L'Inspection générale a un regard global sur l'institution. Les différentes actions qu'elle mène, revues en 2013 à l'occasion de la fusion entre l'Inspection générale des services et l'Inspection générale de la police nationale, lui permettent d'observer la maison « police ».
Nous n'avons pas voulu que cette fusion se traduise par la simple addition de deux corps d'inspection, mais nous permette de disposer d'une inspection plus moderne, plus transparente, plus ouverte. En sus des missions traditionnelles d'enquête judiciaire et administrative, d'audit et d'inspection, nous avons développé des missions complémentaires d'appui et de conseil. Nous nous déplaçons ainsi dans des services en difficulté ou en réorganisation pour aider le management à assumer ses responsabilités.
L'ensemble de ces observations nous permet de disposer d'une vision globale et de souligner non seulement les lacunes et les faiblesses de notre institution, que je ne nie pas, mais également sa force et sa résilience.
Vous souhaitez tout d'abord savoir si le malaise exprimé récemment par les policiers rejaillit sur nos relations avec les services. On pourrait penser que oui, dans la mesure où le policier est aujourd'hui remis en cause de manière systématique par l'usager, par l'opinion, par les médias et par son administration. On peut imaginer que cette situation pèse aujourd'hui plus qu'hier sur son moral.
Le policier est exposé à un triple risque : physique, juridique et médiatique. Il peut donc avoir le sentiment de passer son temps à se justifier devant l'administration, devant l'autorité judiciaire ou devant les autorités indépendantes de contrôle.
Pourtant, assez paradoxalement, je ne constate aucune remise en cause de notre légitimité. Je ne dis pas qu'on nous aime, et ce n'est d'ailleurs pas mon souhait. J'attends seulement du respect, ce qui se gagne par du professionnalisme, par de l'éthique de responsabilité et par de l'objectivité. C'est tout le sens de la charte des valeurs dont la nouvelle Inspection générale s'est dotée en 2013.
L'IGPN s'inscrit depuis plusieurs années dans la dynamique d'accompagnement que j'évoquais à l'instant. Plus dans une dynamique d'aide et de soutien que dans une dynamique de contrôle pur. Nous avons inscrit dans notre feuille de route cette mission d'appui et de conseil pour sortir de l'image traditionnelle du « boeuf-carottes ».
Selon moi, tout corps d'inspection doit travailler pour que l'institution qu'il sert fonctionne mieux. On peut distribuer les bons et mauvais points depuis sa tour d'ivoire, mais une inspection a aussi pour rôle d'aller vers les services et les agents et de faire oeuvre de pédagogie. Tout cela est inscrit dans la feuille de route de l'IGPN à la rédaction de laquelle ont participé tous nos agents.
Nous avons créé des structures innovantes et développé une approche différente, basée sur l'autocontrôle des services, à travers une nouvelle structure dénommée Amaris - améliorer la maîtrise des activités et des risques. Les services peuvent aujourd'hui être les acteurs de leur contrôle.
Nous avons davantage donné la parole aux agents. Nous ne nous contentons pas, lors d'un audit, de rencontrer le préfet, le procureur, les élus et les grands chefs des services. Nous allons également voir les agents pour connaître leur avis. Nous avons d'ailleurs systématisé le recours aux questionnaires.
En cas de différence fondamentale entre la position des échelons centraux et celle du terrain, il nous est arrivé de réussir à tordre le bâton et à faire oublier certaines idées qui semblaient bonne au premier abord, mais qui ne résistaient pas à l'expérience du terrain.
Nous essayons de privilégier la pédagogie plutôt que la sanction. C'est la raison pour laquelle nous développons, depuis trois ans, les alternatives aux poursuites disciplinaires : quand un agent fait une erreur - et non une faute - qui n'a pas de conséquence lourde, nous préférons, en lieu et place de sanctions qui ne sont pas comprises, organiser un entretien bilatéral. Nous reprenons avec lui la situation sur tous les plans - juridique, éthique, déontologique, réglementaire... - pour faire évoluer les choses.
En général, à l'issue de l'entretien, l'agent nous remercie : il a compris ce qui s'est passé et adaptera sa réaction la prochaine fois qu'il sera confronté à la même situation.
J'espère que ces changements auront fait évoluer notre image et que les agents préfèrent voir l'IGPN mener les enquêtes plutôt que les services de déontologie. S'ils savent que nous sommes sévères, tout en étant équilibrés, nous offrons la garantie d'une appréciation de la situation fondée sur le droit et sur l'expertise et non sur la morale, par essence subjective et conjoncturelle. Je vois dans le fait que des agents souhaitent régulièrement nous confier les enquêtes une marque de respect pour le travail accompli.
Nous n'avons quasiment pas été saisis des « policiers en colère ». Nous l'avons été une première fois, à propos de manifestations réalisées à Paris avec des véhicules de police, toutes sirènes hurlantes. Nous avons alors rencontré Mme Biskupski et M. Lebeau : avant l'audition classique, nous nous sommes entretenus sur les droits et devoirs des policiers dans le cadre des manifestations auxquelles ils participent. Le magistrat administratif chargé de mission à l'IGPN leur a rappelé les règles : le droit de manifester est constitutionnel, mais on ne manifeste pas n'importe comment. Au cours de son audition, M. Lebeau a d'ailleurs remercié le magistrat administratif de l'information qu'il lui avait donnée.
Deux autres enquêtes ont eu lieu sur les mêmes personnes, à la demande du préfet de police et du directeur général de la police nationale. L'IGPN a fait le tri entre les déclarations qui pouvaient tout à fait se justifier de la part d'une présidente d'association régulièrement déclarée et celles qui constituaient une entorse au devoir de réserve.
Nous avons fait notre travail de manière équilibrée, en nous basant sur le droit. Nous avons proposé une sanction du tout premier groupe, à savoir un avertissement, ce qui ne me semble pas complètement disproportionné.
Le management est un sujet qui me préoccupe depuis fort longtemps. Le management est toujours décrié, il n'est jamais adapté, il est toujours à côté de la plaque. Bref, c'est toujours la faute du chef, ce qui n'est pas tout à fait anormal dans notre institution hiérarchisée, où tout descend du haut. Le poids des cultures fait que les problèmes viennent toujours d'en haut, à tous les niveaux - il ne s'agit pas que de la base. Bien évidemment, plus le chef est haut placé, plus il est responsable.
Quand on s'adresse directement aux agents, ils expliquent toujours que leur chef, lui, est bien. C'est un peu partout le même discours : « les choses vont mal, mais pas si mal que ça dans notre service »... Je pense, encore une fois, que ce discours n'est pas réservé à un certain niveau de hiérarchie, mais qu'il s'agit d'un discours assez général. Cependant, j'aime objectiver les choses et savoir dans quel service ça ne va pas et pourquoi.
Cette remontée d'information bottom-up est un véritable enjeu pour la maison police. L'administration a beaucoup de mal à le faire, tout comme les syndicats, qui ont calqué leur organisation sur celle de l'administration.