Intervention de Benoît Hamon

Mission commune d'information sur les rythmes scolaires — Réunion du 30 avril 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Benoît Hamon ministre de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche

Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Madame la Présidente, Madame la Rapporteure, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je serai très attentif au travail qui a été le vôtre. Vous avez dit avoir pu prendre le pouls de tous les acteurs à propos de la question des rythmes scolaires. Ceux avec lesquels j'ai été en contact étaient pour l'essentiel les plus mécontents. Pour ce qui me concerne, j'ai davantage parlé -en particulier à mon initiative- aux élus qui ont manifesté des difficultés et qui, la plupart du temps de très bonne foi, ont émis des interrogations sur la portée des assouplissements que nous envisageons, à partir de la réalité du terrain qui était la leur et la mémoire des expérimentations qui avaient pu être mises en oeuvre avant la réforme Darcos, celle-ci en ayant rendu bon nombre de choses difficiles, voire impossibles.

Je voudrais revenir au point qui fait consensus entre nous : l'école française, notamment primaire, ne remplit plus sa mission aussi bien que nous le souhaiterions tous en matière d'apprentissages fondamentaux ! Ceci se mesure, à l'entrée en sixième, par une dégradation des capacités de nos enfants à maîtriser les apprentissages en matière de calcul, d'écriture, d'expression orale ou de lecture. C'est là une difficulté qui explique le décrochage ultérieur, et le fait que notre pays détienne le record, au sein de l'OCDE, des inégalités sociales.

Le Premier ministre a dit, dans sa déclaration de politique générale, combien le discours politique pouvait s'apparenter, aux yeux de beaucoup de Français, à une langue morte, mais quand la promesse républicaine d'égalité est aussi communément partagée par tous et irrigue régulièrement nos discours politiques, quand pourtant, dans l'école de la République, se niche une reproduction sociale aussi forte, des inégalités sociales aussi dures, au sens où l'origine sociale conditionne le destin scolaire des enfants, la question se pose à tous les élus de la République que nous sommes et, au premier chef, au ministre de l'éducation !

Le travail qui est le mien se concentre d'abord sur le temps scolaire ; mon prédécesseur a eu l'occasion de le rappeler à juste titre. Aujourd'hui, au regard du nombre de jours scolarisés et de la lourdeur des semaines, nous n'offrons pas aux enfants de la République les meilleures conditions d'apprentissage, pas plus que nous ne donnons aux professeurs des écoles les meilleures conditions pour transmettre les connaissances, afin que les élèves, à l'issue de l'école primaire, maîtrisent les apprentissages fondamentaux.

C'est pourquoi, à partir du consensus bâti notamment sous l'impulsion de Luc Chatel, nous avons souhaité mettre en place, sous forme de décret, une organisation du temps scolaire pensée autour de neuf demi-journées et du principe de cinq matinées travaillées. Nous savons en effet que les pics de vigilance de l'enfant interviennent entre 9 et 11 heures le matin ; c'est à ce moment que les élèves sont les plus concentrés et ont le plus de capacités à apprivoiser et à maîtriser les apprentissages fondamentaux.

Près de 4 000 communes et 1,3 million d'écoliers sont aujourd'hui soumis aux nouveaux rythmes scolaires, et nous avons donc pu évaluer le bien-fondé d'un certain nombre de nos choix. Il ne m'appartient pas de juger si les choses se déroulent mal ou non, ou si les arguments sont de bonne ou de mauvaise foi. Il m'appartient de tenir compte de la réalité et de ne pas être dans le déni !

J'espère que les choses pourront se vérifier sur le long terme, au-delà des résistances qui ont pu être exprimées par un certain nombre de professeurs à propos du fait que travailler le mercredi matin modifiait l'articulation entre leur vie professionnelle et personnelle, ou du fait que cela suppose une nouvelle organisation pour certains parents d'élèves. La particularité de l'éducation est qu'elle s'accommode mal du court terme. Il est très difficile, en la matière, d'avoir des résultats au mois le mois. Les professeurs qui ont expérimenté la nouvelle organisation du temps scolaire -sans nier les difficultés ni l'embarras que cela a créé pour certains- reconnaissent, dans leur immense majorité, que l'impact sur la concentration des élèves ayant le plus de difficultés est positif. Au terme de la première année, je me réjouis de constater qu'au-delà des réflexes partisans, les uns et les autres reconnaissent qu'on a là une première mesure positive en matière d'organisation du temps scolaire !

Nous sommes à présent dans la seconde phase, celle de la généralisation. Nous avons voulu tenir compte de la situation des communes qui n'ont ni la même taille, ni la même expérience en matière d'organisation du temps scolaire, ni les mêmes moyens pour mettre en oeuvre les activités périscolaires : une commune de montagne n'est pas une commune du futur Grand Paris ou une commune métropolitaine. Les différences sont assez évidentes.

Nous avons voulu, dans un décret complémentaire au décret initial organisant le droit commun de neuf demi-journées, mettre en place des expérimentations plus adaptées aux réalités de terrain que nous avons constatées, afin que le cadre réglementaire s'adapte à ces expérimentations, plutôt que de s'effacer devant lui.

Ainsi, à Épinal, le maire, M. Heinrich, qui bénéficie d'une expérience considérable en matière d'organisation du temps scolaire, nous a demandé si l'on pouvait, dans l'intérêt de l'enfant, alléger la semaine en réduisant les vacances scolaires. C'est une forme nouvelle d'organisation qui respecte le principe des cinq matinées successives et la lutte contre la désynchronisation, qui est la plus fatale aux apprentissages fondamentaux, sujets sur lequel tous les chronobiologistes s'entendent aujourd'hui.

Le second assouplissement concerne notamment les villes moyennes, les petites villes, ou les intercommunalités. Il s'agit de la possibilité de rassembler l'ensemble du temps périscolaire -dont je rappelle qu'il est facultatif- sur une même demi-journée, l'après-midi. Ainsi, les intervenants pourront éventuellement travailler chaque jour de la semaine dans des communes différentes, l'objectif étant d'alléger les coûts des activités périscolaires par la mutualisation. Cet assouplissement, qui figure dans le nouveau décret, répond d'ores-et-déjà à de nombreuses situations.

Une disposition ne figure toutefois pas dans ce décret, mais dans la circulaire qui accompagne ce texte, qui sera soumise au Comité technique ministériel (CTM) et au Conseil supérieur de l'éducation (CSE) la semaine prochaine : j'ai en effet voulu qu'on prenne plus précisément en compte la situation des écoles maternelles, la distinction entre le temps périscolaire et le temps scolaire n'apparaissant pas évidente dans le cadre de la petite section, par exemple. Elle l'est cependant pour le professeur des écoles, qui ne fait pas le même métier que celui ou celle qui organise le temps périscolaire, les objectifs du premier étant l'acquisition par les enfants de connaissances et de compétences qui s'évaluent sur tout le temps de la maternelle.

Nous avons voulu clarifier les distinctions entre temps périscolaires et temps scolaire, en particulier en matière de temps calme ou de temps de sommeil. Lors des ministères Chatel, puis Peillon, nous avons évoqué les questions de l'intérêt de l'enfant et du temps scolaire. Puis le débat s'est porté sur le thème du temps périscolaire fort légitimement soulevé par les professeurs, les parents d'élèves, et les maires, ces derniers rencontrant parfois des difficultés de financement et d'organisation à ce sujet.

Je voudrais que l'on revienne aussi au sens et à l'objectif de cette réforme, face aux échecs que l'on rencontre parfois -même si le collège et le lycée fonctionnent correctement pour des millions d'élèves. Il existe une réalité de la reproduction sociale et de l'enracinement des inégalités à l'école. Personne ne peut parler à la place de celles et ceux pour qui nous menons cette réforme, sauf les parents, les professeurs et les maires, mais il ne faut pas remettre en cause le progrès incontestable qu'apportera une organisation du temps scolaire permettant une synchronisation des rythmes, dont le bouleversement perturbe les conditions d'apprentissage des plus jeunes.

Je suis père de deux petites filles, dont l'une s'apprête à entrer en primaire, et l'autre en maternelle : beaucoup de Français sont dans le même cas. Distinguer le temps scolaire en maternelle du temps scolaire dans le primaire n'amènera que la désorganisation au sein des familles, qui ont besoin d'homogénéité dans l'organisation du temps scolaire. Il faut en tenir compte...

Pour autant, je ne considère pas que la maternelle ne présente aucune différence par rapport au primaire : nous devons tenir compte d'un certain nombre de spécificités, qui seront notées dans la circulaire qui accompagnera le décret, mais je pense qu'il ne faut pas tenter de régler le problème du primaire sans se préoccuper de la maternelle.

Depuis ma nomination, j'ai pris l'initiative de nombreux contacts avec les associations de maires de grandes villes, de petites villes, les maires ruraux. J'ai interrogé des maires qui ont publiquement exprimé leurs réserves à propos de cette réforme, afin d'étudier avec eux la manière dont nous pourrions résoudre les difficultés. Je pense que nous parviendrons à des résultats probants.

Je suis disposé à évoquer avec vous toutes les questions, y compris les plus difficiles. Je crois qu'il convient que cette réforme s'applique en 2014, ce dont le Premier ministre est également convaincu, afin que nous puissions généraliser une nouvelle organisation du temps scolaire, car je suis sûr, tout comme vous, qu'il y va de l'intérêt de nos enfants !

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