Nous arrivons au terme de nos travaux, entamés en février dernier. Votre audition, madame la directrice, devrait nous permettre de répondre à de nombreuses questions.
Pensez-vous que le malaise exprimé par une partie de la profession policière rejaillit sur l'activité de l'IGPN ? Ses missions de contrôle sont-elles perçues par les agents de la « base » comme moins légitimes, comme une remise en cause plus difficilement acceptable ?
Quelle appréciation portez-vous sur l'exercice du management au sein de la police nationale, très différent de celui de la gendarmerie ? Nos auditions ont révélé une césure entre les corps, l'existence d'un esprit de caste et la disparition progressive d'un certain esprit « maison ». Sur ce dernier point, l'IGPN est souvent pointée du doigt : il semble qu'une ambiance de suspicion règne au sein de la police et qu'une partie de l'encadrement cherche systématiquement à « ouvrir les parapluies » quand les agents estiment nécessaire de prendre des risques pour exercer leur mission...
Pouvez-vous nous dire quelques mots de la « politique du chiffre » ? Les policiers que nous avons auditionnés sous serment nous ont donné des versions très différentes : pour certains, une telle politique n'a jamais existé ; pour d'autres, elle n'existe plus depuis l'époque de M. Cazeneuve ; pour d'autres enfin, elle existe encore.
Cette politique du chiffre ne passe pas nécessairement par des gratifications financières, mais peut-être par des exigences de reporting parfois excessives et souvent chronophages, comme le montre un rapport de l'IGPN de juillet 2017. Quelle est votre analyse ?
Je voudrais ensuite vous interroger plus précisément sur l'esprit de caste que j'évoquais à l'instant. Il existe une vraie césure entre les trois corps : un général de gendarmerie parle d'un gendarme auxiliaire ou d'un brigadier comme d'un camarade ; j'ai rarement entendu un commissaire ou un membre de la préfectorale parler d'un gardien de la paix comme d'un collègue...
Les rapports publiés par l'IGPN au cours des dernières années sur l'organisation de la formation font le constat d'un éclatement des structures de formation et d'un manque patent de stratégie. Quelles seraient les pistes d'amélioration ? Faut-il renforcer la formation initiale ou améliorer la formation continue pour ajuster les connaissances à la réalité du terrain ? La formation ne peut-elle être une bonne occasion de brasser les corps ? Peut-on commander sans avoir partagé, à un moment de sa carrière, la condition de ses subordonnés ?
Pouvez-vous rappeler les différentes mesures prises ces dernières années pour améliorer le contact police-population, notamment en matière de respect de la déontologie ? Le port de caméras individuelles, par exemple, a montré ses effets bénéfiques : d'abord difficilement acceptées par les agents, elles sont aujourd'hui bien comprises comme un moyen de protection contre les mises en cause injustifiées... et contre les éventuels dérapages. Elles rassurent aussi les supérieurs et donnent aux magistrats des éléments tangibles.
Les recrues, logiquement, ont les traits de la jeunesse d'aujourd'hui. Leur savoir-vivre n'est pas celui de leurs aînés... Alors que la formation initiale a été raccourcie à six mois, est-on en mesure de leur apporter des notions en ce domaine ? Sauront-ils les appliquer lorsqu'ils seront affectés, par exemple, dans la première ceinture parisienne ?
L'IGPN a mis en place en 2013 un signalement par les citoyens des éventuels abus commis par les agents de police. Quel bilan peut-on en tirer ? Est-il désormais largement accepté par les policiers ?
Quel est le bilan de l'élargissement aux signalements en interne, pour lutter contre le harcèlement et les discriminations ? Cela existe partout, y compris dans la police. Nous avons recueilli des témoignages saisissants de personnes acculées à des tentatives de suicide.
Quelle est la doctrine du ministère et de l'IGPN sur le manquement au devoir de réserve, le manquement à l'obligation d'obéissance, l'atteinte à l'image et au crédit de la police nationale ?
Les policiers qui ont exprimé leur colère l'ont fait hors champ syndical. À l'évidence, les syndicats n'ont pas entièrement rempli leur fonction de revendication collective et de dénonciation des difficultés d'exercice du métier. Peut-être sont-ils placés en porte-à-faux par le système de cogestion mis en place dans les années quatre-vingt...
Toujours est-il que nous nous sommes rendu compte que les dénonciations des « policiers en colère » étaient en deçà de la réalité ! Ils ont été interrogés par vos services ; on leur a reproché de révéler les carences internes et les faiblesses du système, c'est-à-dire de la hiérarchie, de l'exécutif et même du Parlement, qui accorde aux forces, de plus en plus sollicitées, des moyens insuffisants.
Certes, les procédures ne sont pas allées plus loin, mais on est surpris d'entendre régulièrement des représentants syndicaux décrire à la télévision des faits qui ne devraient être révélés que par le parquet ou par la hiérarchie policière, en accord avec le parquet, sans qu'il soit donné suite. En revanche, les policiers de base qui se plaignent de rouler dans des voitures ayant plus de 200 000 kilomètres au compteur, de l'absence d'une réponse pénale adaptée ou de travailler dans des locaux absolument dégradés que nous avons vus se voient reprocher de manquer à leur devoir de réserve. Je souhaiterais donc connaître la doctrine de l'IGPN et du ministère de l'intérieur en la matière.