Mon témoignage doit être croisé avec celui d'autres observateurs. Dans les tribunaux implantés dans des zones où la délinquance est importante, lorsqu'une interpellation sur la voie publique se déroule difficilement, la personne interpellée a presque systématiquement tendance à porter plainte contre les forces de l'ordre pour violence. Les Parquets, de manière critiquable, affichent fréquemment une forme de neutralité par rapport aux deux parties en cause et demandent une enquête. Cette démarche est éprouvée, par les forces de l'ordre, comme un harcèlement conduisant également à l'embolisation de la machine judiciaire. Ainsi, le Parquet ne veut pas être suspecté de privilégier le policier par rapport au justiciable et se défausse. J'ai pu constater, lors d'une affaire que j'ai plaidée, ce type d'agissement lors d'une interpellation. Devant le tribunal, le Parquet qui avait demandé la comparution immédiate du policier à l'origine d'une interpellation ; celui-ci n'ayant été relaxé que par la Cour d'appel de Paris ! De telles pratiques induisent d'autres effets néfastes à la sécurité publique, en dissuadant les policiers de sortir de leurs véhicules pour effectuer des contrôles sur les personnes.
J'ai actuellement deux dossiers intra-police de harcèlement où je défends des supérieurs hiérarchiques mis en cause par des personnes qui connaissent de gros problèmes de carrière. Ce phénomène est-il différent de ce que l'on constate dans le secteur privé ? Ces accusations de harcèlement relèvent d'un phénomène de société. Cependant, toute plateforme de dénonciation suppose la mise en oeuvre préalable de filtres solides.
Par ailleurs, les outrages doivent être distingués de la rébellion. Les premiers s'inscrivent tellement dans le quotidien des policiers que ceux-ci relativisent le fait d'être insultés. La rébellion, qui implique, quant à elle, la violence physique, est un acte d'une plus grande gravité. Cette tendance à la banalisation des insultes est dramatique et participe à la disruption du lien social.
Les codes de déontologie ont été réécrits. L'exercice de la force légitime, qui incombe à nos forces de sécurité, est extraordinairement responsabilisant et implique de réfléchir aux éventuelles atteintes aux libertés. Si le rappel à la déontologie est normal, il est, en revanche, difficile pour les policiers sur le terrain, de conserver, face à la violence croissance, leurs repères, tant il leur faut parfois supporter en permanence les agressions. Ainsi, à Notre Dame des Landes, une compagnie est demeurée 11 heures sans être relevée, avec un taux de blessés de 10 %. Que serait-il advenu si celle-ci était entrée en contact avec les Zadistes ?
Je suis très partagé sur le port du matricule qui peut être à l'origine de dépôt de plainte. Mais, dans le même temps, il permet de rappeler que les forces de sécurité intérieures sont comptables de leurs gestes vis-à-vis des citoyens.
Je suis résolument pour la caméra-piéton individuelle. Les policiers peuvent, à première vue, la recevoir comme une marque de défiance, mais une fois expliqués ses avantages réels, ils en reconnaissent les avantages. D'ailleurs, un certain nombre de policiers, dans les brigades anti-criminalité notamment, ont déjà pris l'initiative d'installer leurs propres caméras personnelles. Aux États-Unis, le port de ces caméras a conduit à l'effondrement des plaintes à l'encontre des policiers. La généralisation de tels instruments sera bénéfique, à la condition toutefois de faire oeuvre de pédagogie.
Sur la légitime défense, je parle aux élèves des écoles de police ainsi qu'aux officiers en formation continu. S'il n'y a pas encore de jurisprudence des tribunaux relative à la loi du 28 février 2017, des décisions de classement ont déjà été prises par le Parquet. Le Législateur a bien fait d'aligner les statuts tout en confortant la nécessité de la proportionnalité. Cette démarche aide le magistrat, déconnecté de la réalité de terrain, à mieux raisonner sur la situation concrète. Les sommations changent la règle du jeu, puisqu'elles permettent de clarifier la situation. Lors de l'intervention dans un contexte nécessairement confus, ce que les militaires appellent le « brouillard de la guerre », certains individus peuvent s'avérer menaçants, sans pour autant donner des signes d'attaques. La sommation permet de clarifier cette situation, entre la reddition et l'usage de la force. Cependant, s'agissant de ce nouveau cadre légal, les alinéas 3 et 4 de l'article 435-1 du code de la sécurité intérieure manquent de précision, quant aux personnes qui fuient ou aux véhicules en fuite. L'appréciation du danger est-elle intrinsèque à la personnalité du délinquant ou à la situation elle-même ? La loi ne définit pas l'imminence du danger en tant que telle.