Intervention de Jean-Paul Garcia

Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage — Réunion du 3 avril 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Paul Garcia directeur de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières au ministère de l'économie et des finances

Jean-Paul Garcia, directeur de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières au ministère de l'économie et des finances :

C'est un plaisir et un honneur pour moi de venir parler devant vous de la lutte contre les produits dopants.

Je suis chef de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), créée en 1935 au sein de la douane, pour travailler sur la matière douanière, après que le dédouanement ait été effectué et les marchandises distribuées dans le pays, ainsi que sur des marchandises qui seraient entrées dans le pays en contrebande

Depuis 1988, la DNRED comporte trois directions. La première est la direction des enquêtes -dont le travail pourrait être assimilé à des vérifications fiscales. Il s'agit de contrôler les marchandises après dédouanement afin de s'assurer de la conformité des déclarations à la réalité de leur introduction.

La seconde direction est celle du renseignement douanier dont la spécificité consiste à donner une dimension stratégique au traitement du renseignement et de travailler essentiellement sur des sources ouvertes.

Enfin la troisième direction, celle des opérations, a pour but de travailler sur la contrebande, qui constitue la réalité des fraudes douanières les plus importantes. À l'inverse de la direction du renseignement, la direction des opérations douanières travaille plutôt sur des sources humaines, la douane, depuis 1791 -date du premier code des douanes- ayant la possibilité de rémunérer les informations qu'elle reçoit.

C'est la principale source de renseignements de la Direction des opérations, la plus importante de la DNRED : sur un total de 717 emplois en 2013, 450 environ appartiennent en effet à la Direction des opérations douanières. Elle est aussi la seule des trois directions à posséder un maillage territorial correspondant aux régions. Nous avons 23 implantations, dont quatre dans les trois départements des Antilles et à Saint-Martin. Nous ne possédons cependant pas d'implantations dans l'Océan indien, que ce soit à La Réunion ou à Mayotte.

La DNRED appartient à la Direction générale des douanes. Je rapporte donc au directeur général des douanes. Elle est aussi l'une des dix centrales de renseignements, au sens du Livre blanc de 2008, avec les deux directions militaires que sont la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) DCRI, et TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins).

Le Service national de la douane judiciaire (SNDJ) n'appartient pas à la DNRED. Toutefois, depuis octobre, il en partage les locaux, à Ivry, dans un immeuble que nous avons étrenné le 31 octobre dernier. Le SNDJ est à la fois notre voisin et notre partenaire. La DNRED n'agit que sur le fondement du code des douanes et de certains autres codes, à l'exclusion du code de procédure pénale. Le SNDJ, composé d'agents que nous appelons officiers des douanes judiciaires, qui sont en réalité des officiers de police judiciaire (OPJ), n'agit que sur le fondement du code de procédure pénale.

De la même façon, alors que DNRED est toujours en position infrajudiciaire ou ajudiciaire et utilise ce pouvoir de transaction prévu par le code des douanes, le SNDJ ne peut être saisi que par un magistrat et ne dispose d'aucune faculté d'autosaisine. Il existe donc une collaboration naturelle entre la DNRED et le SNDJ. Beaucoup d'affaires sont abordées selon une procédure douanière ; lorsqu'il y a matière à poursuivre une telle affaire au niveau judiciaire, nous procédons de diverses manières, parfois sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, en appelant l'attention d'un magistrat, qui aura la faculté de saisir le SNDJ. Dans la plupart des cas, nous le lui suggérerons avec tout le tact nécessaire...

Les 700 agents de la DNRED se voient fixer un certain nombre d'indicateurs et de cibles par le ministre du budget, traditionnellement chargé des douanes, aux termes du code des douanes. Nous avons la particularité, depuis ce dernier Gouvernement et l'alternance de 2012, d'avoir trois ministres de tutelle, le ministre de l'économie et des finances, le ministre du budget -notre ministre naturel- ainsi que la ministre du commerce extérieur.

Notre action est fondée sur le code des douanes et nos indicateurs concernent au premier chef la lutte contre le trafic de stupéfiants, la lutte contre le trafic de tabac sous toutes ses formes, et en particulier celui des cigarettes, la lutte contre le trafic de contrefaçons.

Un des indicateurs réside également dans le montant des droits redressés. La Direction des enquêtes douanières joue un rôle important dans le redressement des droits et taxes perçus, à raison de mouvements transfrontaliers des marchandises.

Enfin, la capacité de la Direction du renseignement douanier à irriguer l'ensemble des services douaniers de renseignements directement opérationnels constitue un autre indicateur et permet des saisies de marchandises.

La DNRED est également l'un des fournisseurs d'informations pour l'organisation du premier dispositif de contrôle douanier qu'est le ciblage des marchandises. C'est notamment au sein de la DNRED que l'on détermine les critères qui permettront aux différents services d'assurer un ciblage des marchandises. Il faut savoir qu'aujourd'hui, une opération d'importation d'une marchandise dans l'Union européenne à travers la France ne nécessite que quatre minutes en moyenne.

Sur une opération aussi rapidement réalisée, le contrôle est le plus souvent voisin de zéro. On compense donc la surveillance humaine par des critères que l'on introduit dans la machine, celle-ci sélectionnant des marchandises sensibles en raison des trois critères douaniers que sont l'espèce, l'origine et la valeur au moment de l'entrée sur le territoire de l'Union européenne.

Néanmoins, il peut y avoir des différences de sensibilité par rapport à certains produits dans les divers pays de l'Union européenne : les pays récemment adhérents, les pays frontaliers de nations particulièrement exposées à la fraude ou à la fabrication de produits frauduleux, les pays plus axés sur le commerce que sur la protection de quelques industries ont des soucis et une approche du contrôle douanier sensiblement différente du nôtre.

À cet égard, la douane française et, singulièrement, la DNRED, disposent d'une capacité à contrôler les produits sur le territoire, d'où qu'ils viennent, y compris de pays de l'Union européenne. C'est le cas des produits qui nous occupent aujourd'hui. Nous abordons, au sein de la DNRED ou de la douane française, les produits dopants par le biais des législations concernant les médicaments, produits soumis à une législation spécifique. À ce titre, nous qualifions, dans le code des douanes, les produits soumis à une législation spécifique de produits prohibés. La prohibition vient de la législation spécifique ou du non-respect de cette législation spécifique. Dans le cas des produits dopants, ce sera essentiellement ou le plus souvent une approche par la voie des médicaments ou des produits stupéfiants. Un médicament qui entre sans autorisation de mise sur le marché (AMM) est un produit stupéfiant, que nous saisissons.

L'article 38-4 du code des douanes qualifie cette prohibition d'infraction portant sur un produit prohibé et sanctionné par l'article 414 du code des douanes, le seul de ce code prévoyant une peine de prison.

Nous disposons également de l'article 215 et de son corollaire, l'article 215 bis, qui permettent le contrôle sur le territoire de produits cités dans une liste exhaustive, où figurent les médicaments et les produits prohibés et, en particulier, les produits dopants.

Ceci explique que le contrôle des produits dopants s'effectuera essentiellement sur les vecteurs de transport. J'introduis ici la surveillance que nous exerçons sur Internet, l'un des vecteurs de commande et de négociation des produits dopants étant bien évidemment Internet, qui permet dans des conditions de tranquillité et de relatif anonymat, en se mettant à l'abri du contact avec d'autres personnes, de passer commande. Une commande passée sur Internet devant se traduire par une livraison, la douane intervient en matière de surveillance par Internet.

C'est ce que fait la DNRED, dans une structure appelée Cyberdouane, de veille sur Internet, qui s'intéresse aux cibles que j'ai citées : stupéfiants, tabac, contrefaçons, mais également à tous les autres produits, notamment aux médicaments et aux produits dopants.

L'appréhension du produit lui-même s'effectuera en fonction du vecteur de distribution, au moment où ce produit entre sur le territoire -essentiellement par voie aérienne, fret express ou colis postal, aérien également, ou encore par le biais des passagers- grâce à l'article 215 relatif au contrôle de la circulation sur le territoire.

Les contrôles effectués dans les aéroports et dans les centres douaniers postaux s'effectuent sur la base de critères ; à ce titre, la DNRED, à travers la direction du renseignement douanier, aura son rôle à jouer puisqu'elle centralise l'ensemble des saisies effectuées non seulement en France, mais encore à l'étranger, en Europe et, au-delà, dans le réseau d'assistance administrative mutuelle douanier développé depuis fort longtemps sur les instances de l'Organisation mondiale des douanes (OMD).

Ces critères seront également utiles aux agents des centres douaniers postaux ou des centres de contrôle du fret express pour sélectionner certaines marchandises. Bien entendu, on y introduira le nom de produits connus, mais aussi celui de médicaments qui n'ont rien à voir avec ces produits et qui sont d'excellents produits de couverture. Dernièrement, des cargaisons de boules Quies se sont avérées être des cargaisons de produits dopants, déclarées comme produits destinés à interrompre les sons !

Tout ceci se traduit par la rédaction d'avis de fraudes. On a également introduit depuis peu, à l'échelon européen ou communautaire, l'Important control system (ICS), qui permet de combiner les critères de sûreté et de sécurité destinés à couvrir notre trafic avec les États-Unis avec d'autres critères de sélection destinés à la lutte contre la fraude. C'est également la direction du renseignement douanier qui y travaille et qui introduit des éléments concernant, par exemple, les produits dopants.

Le thème des produits dopants est ancien. Dans les années 1980, on effectuait aux frontières de la France, en particulier avec l'Espagne ou des pays qui n'étaient pas encore ou à peine dans l'Union européenne, des contrôles sur des produits vétérinaires ou autres. Aujourd'hui, il existe des produits bien plus sophistiqués. Les pays de fabrication se sont rapprochés. Le premier pays d'importation est aujourd'hui la Thaïlande, suivi immédiatement après de la Slovaquie, de la Grèce, membres de l'Union européenne, de la Moldavie, frontalière d'un pays de l'Union européenne, de la Roumanie. Ces pays ont aujourd'hui développé une solide compétence de fabrication de produits dopants et irriguent notre pays.

Je placerais également les hormones de croissance dans le paquet commun des produits dopants, d'un prix très élevé et donc d'une très grande rentabilité. La Chine, qui produit aujourd'hui des hormones de croissance, trouve en France une clientèle parmi les sportifs, les culturistes et autres.

En conclusion, les produits dopants ne sont pas, pour nous, une cible ministérielle -je répugne à le reconnaître. Cela signifie que les efforts que nous faisons ne sont pas à la hauteur de ce que nous faisons sur les produits stupéfiants, le tabac ou la contrefaçon. Néanmoins, c'est un sujet important pour nous ; nous avons créé, il y a quelques années, au sein de la direction du renseignement douanier, un observatoire du médicament dont une partie du temps est consacrée à appréhender le problème des produits dopants. Il est à l'origine de partenariats en Europe et à travers le monde, nous permettant de mieux suivre les filières et les réseaux qui, pour nous, existent assurément.

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