tout en reconnaissant certaines limites au marché. En France, on a laissé le soin aux collectivités territoriales et aux sociétés privées de développer la fibre optique. Or, cela ne peut fonctionner, tant sont nombreuses les externalités : c'est à l'État d'agir, parce qu'il s'agit d'un bien public, qui a un impact majeur sur la compétitivité. Son développement pourrait passer par des contrats de délégation de service public ou de concession.