Intervention de Francesco Gaeta

Mission d'information Sous-utilisation des fonds européens — Réunion du 25 juin 2019 à 14h00
Audition de Mm. Francesco Gaeta et salvatore serravalle secrétaires généraux adjoints des affaires européennes

Francesco Gaeta, secrétaire général adjoint aux affaires européennes :

Si la sous-consommation des fonds européens est peut-être moins effective que ne le laissent penser les ressentis sur les territoires, certains éléments risquent de devenir des éléments chroniques d'inefficacité. C'est en cela que le terme de « chronique » présent dans l'intitulé de votre mission d'information est intéressant. On constate actuellement une remontée du taux de consommation et du taux de paiement. Mais cette tendance positive est liée à un rattrapage que l'on retrouve dans chaque programmation. Dès lors, n'est-il pas possible de mieux anticiper afin de réduire au maximum celui-ci ?

La deuxième difficulté récurrente consiste à la fois dans l'accès aux fonds et le fait de trouver des porteurs de projets. Ces deux phénomènes, qui peuvent paraître contradictoires, reposent sur une même base : la difficulté à programmer les fonds en fonction des besoins ou à définir les capacités des territoires à porter ces projets. En effet, les programmes doivent traduire une réalité de terrain. On constate d'ailleurs, dans certains pays, une dynamique de programmation fondée sur des « projets ombres » - shadow projects : il s'agit de projets préexistants pour lesquels on trouve les conditions pour les faire financer par les fonds européens. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre ces projets et l'émergence de nouveaux projets issus de la vision que la politique de cohésion doit assigner à un territoire.

Troisièmement, ces projets interviennent dans des domaines extrêmement structurés aux niveaux européen et national. L'articulation entre l'échelon régional, national et européen manque de lisibilité. Je pense à des thématiques comme la transition écologique ou le numérique. Dès lors, il est essentiel de donner aux projets une véritable valeur ajoutée.

Nous avons l'impression, à chaque programmation, d'être confrontés à ces mêmes difficultés. Dès lors, dans la perspective de la programmation post 2020, nous tirons de ce constat cinq besoins : simplification, recentrage, articulation, anticipation et stabilisation.

En ce qui concerne la politique de cohésion, le Conseil et le Parlement européen se sont exprimés en première lecture. Nous sommes désormais dans l'attente des négociations interinstitutionnelles. Les financements, ainsi que certains sujets comme la participation de pays tiers sont dits « entre crochets », c'est-à-dire qu'aucun accord n'a été trouvé. Les négociations interinstitutionnelles ne porteront pas sur ces points qui feront l'objet d'un arbitrage au plus haut niveau. En revanche, les négociations continuent sur des questions de fond et transversales : les règles applicables, le contrôle, l'architecture, etc.

Tout le monde est conscient de la nécessité de simplifier la politique de cohésion, notamment dans son architecture. De très nombreux acteurs interviennent : les autorités de gestion, les autorités de certification, les auditeurs. La question de leur articulation est primordiale. Il y a un besoin pour le porteur de projet et le contrôleur de disposer d'un cadre de critères et d'indicateurs plus simple, pour que celui-ci ne soit pas un outil menaçant l'utilisation des fonds européens. Les modalités de remboursement doivent également être simplifiées. Nous avons porté de manière forte devant le Conseil, mais aussi le Parlement européen, la nécessité de ne pas avoir à redésigner à nouveau les autorités de gestion. En effet, lors de la précédente programmation, cette étape a nécessité énormément de temps - entre deux et trois ans en France. Or, tant qu'elles ne sont pas désignées, on ne peut pas procéder à un appel de fonds. Ces autorités de gestion sont au coeur de la programmation car elles ont la responsabilité de porter les objectifs fixés. Il était donc nécessaire de vérifier qu'elles soient en capacité de le faire d'un point de vue financier, organisationnel et des compétences. En outre, en France, le choix a été fait d'avoir une désignation officielle de ces autorités, selon un certain protocole. Cette désignation a été effectuée par une lettre du Premier ministre, envoyée à chaque président de région. Tout cela a déjà été fait une fois. Dès lors, pour nous, il n'est pas nécessaire de le faire à nouveau pour la nouvelle programmation.

Nous avons également insisté sur la nécessité d'avoir des indicateurs à la fois clairs, simples et en nombre limité.

La dualité entre autorité de gestion et autorité de certification a posé des difficultés importantes. En effet, en France, l'autorité de gestion est soit le conseil régional, soit l'État, dans sa quasi-totalité. La certification est assurée par une direction déconcentrée de la direction générale des finances publiques. Cela a créé une pléthore d'acteurs sur le terrain, illisible pour les porteurs de projets. Pour la prochaine période, la certification a été remplacée par une fonction comptable qui pourra être exercée par l'autorité de gestion, si elle en a les moyens et les compétences.

Nous avons entendu les nombreuses critiques portant sur les audits en cascade de premier et deuxième niveaux. Nous nous dirigeons vers un audit unique qui concentrera les niveaux d'exigence. Toutefois, la pression sera plus forte sur l'autorité de gestion qui devra être plus attentive sur la façon dont les fonds seront utilisés. Mais ces autorités de gestion auront déjà acquis une expérience ; elles seront donc mieux équipées pour y faire face.

Deuxièmement, la Commission européenne porte un recentrage de la programmation. Ainsi, pour le Fonds européen de développement régional (FEDER), la Commission européenne propose cinq grands objectifs stratégiques. Deux questions se posent : la France se reconnaît-elle dans ces objectifs ? En outre, comment répartir les allocations entre ceux-ci ? Les cinq objectifs font référence aux grands défis que l'Europe devra relever ces prochaines années : l'Europe intelligente (l'innovation, le développement des PME et de la stratégie industrielle au niveau local), l'Europe verte (la transition environnementale), l'Europe connectée (le numérique), l'Europe sociale, qui doit être complémentaire du Fonds social européen (FSE), et, enfin, un nouvel objectif : l'objectif territorial. Ce dernier, au travers des grandes thématiques, peut être un outil intéressant pour agir sur les fractures territoriales. En effet, il est nécessaire de prendre en compte les réalités des territoires. Les actions menées ne peuvent pas être les mêmes dans les grandes capitales régionales que dans des régions vastes comportant des territoires en difficulté.

Se pose la question du financement. La France porte la nécessité de concentrer les financements sur les deux premiers objectifs : le développement durable et l'Europe intelligente. La Commission européenne propose des objectifs différents en fonction des catégories de régions : 85 % des fonds sur les deux premiers objectifs pour les territoires développés, dont au minimum 60 % pour l'objectif « Europe intelligente ». Cette valeur plancher est une nouveauté. Pour les régions en transition, la concentration thématique sur les objectifs 1 et 2 est de 75 % avec une valeur plancher pour l'objectif 1 de 45 %. Pour les régions les moins développées, qui, en France, concernent les régions ultrapériphériques (RUP), cette concentration est de 65 % pour une valeur plancher de 35 %. Pour cette dernière catégorie, la France plaide pour davantage de souplesse et souhaite que la concentration sur les deux premiers objectifs soit abaissée à 60 % dans une logique de lutte contre les fractures territoriales. Pour le FSE, 11 objectifs stratégiques ont été identifiés, mais la question de la concentration thématique ne se pose pas de la même manière.

Troisièmement, l'articulation est un sujet central. Comment faire pour arriver à mettre en place une vision pour la France cohérente et efficace afin que les différents niveaux trouvent leur place sans doublon dans la mise en place de politiques transversales ? Il s'agit d'éviter que l'État ou l'Union européenne ne financent de manière concurrente une politique financée par la région. C'est pour cette raison que l'accord de partenariat doit être préparé, en y associant l'ensemble des acteurs dès le début.

Quatrièmement, la thématique de l'anticipation renvoie à l'aspect chronique de certaines défaillances constatées. Nous avons commencé à travailler sur ce point. Il est nécessaire, dès à présent, de réfléchir dans les régions aux futurs programmes, de travailler à l'accord de partenariat et d'accélérer la négociation afin de disposer d'un cadre réglementaire à temps. Certains éléments nous échappent ; mais nous avons la capacité d'agir sur les autres. Ainsi, le SGAE a récemment demandé à l'ensemble des ministres gestionnaires de fonds de mettre en place des plans d'action afin d'améliorer le taux de retour. Nous avions déjà fait ce travail avec le ministère de la recherche afin d'améliorer le taux de retour du programme Horizon 2020. Il était en effet de 10 % seulement. Il est nécessaire d'analyser les raisons pour lesquelles ce taux est si faible.

Il est également nécessaire de travailler sur la conditionnalité. La Commission européenne propose quatre conditionnalités transversales et 16 conditionnalités thématiques. Certains États considèrent ces conditionnalités comme une contrainte excessive. En réalité, elles permettent une bonne utilisation de la programmation. À titre d'exemple, l'une des conditionnalités est la mise en place d'un centre d'expertise sur les aides d'État ou encore un centre d'expertise sur les marchés publics. Il s'agit d'éviter des erreurs et de ne pas laisser les régions seules face à ce qui peut s'apparenter à une aide d'État ou aux règles de marchés publics. Il arrive que les régions soient confrontées à un taux d'erreur important car le marché public n'a pas été bien passé. Pour nous, et nous serons très vigilants sur ce point, ces mesures doivent constituer des outils d'accompagnement des régions, et non des contraintes supplémentaires. Il faut créer un cadre national pour que chaque problème ait sa solution.

Enfin, cinquièmement, sur la stabilisation, le rapport de la Cour des comptes indique la nécessité de conserver le statu quo, à l'exception notable du FEADER. Il n'y a pas encore eu d'arbitrage à ce sujet, mais une chose est sûre : il faut construire sur l'existant. Nous devons conserver ce qui fonctionne bien - et lorsqu'il y a des problèmes, procéder à des modifications, mais sans réinventer un nouveau système. Cela conduirait à des pertes de temps en raison des délais nécessaires. Les régions doivent être confortées dans leur rôle d'autorité de gestion. Elles ont en effet beaucoup investi lors de cette programmation pour s'acquitter de cette tâche.

De manière transversale, il est nécessaire de maintenir l'approche spécifique pour les RUP.

Ces cinq besoins différents que je viens de décliner sont communs à l'ensemble des politiques européennes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion