Intervention de Daniel Loisance

Mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Le Professeur daniel loisance membre de l'académie nationale de médecine

Daniel Loisance, membre de l'Académie nationale de médecine :

Certainement pas. Il faut arriver à un système qui concilie véritablement liberté d'innover et sécurité des malades. On doit pouvoir y arriver.

Il est fondamental de revoir toutes les règles de l'évaluation in vitro. La plupart sont très anciennes et ne correspondent pas aux contraintes imposées par les nouveaux matériaux et par ceux que nous utiliserons demain et qui feront appel aux nanoparticules ou à un mélange cellulaire. Les standards ISO ne sont plus adaptés à ce type de produits tout en continuant à imposer des tests dont la pertinence est discutable. Il faut faire un grand ménage dans ces règles qui datent des années 1975 à 1990. La médecine et la science ont beaucoup évolué depuis. Le même raisonnement est applicable aux cas de l'évaluation in vivo chez l'animal et chez l'homme. Il faut également faire en sorte que ces règles ne soient pas manipulables selon les dispositifs médicaux en fonction de considérations politiques.

La plus grande difficulté concerne l'évaluation humaine. La France est frappée d'une terrible maladie qui consiste à ne pas vouloir regarder les faits, mais plutôt à vouloir les faire parler en fonction d'idées préconçues. En France, l'évaluation n'existe pas en médecine. Les procédures d'accréditation ne font pas de l'évaluation mais de la politique. Il est urgentissime de développer une culture de l'évaluation. Chaque médecin devrait être conscient qu'il doit évaluer le résultat de ses interventions. Ni les services hospitaliers, ni les hôpitaux ne sont évalués. L'étalon de mesure de la qualité est l'enquête réalisée par le magazine Le Point, qui n'a aucun fondement scientifique. Il faut former les médecins à l'évaluation et leur fournir les outils informatiques adaptés et les techniciens d'études cliniques nécessaires pour vérifier que tous les dossiers sont correctement remplis. Ce système d'information doit aussi être plus convivial que ceux qu'on utilise aujourd'hui ! Un chirurgien sérieux ne peut pas connecter son logiciel d'évaluation au réseau informatique de l'administration hospitalière car c'est interdit ! Pour un chef de service de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (APHP), recruter un technicien informatique s'apparente à une mission impossible. J'ai eu la chance d'avoir, attachée à mon service, une unité de recherche du CNRS, ce qui me permettait de surmonter ces difficultés administratives. Tous ne sont pas dans une situation si privilégiée qui habilite à engager les dépenses indispensables à la réalisation d'une bonne évaluation.

A ce titre, l'exemple anglais est très parlant. Il y a quelques années, le scandale de Bristol avait révélé une surmortalité très importante dans le service de chirurgie cardiaque pédiatrique. La réaction française aurait été de changer de chirurgien. Les Anglais ont cherché à comprendre les causes de cette situation et ont découvert un dysfonctionnement systémique majeur au sein de l'hôpital, malgré le talent du chirurgien. De toute évidence, il existe de nombreuses situations de ce type en France, mais aucun moyen de les identifier. En réaction à cette tragédie, l'évaluation a été rendue obligatoire en Angleterre. Désormais, moins de trois ans après la mise en place de ce système de surveillance de l'activité médicale, les chiffres de mortalité et de morbidité de chaque service hospitalier, de chaque chirurgien ou de chaque classe pathologique sont consultables en ligne en fonction de critères précis, âge des patients ou facteurs de risque.

Grâce à un tel outil d'évaluation continue, les dérapages sont immédiatement perceptibles. J'en parle avec d'autant plus de certitude que j'en ai moi-même fait l'expérience. Avec des financements obtenus à travers mon équipe de recherche, j'avais mis en place un tel système dans mon service, reposant sur une base de données recensant près de 10 000 malades suivis entre 1998 et 2010. Chaque matin je pouvais surveiller l'évolution de l'activité de mon service et identifier les problèmes en observant différents indicateurs de performance. C'est ainsi que j'avais, par exemple, pu détecter un taux anormalement élevé de complications chez un chirurgien au cours d'une période de trois semaines et l'expliquer. Tant qu'un tel mécanisme n'aura pas été généralisé le système ne sera pas efficace.

Pour le dispositif médical, avec un système de ce type, et dès lors que chaque dispositif aura été doté d'un identifiant, il sera possible de savoir immédiatement si l'un d'entre eux est responsable d'une surmortalité, d'un taux anormalement élevé de complications infectieuses, de réhospitalisations ou de complications en général.

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