Prenons l'exemple d'un service qui aurait un taux de médiastinite, d'infection du thorax après une chirurgie cardiaque, tellement important qu'il ne peut plus le gérer. Dès qu'un malade présentera des signes de cette infection, il sera transféré dans un autre service et ne sera donc pas comptabilisé comme une complication infectieuse imputable au service d'origine. Celui qui aura, dans les faits, le taux de complications le plus élevé aura, dans le suivi statistique, le taux le plus bas.
En ce qui concerne les registres en cardiologie, il faut préciser qu'ils ne sont pas obligatoires mais volontaires. Lorsqu'une complication peu avouable intervient chez un patient, le dossier ne sera pas déclaré. Les registres non contrôlés fournissent une vue toujours beaucoup plus favorable que la réalité.
Les procédures d'accréditation prennent très peu en compte les résultats des patients, bien moins en tout cas que le respect des procédures. Un indicateur communément utilisé est celui de la consommation de fioles de solution hydroalcoolique, afin d'évaluer la lutte contre les infections. Il ne prend malheureusement pas en compte le fait que le personnel soignant peut être tenté d'en détourner un certain nombre pour un usage personnel. Une évaluation mal faite est donc trompeuse : ici, la consommation de produit désinfectant est déconnectée de la réalité.
L'évaluation telle qu'elle doit être faite n'est pas celle qui est faite aujourd'hui, et c'est bien là le coeur du problème. La surveillance des médicaments et des dispositifs médicaux ne poserait aucun problème si on disposait de dossiers de suivi. On ne sait malheureusement pas de quoi on parle, et les autorités sont incapables de dire exactement combien de prothèses PIP posent problème.
La réglementation a bien tenté de s'adapter à cette situation. Ainsi, il nous avait été demandé de recenser et de suivre tous les porteurs de prothèses valvulaires. C'est facile à dire, mais il ne faut pas oublier que, chaque année, 10 % de la population française déménage. Le même problème se pose lorsque des études sur des cohortes de malades sur cinq, dix ou vingt ans sont réalisées. Celle que je suis en train de réaliser, sur le suivi de porteurs d'une prothèse valvulaire très particulière, concerne 3 000 personnes. Bien que deux secrétaires s'y consacrent pleinement, 12 % de cette population reste introuvable. Je ne dis pas que de telles études ne sont pas faisables, au contraire, mais qu'elles sont très difficiles à réaliser.
Tout cela est parfois décourageant. La surveillance d'une prothèse valvulaire donnée, comme la valve Mitroflow, utilisée de 1980 à 1990 et faite à base de péricarde bovin, en est l'illustration. Elle avait, en théorie, beaucoup d'avantages. Le dossier était bien fait, les autorisations ont été délivrées et elle fut utilisée. Pourtant, il est vite devenu évident que cette prothèse avait un taux de dysfonction primaire inacceptable. Au sein de mon service, la vigilance ainsi que la surveillance des malades ont été accrues. Après dix ans, la quasi-totalité d'entre eux avaient dû être réopérés ou étaient morts pour d'autres causes. La conséquence nous apparaissait claire : surtout ne plus jamais utiliser cette valve. Pourtant, alors que nous publiions nos résultats, une étude allemande aux conclusions diamétralement opposées est parue. Nous sommes sortis renforcés d'une analyse très précise de leurs chiffres. Les Allemands ne voulaient tout simplement pas voir le problème : ils manipulaient les statistiques et se livraient à des interprétations douteuses des données.
La vérité est l'objectif ultime, mais on ne la trouve pas dans les publications. Elle est dans l'analyse des faits et des chiffres ; on l'obtient avec une base de données bien faite si on accepte de ne pas tricher.