Je suis directeur du cyclisme chez Amaury Sport Organisation (ASO) depuis le 1er février 2007. De janvier 2004 à janvier 2007, j'étais adjoint et successeur potentiel de Jean-Marie Leblanc, après une carrière de journalisme professionnel. Le journalisme est et demeurera le métier de ma vie. Le directeur du Tour a quasiment toujours été un journaliste : un jour, mon nom est sorti du chapeau et j'ai dit oui à Patrice Clerc et Jean-Marie Leblanc qui me proposaient cette fonction, avec l'assentiment de Philippe Amaury.
Mes dix-huit années de journalisme se sont déroulées à la radio et à la télévision essentiellement. Je suis devenu finalement, au sein de France Télévisions, rédacteur en chef des sports. En tant que journaliste, j'ai couvert cinq Tours de France, deux pour Europe 1 en 1995 et 1996, et trois pour France Télévisions de 2001 à 2003.
Les sociétés organisatrices de compétitions cyclistes sont atypiques dans le monde du sport, puisqu'elles ont souvent été l'émanation de journaux sportifs. Le Tour de France a été créé par le journal L'Auto, celui d'Italie par la Gazzetta... Le Tour des Flandres, le Paris-Nice et d'autres courses doivent également leur existence à des journaux.
Les fédérations nationales et internationales détiennent le pouvoir réglementaire et sont maîtres du calendrier. Dans le cyclisme, les seuls événements directement organisés par les fédérations sont le championnat de France, au plan national, et les championnats du monde, organisés par l'UCI. Il est vrai que l'on n'imaginerait pas une coupe du monde de football qui ne soit pas organisée par la Fifa ! Les fédérations internationales édictent les règles, contrôlent et sanctionnent le dopage. Le rôle de l'organisateur est de financer et de mettre en place la logistique nécessaire au contrôle, mais sa première tâche est d'établir le parcours, garantir la sécurité et la logistique des épreuves.
Le cyclisme n'est qu'une discipline parmi d'autres au sein d'Amaury Sport Organisation. Nous gérons 100 jours de compétition cycliste par an, du Tour du Qatar féminin en février au Paris-Tours en octobre. Tantôt nous sommes propriétaires des épreuves, tantôt prestataires de services, comme pour le Tour du Qatar ou le Tour d'Oman. En France, nous organisons le Paris-Nice, le critérium international, le Paris-Roubaix, le Tour de Picardie, le critérium du Dauphiné, le Tour de France, ainsi qu'une nouvelle course, la World sports classic, entre Rotterdam et Anvers, et une course en Norvège qui verra sa première édition au mois d'août, la Vuelta. Nous sommes prestataires de services pour le Tour de Pékin. Notre rôle est plus ou moins important selon les courses : parfois, il s'agit juste d'installer les lignes d'arrivée et de départ. Pour le Tour de France, établir le parcours d'une édition, « livrer une course » dans notre jargon, nécessite trois ans de travail, en permanence au contact des élus et des collectivités.
Notre rôle d'organisateur nous conduit à prendre en charge les personnes chargées du contrôle du dopage : deux équipes de trois médecins préleveurs sur le Tour de France et les commissaires de l'UCI, qui viennent voir si tout se passe bien...
Nous n'avons aucun lien direct avec les coureurs, nos partenaires sont les équipes. Le Tour de France figure dans le classement mondial, le World Tour. Cela signifie que certaines équipes sont qualifiées d'office pour les épreuves. Au total, dix-huit équipes sont sélectionnées par la fédération internationale. Il reste quatre équipes à sélectionner pour l'organisateur, et même trois seulement cette année, l'UCI n'ayant pas réussi à évincer l'équipe russe Katoucha comme elle le voulait initialement.
L'organisateur ne s'en intéresse pas moins au dopage, qui est le problème numéro un du sport de haut niveau. En 2007, lorsque je suis devenu directeur du Tour de France, l'Oclaesp a été présente sur le Tour pour la première fois. Le général qui dirigeait la gendarmerie française m'avait alerté à l'automne 2006 : « il faut protéger le Tour ». Concrètement, six personnes de l'Oclaesp suivent le Tour pendant trois semaines et une dizaine sont mobiles, se déplaçant avec les équipes.
L'année 2008 a été particulière, à cause de la bagarre avec l'UCI. Grâce au soutien du président de la FFC, Jean Pitallier, le Tour de France est sorti du canevas international, s'est placé sous l'égide de la FFC, l'AFLD étant chargée des contrôles. Une réussite formidable, pour certains. D'un point de vue de l'efficacité de la lutte, cela ne fait pas de doute. Mais sur le plan médiatique, c'était autre chose ! À chaque fois qu'un coureur était pris sur le fait, les commentateurs n'y voyaient pas une victoire des organisateurs du Tour dans la lutte contre le dopage, ils nous administraient un coup de bâton !
En 2008, le groupe a pris la décision de mettre fin à la guerre. Les amoureux du vélo me disaient : « vous êtes fous dans le cyclisme, non seulement vous avez le dopage, mais en plus, vous vous tapez dessus ! » La paix a été scellée. Puis est arrivé le passeport sanguin : sans être la panacée, il a fait avancer les choses, au point que l'athlétisme et le ski de fond l'ont adopté, et la fédération française de tennis tout récemment. C'est un outil essentiel pour cibler et sanctionner. Quelques cyclistes ont été ainsi écartés, pas forcément les meilleurs, soit dit en passant.
En mars 2009, nous avons gagné devant le tribunal des affaires de sécurité sociale : nous ne voulions de l'équipe Saunier Duval au départ du Tour de France. Nous avons en revanche perdu devant le tribunal de grande instance de Nanterre dans l'affaire Tom Boonen, ce cycliste sanctionné pour avoir fumé un joint. Deux ans plus tôt, nous avions perdu en justice face à l'équipe Astana.
Lors de la présentation du Tour en octobre 2012, j'ai insisté sur le rôle clé des managers d'équipe. Certains sont formidables, mais s'agissant d'autres, je dirais que le poisson pourrit par la tête... On parle de changement de génération : mais le problème, ce n'est pas le coureur ! Tant que les managers et les médecins ne seront pas poursuivis, rien n'avancera. C'est pourquoi j'ai parlé du Mouvement pour un cyclisme crédible, dont les membres appliquent des règles plus strictes que celles du code mondial antidopage. J'ai aussi annoncé que nous n'inviterions à nos courses que des équipes membres du mouvement...
Nous souhaitons qu'un organisme véritablement indépendant gère l'antidopage, avec à sa tête des personnalités qui n'ont rien à voir avec le cyclisme. En outre, la règle doit être identique dans tous les pays et pour tous les cyclistes. Toutes les initiatives sont vouées à l'échec si un pays agit seul. Les coureurs français du mouvement pour un cyclisme crédible sont soumis à certaines obligations. Les étrangers d'autres équipes, comme les Néerlandais d'Argos, s'y soumettent parce qu'ils l'ont choisi. Aux autres, il est impossible de leur reprocher : ils respectent le code mondial.
L'Oclaesp, les gendarmes, la police et les douanes ont un rôle essentiel. Mais des progrès notables sont intervenus ces dernières années : ils ne sont plus les seuls à débusquer les tricheurs, le pouvoir sportif lui aussi identifie des coupables. Enfin, nous n'arriverons à rien sans l'aide des laboratoires. Nous avons besoin de gens qui détectent les nouveaux produits.