Intervention de Dorian Martinez

Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage — Réunion du 3 avril 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Dorian Martinez psychologue spécialisé dans le sport chef de service du numéro vert national écoute dopage de 1998 à 2011

Dorian Martinez, psychologue spécialisé dans le sport :

Je suis psychologue spécialisé dans le champ sportif et titulaire d'un diplôme d'études appliquées (DEA) de philosophie et d'un diplôme universitaire (DU) de droit pénal. Je suis également fondateur de Sport Protect.

J'ai commencé ma vie professionnelle en 1998, dans le cadre du numéro vert national Écoute Dopage, piloté par le ministère des sports. Je suis devenu assez rapidement chef de service de ce numéro vert, que j'ai quitté en 2011.

Je m'appuierai donc aujourd'hui dans mon exposé sur 7 000 appels pertinents reçus durant cette période. Tous les sports sont cités, tous les niveaux et quasiment tous les âges -même si les jeunes adultes sont les personnes a priori les plus concernées par la question du dopage.

En 1999, j'ai créé un site Internet appelé Dopage.com, qui a reçu depuis plus de trois millions de visiteurs et, en 2005, Sport Protect, entreprise innovante basée à Montpellier, qui a initié un programme de labellisation sur les compléments alimentaires, afin de sécuriser la consommation des sportifs, notamment de haut niveau.

Mon intervention portera sur trois sujets : le malaise que j'ai ressenti durant ma carrière, ce qui explique selon moi son origine et, enfin, les perspectives simples qui pourraient être mises en oeuvre, s'il existe une volonté de réduire le dopage et de protéger les sportifs...

Ce malaise prend corps lorsque des sportifs sont flashés à 58 kilomètres/heure, alors que les tricheurs roulent à 250 kilomètres/heures avec des antiradars ! Nous avons reçu beaucoup d'appels ou de messages de sportifs qui n'ont pas eu l'impression d'avoir enfreint une règle et se retrouvent contrôlés « positifs » à l'Actifed ou à cause d'un complément alimentaire frelaté. Ils ne comprennent pas et voient que d'autres, comme Lance Armstrong, passent à travers les mailles du filet.

Il existe également un malaise quand 74 % des professionnels de santé, essentiellement médecins et pharmaciens, se disent incompétents en matière de dopage, ou quand 60 % des personnes ayant obtenu des substances interdites incriminent leur propre médecin. Je vous communiquerai les études qui viennent appuyer ces propos. Des sportifs de très haut niveau, au rugby, au football ou au basket, contrôlés positifs, affirment dans la presse que c'est le médecin du club qui leur a prescrit ce médicament !

Il y a également malaise quand un grand nombre de médias confondent dopage et contrôle positif. C'est une nuance importante. On le voit avec la reprise médiatique des chiffres publiés par l'AFLD : Françoise Lasne ne parle pas de sportifs dopés, mais de contrôles positifs, ce qui est totalement différent : on peut être contrôlé positif sans jamais avoir voulu se doper, au même titre que l'on peut se doper sans jamais être contrôlé positif. Dans les deux cas, c'est d'ailleurs la majorité des situations !

L'ambiguïté médiatique relayée et reprise par les réseaux sociaux, très puissants aujourd'hui, crée un malaise dans l'opinion publique qui commence à penser que dès qu'il y a performance, il y a dopage.

Il y a malaise quand les acteurs de prévention qualifient la moindre prise de produits de « conduite dopante », terme que j'ai moi-même déjà utilisé... « Courir à l'eau claire », phrase reprise régulièrement, n'est pas une expression réaliste. Un sportif de haut niveau qui « court à l'eau claire », selon les épreuves, met sa santé en danger. Il ne peut en être question, même au nom de la lutte antidopage. Je ne préconise pas de prendre des produits dopants, mais il existe une nuance. L'alimentation et le repos font partie des préconisations à respecter.

Ce terme de « conduite dopante » n'aide pas le sportif à se repérer, car tout devient dopage et l'on juge alors une intention.

L'éducation demeure très importante. Dans le cas de produits autorisés, mais inappropriés à un jeune de dix ans qui prendrait des protéines, plutôt que de parler de conduite dopante, on parlera plus volontiers de « conduite nocive de performance ». C'est beaucoup plus clair et efficace. Le malaise provient du fait que la limite entre le dopage et le non-dopage n'est pas clairement établie.

Bien que j'adhère à la quasi-totalité des propos du docteur de Mondenard, qui est pour moi un historien du dopage, ceux-ci me gênent lorsqu'il affirme que la prise de caféine constitue du dopage. Il peut dire que la caféine devrait être considérée comme un produit dopant et devrait entrer dans les listes, mais il n'en demeure pas moins qu'au sens de la loi, la prise de caféine ne constitue pas du dopage. Si on ne tient pas un discours clair aux sportifs, on brouille le message.

Le docteur de Mondenard affirme, d'autre part, que les sportifs se dopent depuis toujours ! Ce n'est pas vrai ! Ils se dopent depuis 1965 ; auparavant, il n'existait pas de loi en la matière ! Ils amélioraient leurs performances à l'aide de produits, pouvaient mettre leur santé en danger, mais ils ne se dopaient pas. Il est très important que la loi ait du sens. Ne pas y prêter attention peut être très dommageable !

Certains ministres, ici même, ont eu du mal à définir le dopage. Quelques-uns ont estimé que c'était aux médecins de répondre. Si les ministres eux-mêmes n'y parviennent pas, imaginez la difficulté pour les sportifs, notamment de haut niveau, qui doivent faire la différence entre ce qui est dopant et ce qui ne l'est pas !

Pourquoi tant de problèmes ? La loi ne protège pas les sportifs, je le dis de manière provocatrice. La liste des interdictions établie par le code mondial antidopage, reprise en France par décret, est censée constituer la boussole des sportifs : on ne doit surtout pas consommer ces substances, ni les retrouver dans les organismes. Cette loi est complexe. Certaines substances sont illisibles. Qui plus est, la liste en est modifiée chaque année.

Les conditions d'utilisation évoluent chaque année : on a connu des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT), abrégées, allégées, etc. J'ai mis longtemps à m'apercevoir que celles-ci ne sont faites que pour les contrôleurs. Certains sportifs, notamment rugbymen, ont été récemment contrôlés positifs, alors qu'ils avaient consommé de la codéine ; or, cette substance ne fait pas partie de la liste. Cependant, une fois dans l'organisme, elle peut se métaboliser en morphine et vous pouvez donc être contrôlé positif à cette substance ! Cette liste d'interdictions n'est pas une liste de ce que ne doit pas consommer le sportif, mais la liste de ce que l'on ne doit pas retrouver dans son organisme -ce qui est totalement différent !

Bien sûr, les sportifs sont, malgré tout, censés connaître la loi, tout comme les professionnels de santé et les industriels spécialisés dans les compléments alimentaires.

Quand on travaille avec les sportifs, on ne rencontre jamais de substances, mais des médicaments. Il en existe environ 25 000 en France, dont 3 500 contenant des substances pouvant positiver un contrôle, notamment des médicaments d'usage courant -Actifed, Humex Rhume, etc.

Selon une étude de 2001, dont les chiffres ont donc augmenté depuis, entre 15 et 25 % des compléments alimentaires destinés aux sportifs contiennent des substances interdites, qui ne sont pas forcément mentionnées sur l'emballage du produit.

La loi est donc complexe et les pièges nombreux. Pourtant, les sportifs ont des besoins légitimes : comment se soigner et s'alimenter sans risque ? Ce sont là les deux grands défis de la protection des sportifs dans les années à venir. En conséquence, les sportifs ne se sentent pas et ne sont pas protégés.

La suspicion est à présent généralisée... On rencontre cependant cinq catégories de sportifs différents... Certains ne savent pas que le cannabis est considéré comme un produit dopant et se retrouvent contrôlés positifs. D'autres pratiquent l'automédication, pour un mal de tête par exemple, avec des conséquences parfois dramatiques. Des erreurs de prescription peuvent également survenir : aujourd'hui, il existe en France douze Actifed différents, dont quatre contiennent une substance pouvant positiver un contrôle ! Un pharmacien peut ainsi estimer que ces médicaments ne posent pas de problème... Par ailleurs, certains sportifs consomment des compléments alimentaires. Enfin, il existe bien évidemment des tricheurs.

Selon un chiffre qui n'a rien d'officiel, environ 80 % des contrôlés s'avèrent être positifs par négligence ou inadvertance. Si l'on reprend les chiffres de Françoise Lasne, il y aurait deux cas de dopage lourd avéré sur les vingt-deux cas qu'elle a présentés, soit 90 %.

Faut-il changer la loi ? On pourrait a priori l'estimer. Tel n'est pas le cas ! On peut établir une analogie entre la prévention routière et la législation antidopage, à une nuance près : il manque à cette dernière les panneaux de signalisation !

Il faut donc poser des panneaux, mais lesquels ? Nombre de fédérations, de clubs ou de structures de haut niveau ont diffusé la liste des interdictions, mais c'est inutile : on n'y comprend rien ! C'est comme si la prévention routière affichait, au bord de la route, des panneaux recevant des hiéroglyphes !

Les messages de prévention ou moralisateurs ne servent à rien -même si je suis bien évidemment favorable à la morale et aux valeurs.

En l'état, forcer les chaînes de télévision à diffuser des messages de prévention ne fera qu'augmenter le malaise.

En outre, ces campagnes coûtent extrêmement cher aux pouvoirs publics. Si un produit est interdit, on doit pouvoir avoir accès à cette information de manière claire, simple et précise. Sans panneaux pertinents, il est impossible d'apprendre à conduire avec la meilleure loi au monde !

Pour finir, quelques mots de Sport Protect, entreprise innovante qui travaille dans le domaine de la protection des sportifs. Elle a été sélectionnée par le Centre européen des entreprises innovantes, bénéfice du statut de jeune entreprise innovante et est éligible au crédit d'impôt recherche. Elle est également certifiée ISO 9001 pour l'ensemble de ses activités, notamment la labellisation antidopage de produits nutritionnels et la création d'outils innovants pour l'information et la protection des sportifs.

Nous avons investi 470 000 euros en recherche et développement, avec une équipe pluridisciplinaire composée d'un pharmacien, d'un ingénieur chimiste, une ingénieure qualité et de moi-même, psychologue.

Nous travaillons avec un laboratoire universitaire, des ingénieurs informatiques et des designers. Le message est important, mais la façon de le faire passer l'est tout autant.

L'objectif, en créant ce programme de recherche et développement, était de réaliser des outils et des dispositifs qui puissent être compris et utilisés par un enfant de dix ans. Aujourd'hui, un enfant de dix ans qui utilise nos applications est mieux armé qu'un médecin de Ligue 1 ou un sportif pour vérifier si un médicament peut positiver un contrôle. Cela peut également lui permettre de savoir si un produit nutritionnel est conforme à la norme AFNOR NF V94-001, certifiée tierce partie, et de connaître les règles élémentaires afin d'éviter la mort subite, cause de 600 morts par an. Même si une telle situation n'est pas forcément liée au dopage, il s'agit d'un paramètre important. Cela peut également permettre de connaître les règles élémentaires liées à l'éthique des compétitions, notamment par rapport aux paris sportifs et de poser, si besoin est, une question à un expert. Cette application est adaptée aux smartphones et à Internet.

Certains sportifs l'utilisent déjà, comme Romain Barras, qui explique qu'il consulte Sport Protect dès qu'il a un doute sur un médicament. Il confie avoir confiance en son médecin, mais que cela ne l'empêche pas de vérifier. Ce dispositif ne pousse pas à l'automédication -loin de là- mais à l'autovérification.

Un directeur technique national (DTN) de la Fédération française de pétanque utilise également ce dispositif pour protéger, grâce à des éléments très concrets, 54 sportifs de haut niveau afin qu'ils aient accès à l'information.

Un médecin de la jeunesse et des sports utilise aussi Sport Protect et incite ses collègues à faire de même, afin que les médecins ne soient pas le maillon faible de la prévention du dopage.

Nous avons réalisé des applications destinées à protéger les sportifs amateurs et les événements sportifs, grâce à un dispositif simple, utilisé par l'ultra-trail du Mont Blanc (UTMB) : tous les participants reçoivent un mot de passe et peuvent accéder à l'information un mois avant la compétition. En cas de problème, l'organisateur peut prouver qu'il a rempli son devoir d'information. La course n'est donc pas en cause si un sportif est déclaré positif, mais ce dernier qui a failli. Ceci est très important...

Ce dispositif peut également protéger les clubs sportifs qui sont démunis malgré les chartes contre le dopage.

Il existe aussi des applications expertes, notamment pour protéger les sportifs de haut niveau qui reçoivent des alertes. Nous en avons envoyé une il y a environ une semaine, les joueurs du Top 14 ayant évoqué un complément alimentaire contenant des substances dopantes.

Ces applications expertes sont également destinées aux clubs sportifs professionnels, aux ligues et aux fédérations.

Nous avons par ailleurs développé des bornes interactives pour protéger les centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (CREPS) et les pôles sportifs, équiper les acteurs de prévention, les institutions, les collèges et les lycées. Je vous invite, le 25 avril prochain, à participer à l'inauguration de la première borne Sport Protect au CREPS de Montpellier. Ces bornes présentent l'avantage de rendre palpable la prévention du dopage, souvent très abstraite chez les sportifs.

De tels dispositifs permettent de sécuriser l'ensemble du sport français en huit jours et ainsi de protéger les sportifs efficacement et concrètement, de réduire les contrôles antidopage par inadvertance de 80 %, de protéger les événements sportifs, de sécuriser les prescriptions médicales, d'anéantir les excuses et les marges de manoeuvre des tricheurs, sur lesquels on exerce une pression, de crédibiliser la lutte antidopage, en réduisant considérablement les dépenses publiques !

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